INTERVIEW N° 2
A. M., monitrice éducatrice depuis 1978, Hôpital de Jour

Actuellement je ne m'en occupe plus à l'hôpital de jour, j'en ai eu pendant pas mal d'années, à peu près, depuis 78, ça doit faire, jusqu'à l'année dernière j'ai dû m'en occuper. ça fait pas mal d'années quand même, 15 ans à peu près. Avant d'arriver à C... j'avais déjà eu beaucoup d'expériences, j'avais une expérience professionnelle avant d'être diplômée. J'ai travaillé à d'autres endroits sur la Haute Savoie avec des enfants déficitaires, dans un IMP, dans un hôtel maternel et des stages un peu partout.

Ton truc là (en désignant le magnétophone) ça gêne... j'aime pas trop. Devant ses réticences, je propose à Anne Marie d'arrêter l'enregistrement et de prendre des notes manuscrites. Elle me dit qu'elle préfère discuter comme ça, sans tiers ajouterais-je.

Quand j'ai commencé à C..., je ne connaissais pas les enfants autistes, on n'en parlait pas dans la formation. Après coup je me suis rendue compte qu'à l'IMP il y avait des enfants autistes, ce style d'enfant. Là bas on visait surtout le bien être de l'enfant. A C..., j'ai eu tout de suite un groupe d'enfants autistes, au début c'était assez dur. C'était ce qu'on appelait les groupes "réalité", il fallait les (enfants) faire remplir, assembler, construire, mettre ensemble, donner / recevoir. Je me souviens d'un enfant en particulier, que je tenais beaucoup, il s'automutilait, je débarquais, j'essayais qu'il ne se fasse pas mal. Des moments où ça allait bien. Ce groupe ça a duré pendant un an puis j'ai eu un groupe d'"expression" à C.... C'étaient d'autres enfants. Ce qui m'embêtait c'était cet enfant qui s'automutilait, sinon j'étais pas trop mal à l'aise car j'avais travaillé avant avec des enfants en grosses difficultés. J'étais bien aidée, par le psychologue, le médecin, les réunions. Les réunions, c'était par rapport aux activités.

A C... deux, il n'y avait pas que des enfants à temps plein, il y avait aussi des enfants scolarisés. J'ai fait un groupe d'"expression", un groupe "contes". Des moments on était deux soignants par groupe, des fois toute seule avec trois enfants, il y a eu des améliorations en cours de route. Les grands groupes ça n'allait pas, l'idéal c'est deux adultes pour quatre enfants, ou un adulte pour trois enfants. Des moments aussi, c'est important d'être seul avec un enfant... L'idéal c'est trois enfants et deux adultes et la possibilité de pouvoir s'isoler avec un enfant... quatre enfants autistes ensemble, c'est trop pour eux.

Comment tu définirais l'enfant autiste?

Les difficultés relationnelles, la communication avec l'autre, l'impression de ne pas comprendre ce que l'enfant veut. Le plus difficile c'est quand il ne parle pas, des fois certains disent deux / trois mots, on comprend ce dont il a envie. Ce que nous on comprend, c'est pas forcément ce que le gamin a voulu dire. Des fois on est ensemble, il y a une communication même si elle n'est pas verbale. Je pense qu'ils ont des désirs, comment eux nous perçoivent ? est-ce qu'on est une personne en face d'eux? est-ce qu'ils savent qu'on est là pour les aider? est-ce qu'on n'est pas un robot? les enfants ne parlent pas et nous on parle, on parle, le vide est là. Il y a des enfants qui connaissent notre prénom alors que j'imaginais pas. J'avais l'impression qu'il me reconnaissait et à d'autres moments non. Il évitait le regard, il me venait prendre la main. Un jour alors que je ne le suivais plus depuis deux ans, quelqu'un lui a dit "va donner la pâte à modeler à A-M.", il y avait au moins dix personnes, et il est venu, j'étais vraiment surprise. Quand il y avait des coupures, j'avais l'impression que je n'existais plus. Des fois j'avais des doutes.

J'appellerais ces enfants "mystérieux". J'ai l'impression que je suis loin d'avoir fait le tour, qu'on est toujours en recherche, ils posent question. J'ai eu l'impression de donner un certain nombre de choses mais pas ce qu'il fallait réellement. Choses que l'on satisfait dans l'immédiat, ça ne tient pas, il faut recommencer, il n'y a pas de continuité. Par moments, des flashes, j'avais donné une image à un enfant qui n'arrivait pas à s'exprimer, "quand tu veux le magnétophone, tu me montres avec l'image" et il me montrait, il ne donnait plus de coups de pied dans le placard. A force de ne pas avoir de retour, ils nous mettent dans une position où on attend sans attendre. C'est là qu'on a la surprise, des situations comme ça j'en ai eu souvent... quelle mémoire ils ont?

Tu penses à eux en dehors de ton travail?

Je fais un long trajet pour rentrer chez moi car j'habite en Haute Savoie, j'élimine, quelque fois je suis même un peu distraite en voiture! je réfléchis aux choses qui se sont passées pendant la journée, pendant une demi-heure environ. C'est dur avec ces gosses, ça prend la tête comme on dit. L'idéal, c'est après un groupe avec ces gosses d'avoir un groupe de paroles derrière, de poser les choses. Ils font vivre des choses qu'on a du mal à contrôler. Des fois, dans un groupe tout va bien, il n'y a pas d'enfant angoissé et puis tout d'un coup, un enfant se met à crier, il ne s'est rien passé. Alors je cherche, au bout d'un moment, je me rends compte qu'un avion passait dehors, tant que je n'ai pas pu exprimé ça, le gamin n'a pas arrêté de crier, il faut écouter les moindres bruits. J'ai dit "avion", il faut toujours parler. Une fois c'était des ouvriers avec un marteau piqueur, des vibrations fortes, il ne voulait pas passer près des ouvriers. Alors on passait de l'autre côté du trottoir. On est étonné de les voir à l'extérieur, ils connaissent la cour par coeur mais si on les amène à l'extérieur! intéressant de les voir partout, de toucher à pas mal d'activités. Si on fait seulement un type d'activité (peinture par exemple ou éducatif) on laisse de côté le reste, on n'arrivera pas à les aider. Les liens entre nous, des gens qui s'occupent de l'enfant, il faut une ligne de conduite... lien qui est dur à faire, parce que, c'est pas le gamin qui va le faire et il faut qu'on soit tous cohérents.

Je demande qu'elles sont les choses difficiles que les enfants font éprouver

Il y a des choses qu'on arrive pas à saisir, on sent qu'ils sont angoissés, on arrive pas toujours à les aider, ça c'est dur à vivre, ce sont des choses répétitives même si on en parle en équipe, on se sent démuni, on veut répondre dans l'immédiat. Un enfant angoissé en face de soi, ça met mal à l'aise, l'angoisse elle va ... si on arrive à récupérer, l'envelopper, le prendre, le tenir, utiliser les choses qu'il aime bien. J'essayais de beaucoup observer le début, qu'est-ce qui avait provoqué, qui fait apparaître l'angoisse. On peut pas se permettre de se laisser aller, on a l'impression qu'ils nous bouffent, on écoute, on observe. Quelqu'un entre, il faut les prévenir, tout expliquer, ça les sécurise beaucoup. Si tu dois échanger avec cette personne, ils ne te laisseront pas cette possibilité là. Pour eux, avec eux, quand on est plus ou moins bien, même cet état là il faut leur parler, j'allais pas être comme d'habitude (fièvre par exemple), un peu malade mais ça n'est pas grave, il faut beaucoup les sécuriser. Si je ne leur disais pas, ça déclenchait des angoisses, c'était pire. Ils n'éclatent pas en permanence mais bon. Ce sont des enfants qui te pompent, ils prennent ton énergie, comme ils ne parlent pas, si on a pas regardé dès le départ ce qui se passait, si on ne les a pas avertis... au début, ou la chose manquait, ou elle n'était pas à sa place habituelle, ils m'ont obligé à aller voir avant, après je leur expliquais, ça allait bien. Le changement, on ne peut pas changer d'un jour à l'autre, les faire déplacer, les faire jouer à d'autres endroits. Une fois j'ai changé un meuble car le bruit qu'il faisait quand l'enfant tapotait dessus ne lui convenait pas. J'ai mis un autre meuble et puis j'ai pu le réintroduire en introduisant des bruits. C'est un travail très long. D'emblée on ne peut pas leur imposer des choses. Les changements c'est important, je faisais le programme de la matinée, ce qu'on allait faire. Je mettais des photos de choses qu'il allait faire, petit panneau personnalisé, pour travailler les changements c'était important. Il y avait un échange verbal qui se produisait et ça passait d'abord par cet intermédiaire (la photo).

Nombre de réunions?

Il y avait des réunions pour eux, des réunions avec l'internat aussi (deux/3). les autres enfants étaient externes, ce qui est le plus difficile c'est de coordonner autour de cet enfant, faire des liens autour d'eux est difficile.

Comment ces enfants étaient-ils perçus dans l'institution?

Les parents sont plus inquiets, ces gamins engendrent des inquiétudes... les réunions étaient plus animées, plus passionnelles.

Formation?

Je me suis formée au groupe d'expression avec une autre éducatrice. J'ai participé aux réunions, à des conférences. J'ai fait la formation TEEACH (une semaine).

Cette année ça me manque de ne pas travailler avec les enfants autistes, c'est toujours une recherche. C'est un travail qui est riche, ces enfants font penser, il y a un mystère qui les entoure, ils te font penser plein de choses, on essaie, ils t'obligent, ils te font avancer dans ton travail, même si à des moments tu es un peu vide. La formation est là, les conférences, je fais le lien, tout le monde cherche, c'est enrichissant. Aussi les enfants, ils t'amènent quelque chose auquel tu t'attendais pas. Un petit truc, on peut mieux travailler en petite équipe, on peut mieux dire ce qu'on ressent.