INTERVIEW N° 3
F., infirmière psychiatrique depuis douze ans, a travaillé trois ans en internat.

Moi, j'ai travaillé de 1984 à 1990 en service adultes, en pavillon d'entrée. Donc après j'ai fait ma demande pour aller chez les enfants, donc j'ai travaillé un an et demi aux polyhandicapés et donc après, dans cette fameuse unité qui s'appelait le V..., qui était une petite unité de jeunes autistes, donc là j'y ai travaillé jusqu' en 199... je crois que c'est trois ans. Donc c'était mon premier contact avec la maladie mentale, c'est vrai que j'avais très peur, il y avait un poste qui c'était libéré (à C... deux) avant mais j'avais vraiment pas eu le courage d'y aller. Quand il y a eu un poste au V... je me suis dit qu'il était temps. A l'époque c'était le docteur B. qui s'en occupait et quand j'ai commencé il n'y avait pas de psychologue. Donc on avait un roulement traditionnel, matin, après midi, aussi les dimanches et les jours fériés, c'était un internat à temps complet.

La nuit?

La nuit... ben ouais, qui c'est qui faisait les nuits? j'ai l'impression qu'ils doublaient avec... il devait y avoir deux veilleurs aux polyhandicapés, ils faisaient les trois unités, enfin tu vois comme quoi c'est affreux, j'ai un problème de mémoire. Si je regarde les gens qu'on était on faisait des remplacements de nuit l'été.

On n'avait pas que des autistes, un polyhandicapé, enfin oui qui était quand même autiste, il était sorti de son autisme, bien autiste quand il était petit, on avait une épileptique, vers la fin, on avait que des autistes, vraiment pas facile en plus c'était... à la fois il y avait des supers bons côtés mais je dirais qu'à la fois ton identité de soignante, moi je vois vraiment la différence avec ici, c'est vrai on était plus des substituts parentaux, donc c'est vrai que c'était sympa parce qu'on avait, à la fin on devait avoir maximum cinq /six enfants. Je dirais qu'en gros la journée, on en avait quatre ou cinq. C'est vrai que c'était une petite unité, on était une petite équipe, tu bossais toujours plus ou moins avec les mêmes, on s'entendait bien en plus. Les gamins même s'ils étaient difficiles, tu avais toujours le temps de s'en occuper alors qu'au début on en avait huit des fois et huit quand tu es deux pour les bains ça voulait dire que tu en avais deux dans la baignoire, fallait y aller quoi! que là, à la fin c'était vraiment une unité vraiment chouette. Le problème moi je trouve c'est que au niveau du travail c'était... tu étais larguée quoi, t'étais face à la pathologie des enfants, face à ce que ça pouvait te renvoyer à toi et puis t'avais rien... donc on avait demandé, parce qu'on avait reçu une gamine qui était gravement atteinte, et comme l'équipe était en train d'exploser on avait demandé une supervision, donc pendant deux ans on a eu une supervision ce qui nous a permis de tenir le coup quoi mais je dirais que sinon dans la vie de tous les jours on... on levait les enfants, on les habillait, après les enfants partaient sur les groupes, de neuf heures à onze heures et demie on était soit à faire les soins, soit à s'occuper de trucs comme ça. Et l'après midi pareil, entre quatorze heures et seize heures, ils partaient. Donc après nous on les récupérait pour le repas et l'après midi pareil. Donc on les avait après le repas et on les amenait sur les groupes et puis on allait les rechercher, et le soir on faisait tout le temps des balades mais il y avait rien, enfin c'était ... ouais t'étais comme des parents. Les week end il restait deux enfants en règle général et c'était très très lourd parce qu'on bossait seul comme on avait deux enfants. Donc là les week ends c'était vraiment difficile parce que t'étais vraiment isolé dans ton unité avec ton enfant ou tes deux enfants et huit heures sur huit. Là c'est vrai... suivant qui tu avais comme gamin, parce qu'il y en a avec qui tu pouvais aller n'importe où, t'en as d'autres ... je pense en particulier à une L., moi je ne l'amenais pas partout. L. c'était vraiment une autiste avec toute son angoisse, au début où elle est arrivée, elle avait des plaintes somatiques, elle poussait des hurlements en se tenant le ventre, tu te disais c'est pas possible elle a quelque chose alors qu'elle n’avait rien, donc c'était vraiment quelque chose de l'angoisse, elle se déshabillait, elle se faisait pipi dessus, sans arrêt des stéréotypies mais en très très... c'était fou, elle prenait le papier, elle faisait des boulettes avec sa salive, impressionnant et puis bon c'était pas de l'automutilation mais elle se filait des claques et puis tu sentais le moment où elle était envahie par une angoisse qui était communicative, elle nous faisait vivre des choses vraiment très très fortes. Mais c'est vrai qu'on était face à ça et que moi j'estime qu'on avait pas du tout le soutien qu'on aurait dû avoir parce qu'à la limite quand tu es en groupe, tu sais que bon, les filles étaient deux, elles avaient L. ou les autres enfants, elles l'avaient une heure après elles passaient la main mais nous on l'avait tout le temps et puis quand on en avait ras le bol il n'était pas question de dire moi j'en veux plus je vous la passe, on l'avait et puis... je trouve que c'était vraiment pas pris en compte, à C... ce qui était valorisé c'était les groupes, les gens qui étaient en internat ... d'ailleurs on avait vraiment l'impression on disait d'une manière vulgaire qu'on était bon qu'à nettoyer la merde, que ce soit les polyhandicapés ou non il y avait des choses qui étaient ... donc on était pas reconnu, enfin on ne se sentait pas reconnu et les médecins n'entendaient pas vraiment nos revendications, bon c'est vrai que c'est pas ... après coup je me dis que ça n'a rien à voir le travail que tu peux faire en externat. Tu n'es pas du tout responsabilisé de la même manière, ça m'embête de dire que tu n'es pas reconnu parce quelque part la reconnaissance on se la crée soi même et donc je me dis qu'on... je ne me reconnaissais pas en tant que soignante parce que rares étaient les moments où tu étais vraiment en relation thérapeutique entre guillemets avec un gamin, t'étais toujours en relation avec le gamin alors ça c'était par rapport au service adulte je veux dire il n’était pas question, tu n'étais jamais dans un bureau à pouvoir dire je suis seule ou dans un coin. Le gamin, le bureau était ouvert, pouvait arriver, d'ailleurs c'est vrai qu'au V... vis à vis de C... avait cette image, enfin les soignants avaient une image de mère un peu symbiotique, tu vois, c'était une unité un peu bizarre, vue de l'extérieur parce qu'ailleurs les gens se préservaient un espace à eux et que nous on n’avait pas besoin de se préserver cet espace.

Vous n'en aviez pas besoin?

Les week ends je dirais c'était difficile mais sinon la semaine, on en n’avait pas vraiment besoin parce que l'espace on l'avait dans la mesure où quand les enfants s'en allaient, on se retrouvait donc quand ils étaient là ça ne nous gênait pas qu'ils rentrent ou qu'ils viennent, bon et puis c'était important de les avoir sous les yeux au niveau de la sécurité, mais sans parler de la sécurité c'était, on partageait la même vie quelque part, quand ils étaient là on était ensemble et puis c'est tout. Moi je me dis par exemple on n’avait pas de chambre d'isolement alors qu'à C... ils avaient une chambre d'isolement. Moi je me dis, ce que je crois c'est qu'à partir du moment où tu as une chambre d'isolement c'est aussi la solution de facilité, c'est qu'après tu te dis bon, moi j'ai entendu une collègue il y a pas longtemps qui a bossé à C... deux par rapport à un enfant, un tout petit qui est là maintenant qui dépassait à son avis les limites et qui m'a dit "tu vois là je le verrais bien en chambre d'isolement", moi quand j'ai entendu ça, je me suis dis mais non, ce gamin il a pas besoin de chambre d'isolement, tu peux contenir un gamin autrement qu'en le mettant en chambre d'isolement, et voilà, enfin bon, on change de sujet mais... on passait pour les "mamas" tu vois.

Vous étiez principalement des femmes?

Il y avait un homme, un infirmier DE et C. qui était surveillant. Mais c'est vrai qu'on peut dire qu'on était principalement des femmes, on a eu de gros problèmes avec l'infirmier en question. Donc, en réalité, c'était une image paternelle qui n'existait pas et qui forcément pour l'enfant ne devait pas exister. Il était tellement angoissé par ce type d'enfant qu'il s'est fait rejeté, d'ailleurs au bout d'un moment il est parti. Donc c'était pas une image paternelle qui était valable que ce soit pour nous en tant que soignantes et encore moins pour les gamins. Bon maintenant on peut l'analyser autrement je me dis est-ce que de toute façon on aurait été capable d'accepter un homme? Je n'en sais rien mais sans vouloir nous déculpabiliser il me semble qu'il s'est fait rejeter aussi des polyhandicapés. Donc voilà.

Au début vous n'aviez pas de supervision, comment faisiez vous?

Au début on avait des réunions mais c'était fou d'ailleurs! alors on a hurlé, enfin hurlé pendant des mois sans avoir l'impression d'être entendu. Parce qu'alors au début quand je suis arrivée on avait des réunions avec les enfants, et à l'époque on avait huit enfants, alors t'imagines c'était le seul jour où on voyait le médecin et les enfants étaient autour de nous, alors tu imagines huit enfants autistes, épileptiques... au bout d'un moment on a craqué, on a dit il est hors de question... alors le médecin bien entendu ça l'embêtait puisque c'était le seul moment où il les voyait mais il a quand même accepté et on a quand même réussi à ce moment là on les emmenait à l'accueil comme on disait. On était en conflit avec le médecin, on avait vraiment l'impression qu'on demandait quelque chose, jamais on n'avait une réponse directe, on avait l'impression qu'il lui fallait deux nuits pour réfléchir et arriver à te donner une réponse. On était une équipe bien soudée, il y avait une éduc., une infirmière DE, une infirmière psy. mais d'un certain âge qui avait cinquante ans donc qui était importante aussi pour l'équipe et pour les enfants donc on s'est autorégulé comme ça. Et après la psycho est arrivée et là on a vraiment balancé toute notre ... c'est vrai que ça lui a fait drôle. Et puis on s'est rendu compte que même en balançant tout, ça suffisait pas, c'est là où on a demandé une supervision et en effet ça nous a bien aidé quand même mais bon... s'est (soupir) quand tu vois comment c'est passé la fin de cette unité, ça symbolise tout à fait ce qu'elle était, pas à nos yeux mais aux yeux des médecins, aux yeux de l'administration. C'est une unité donc, moi je suis, je ne sais plus en quelle année c'était, ce devait être en 1994, je suis rentrée de vacances, je suis arrivée dans l'unité du V... et du jour personne n'était prévenu, on s'est retrouvé avec les cinq ou six enfants du T. (autistes un peu plus âgés). Donc on est passé d'une unité de cinq à une unité de dix, donc tu avais des gamins qui allaient de cinq à dix-sept ans avec des gamins qui s'automutilaient enfin bon des trucs, donc ça s'est décidé du jour au lendemain parce qu'il y avait soit disant des travaux au T., alors je sais pas si tu imagines mais il y avait des gamins qui dormaient dans les réfectoires parce qu'ils n'avaient pas de lit, tu en avait un qui nous brassait notre cour qui enlevait les cailloux, qui creusait et tout (!!!) on a vraiment... en réalité si tu veux leur idée administrative c'était de se dire que le V... c'était une unité qui consommait trop de personnels, qui coûtait trop cher puisqu'on était en fait six soignants sur le papier pour le même nombre d'enfants, donc on était en réalité souvent deux, et deux ils trouvaient que c'était inadmissible. On s'est retrouvé à vivre ça pendant trois semaines, ça été l'horreur, surtout les nuits, des gamins dormaient sur un matelas dans le réfectoire, bref! et puis ils se sont demandés comment ils pourraient aménager des locaux pour refaire une unité plus ou moins pour mettre tout le monde, pour que les infirmiers puissent passer d'un endroit à l'autre, économiser un maximum de personnel et puis ils ont pris une décision rapide aussi, les gamins étaient pas prévenus, les infirmiers non plus, là ils ont changé d'optique, ils se sont dit que plutôt de mettre le T. au V..., le V... allait immigrer au T. et donc L., S., des gamins qui avaient passé des années comme ça, un peu dans un cocon, faut pas rêver (hein!) se sont retrouvés au T. sans que ce soit préparé, les infirmiers pareil, voilà comment ça s'est passé, je veux dire le V... c'était... Le V... a existé six ans, c'est le docteur R. qui l'avait mis en place et apparemment au début c'était un truc intéressant où en effet il y avait des discussions, il y avait une réflexion au niveau de la prise en charge des gamins que vers la fin il n'y avait plus. Pour moi ça été vraiment un scandale ce qui s'est passé, moi j'ai pas suivi au T., j'ai atterri chez les adolescents, donc j'ai pas vécu ça, mais si tu veux ma collègue qui s'était investie mais à un point phénoménal par rapport à cette petite L., moi je me dis mais c'est un coup à te casser, et à te dire "c'est pas la peine que je me casse la tête" parce qu'elle à bossé trois ans avec cette gamine à faire des VAD dans la famille d'accueil et du jour au lendemain, la gamine paf ! elle part et puis toi tu restes là et puis voilà. Le problème dans ces internats c'est qu'est-ce qu'on fait? quels moyens on leur donne? la vitrine c'est l'externat, c'est les centres de jour, les CATTP, à l'époque c'étaient les groupes. Vis à vis des parents c'était qu'est-ce que vous apprenez à mon enfant? après pour le médecin aussi, la psychologue venait rarement au V.... L'internat tu as l'impression que tu fais rien.

Il n'y avait pas d'activités, c'était basé sur le maternage?

Le maternage je pense que ça peut être aussi très important mais tout dépend aussi comment c'est repris, parce que là on faisait du coup par coup on a vraiment travaillé avec nos tripes et puis sans rien d'autre, donc à partir de là...

A quoi est-ce que ça te renvoyait toi de bosser avec ces enfants?

... ça... ça varie suivant les gamins, il y a... c'est vrai que j'ai le souvenir de L., où elle m'a fait vivre des choses atroces et ça m'a renvoyé à moi d'une manière pas très agréable. C'est vrai j'ai failli faire une supervision individuelle. Je ne sais pas à quoi ça m'a renvoyé.

Plus concrètement, quelles impressions, en dehors du travail?

Envahie complètement en effet, je me souviens de l'avant supervision en groupe, elle m'envahissait complètement, j'ai des souvenirs de coups de téléphone donnés à une amie où je parlais de L. parce qu'elle me faisait vivre des choses que je n'ai jamais, que j'avais jamais détectées en moi si tu veux et c'est vrai que c'était abominable et puis bon c'était une époque où ça on n'en parlait pas beaucoup parce que c'était de la violence, enfin en l'occurrence qu'elle me faisait vivre, moi j'en parlais très peu...

Elle était comment?

C'était une gamine qui tout d'un coup hurlait et c'était un hurlement qui te pénétrait complètement et tu avais l'impression d'exploser avec elle. Elle explosait tu vois, elle se secouait comme ça et une espèce... moi j'ai le souvenir d'un jour où je suis rentrée dans sa chambre, c'était un week-end sûrement et je l'ai trouvée sur le lit comme s'apprêtant à faire le poirier, donc les mains posées en bas, un pied et un pied levé, donc elle était comme ça et elle avait la tête sur le côté et tu vois elle était dans un état absolument abominable et je me suis assise à côté d'elle, je suis restée comme ça mais j'avais l'impression d'avoir le diable en face de moi, vraiment! elle avait une espèce, elle se métamorphosait au niveau du visage et moi, je suis pas la seule après on en a beaucoup parlé, et toutes on avait cette impression d'espèce de chant démoniaque, et il y avait plein d'images qui venaient, moi j'ai des copines, des collègues qui à des moments disaient "vadé rétro satanas" quand on a pu éjecter tout ce qu'on avait à éjecter on avait des images euh de chouette clouée, ça faisait vraiment la sorcellerie, enfin ce n'était pas une sorcière c'était le diable en personne tu vois, c'est impressionnant parce que je n'ai jamais vu d'enfant comme ça et donc quand j'ai pu en parler je me suis rendue compte que toutes, il y avait des moments où on avait envie de la prendre et de la décalquer contre le mur, c'était... et là je me suis dit face à cette gamine je comprends que des parents puissent tuer leurs enfants, tu vois, c'était fort hein. Je me suis dit en effet, toi tu es soignant tu essayes, tu te dis, tu ne peux pas passer à l'acte, tu essayes d'en parler, tu n'es pas seule, mais moi je me dis des parents confrontés à ça il y a de quoi la passer par la fenêtre. A côté de ça t'avais des moments de... même avec L., il y avait des moments où elle était adorable moi jamais j'ai pu complètement oublier, aller dans l'autre extrême, il y en a qui à la fois ça les rendait folles mais qui étaient, qui pouvaient aller de l'autre côté, plonger avec elle dans la tendresse, moi je n'ai jamais pu je veux dire. Par compte il y en a d'autres que j'ai beaucoup aimés. c'est vrai que tu as un lien que tu n'as forcément pas autrement quand tu donnes le bain à un gamin, bon on privilégie vachement les temps de repas, on restait plus d'une heure au repas avec eux et c'est des gamins qui maintenant à C... restent deux minutes, ils peuvent plus rester à table. C'était fou, on discutait, ils étaient là, même quand on avait fini de manger, bon on restait autour de la table, les gamins ne s'en allaient pas, ils n’avaient pas envie d'aller dans leur piaule, de vadrouiller quoi. C'est très dommage quand on voit ce que ces gamins sont devenus. On faisait un boulot au niveau des parents, il y avait des VAD ...

Tu allais à des conférences? des lectures?

A l'époque pas du tout. Non je crois vraiment que ça correspond à cette impression de non identité professionnelle parce que j'ai commencé cette année, quelque part ça été... il y a eu l'avant le V... et il y a eu l'après. Les conférences, j'ai commencé depuis que je travaille ici, parce que quelque part je me sens impliquée, responsable de ce que je fais parce t'es seule ou deux dans un groupe ou carrément en individuel avec un gosse, je me dis il ne faut pas plaisanter, je suis supervisée en individuel, j'ai fait une supervision de groupe, je ...

Au V... ça t'arrivait d'être seule avec un enfant?

Ouais mais c'était, il n’y avait pas cette implication. C'est L. qui à un moment donné m'a fait penser à une supervision, sinon les autres enfants ne me dérangeaient pas. Ils étaient dans une relation relativement symbiotique, c'étaient des autistes mais bon, aucun parlait mais bon ...

Ce que tu as dit au début je me sentais pas soignante

Tu te sens une mère, enfin je ne sais pas si je me suis vraiment sentie mère mais tu te sens dans la relation affective, voilà, je crois que c'est ça et puis bon voilà tu te laisses un peu bercer, moi je dis en effet le berc... le V..., beau lapsus, c'était ça, c'était une espèce de berceau pour tout le monde. C'est vrai que moi j'ai eu la chance quelque part et c'est peut-être ça qui m'a permis de passer le cap, c'est que la dernière année du V... moi j'avais complètement décroché, que je vivais des trucs à l'extérieur et dans ma tête je m'étais dit "de toute façon tu ne pourras pas faire les deux" parce qu'on s'impliquait quand même souvent dans des réunions, je veux dire le V... nous prenait beaucoup de temps, on faisait plus que nos heures et donc moi la dernière année naturellement j'ai désinvesti, donc c'est vrai que quand il y a eu cette rupture brutale où le V... s'est retrouvé éjecté au T. je dirais que moi mon deuil je l'avais fait quelque part, c'était déjà fait mais j'ai des collègues qui continuent à y aller, qui continuent à aller voir les enfants, qui ont beaucoup de mal, une en particulier, à gérer ça quoi. Pour moi, c'était déjà fait donc ... pour moi il y a pas eu traumatisme et ... c'était ouais, ça pouvait être un grand utérus pour nous le V.... Ouais, le problème que justement je pense que ça aurait pu être super intéressant, parce que moi il y a des choses qui me faisaient bondir dans les relations que pouvaient avoir certaines personnes avec des gamins, et je me disais mais là on délire, mais bon le problème c'est que tu n’avais pas ce que tu as ici.

Quelles relations peut-on avoir avec des enfants autistes qui ne parlent pas?

Ah! ben c'est le corps mais le corps oui justement attention je veux dire... le corps il n’ y a pas de distance, moi je trouvais qu'il y en avait qui allaient trop dans ce genre de relations maternantes.

C'était un peu fusionnel?

Oui, moi il me semble, ça allait quand même loin... mais c'est vrai que je suis ... c'est ma personnalité bon, ou c'est une peur, je sais pas, moi je fais vachement gaffe à ça, de pas trop plonger dans un truc fusionnel et qui ... n'est pas forcément bon pour l'enfant. On ne se posait pas la question en ces termes que ici, si toi tu te poses pas la question, les autres te la font poser, ça se dit, ça se disait aussi au V... mais comme on se sent plus impliqué, je dirais qu'ici quand on te dit "ouais, ouais c'est ton enfant hein?" tu te dis mais qu'est-ce qu'il est en train de me dire?

Au V..., il y avait des affinités particulières entre enfants et adultes?

Il y avait des affinités mais moi je réfléchis et je me dis que, enfin, moi personnellement j'aimais bien tous les enfants, j'avais ma chouchoute, il y en avait une que j'adorais mais souvent dans ces cas là c'était d'elle dont tu t'occupais au bain, des choses comme ça. Mais il y avait pas de laissé pour compte, ça j'ai jamais, au début il y en avait beaucoup et c'était très difficile, il y en avait huit et c'était un peu la cohue, on ne savait pas où on habitait, ouh!, les liens ne s'étaient pas non plus vraiment créés mais quand le nombre d'enfants a baissé comme chacune avait plus ou moins son petit préféré mais ça se ressentait pas forcément. Il y avait pas de laissé pour compte. J'ai vraiment l'impression qu'avec ces gamins là, quand tu te donnes la peine de les connaître, forcément t'es attirée par eux, il me semble que je l'ai vécu ici, moi j'ai commencé à m'occuper d'un gamin, du coup c'est vrai les autres t'es moins en relation avec eux donc tu les vois pas. Puis quand le hasard ou la nécessité fait que tu te confrontes à eux des gamins qui a priori tu te disais qu'est-ce qu'ils sont pénibles, ils ne m'intéressent pas, ça passe, c'est ça qui est rigolo, pour les petits, les grands je sais pas j'ai pas testé, ça me paraît peut-être moins évident. Il me semble qu'il y a une capacité d'accueil, peut-être que les grands c'est pareil, je sais pas... ouais...

Est-ce que tu aurais une image de ces enfants?

Au V..., une image non ? c'est pas évident parce qu'il y a l'image que j'ai plus ou moins gardée d'eux et l'image que je retrouve de ce qu'ils sont devenus.

Un sacré changement de passer du service adulte à celui là?

C'est pour ça que j'ai eu besoin de la transition polyhandicapés. Déjà j'ai été l'une des rares personnes à avoir demandé à passer en service enfants, parce que d'habitude tout le monde voulait en partir et moi j'avais bien signifié en premier choix polyhandicapés parce que j'avais besoin de cette transition. Mon but c'était les autistes, enfin les psychotiques, en tout cas les autistes je n'y pensais pas vraiment et donc je me suis dis "on va d'abord se confronter à la souffrance physique et puis après on verra la souffrance mentale". Mais bon ça été un bon tremplin quelque part, parce qu'alors au niveau, les polyhandicapés au niveau maternage il n’y a que ça, c'est...

Entre les expériences?

Ben... moi ça savait pas ... je réfléchis, parce que t'as pas le contact l'air de rien, c'est que du maternage mais du maternage indirect. T'as pas le contact du corps comme tu peux l'avoir avec un gamin comme ici où tu peux le prendre dans tes bras. Parce que les polyhandicapés ce sont des gamins qui sont dans des coques, qui sont dans des chariots, si le seul moment où tu l'as contre toi c'est quand, encore contre toi, tu le sors de sa coque et tu te dépêches de le mettre sur le bain douche parce qu'il est lourd. Le seul moment où avec une collègue on avait prévu des massages pour un enfant moins atteint que les autres, le médecin a refusé. Donc c'était du maternage... ça ressemble plus à des morceaux de bois, par contre moi j'ai trouvé qu'il se passait beaucoup de choses au niveau du regard. J'ai eu, il y a eu des rencontres avec des enfants, bon et là tu te contentes d'un regard, donc c'était une bonne approche par rapport aux autistes dans ce sens là et que souvent avec les autistes ça passe par le regard c'est des petits riens et quelque part ces petits riens je les ai peut-être appris au niveau des polyhandicapés, tu vois tu t'attends pas à ce qu'ils te tendent les bras parce que les bras sont coincés mais bon c'est ton visage qui s'approche de son visage où tu es obligée d'accentuer les mimiques pour déclencher un petit truc.

Et c'était moins angoissant?

Pour moi c'était moins angoissant, ça ne m'a pas... c'était épuisant par contre, physiquement, parce qu'il y en a qui étaient lourds parce que l'on n’était pas nombreux, parce qu'il fallait quarante minutes pour qu'il y en ait un qui mange, on chronométrait alors je vais te dire quand tu en avais trois! Et puis c'était pas pareil ces polyhandicapés ces enfants, c'est peut-être dur à dire mais à un moment donné tu les mets devant la télé et toi tu peux t'en aller. Je sais pas si pour eux c'était supportable mais en tout cas on pouvait se donner l'autorisation, les filles elles, je veux dire nous, j'étais là aussi, les gamins après le goûter on les mettait devant la télé et nous on pouvait prendre notre thé ensemble net, tu parlais et tu en avais pas un qui te titillait. Au V... on était pas fatigué physiquement, on n’avait pas les soucis (roulements, trucs). On était très envié au V..., avec les polyhandicapés il y avait une espèce de rivalité souvent les filles des polyhandicapés disaient qu'on ne foutait rien par contre il y en a jamais une qui a voulu venir bosser avec nous, on était privilégié mais bon on ne voulait pas de notre privilège car c'était aussi de bosser seul, d'avoir des gamines comme L. et 24 h / 24, c'est rigolo il y a toujours des clivages mais ouais les polys... je pense que c'est une unité qui est intéressante. Là c'est pareil, des psychos t'en voyait pas. Tu voyais que le pédiatre, je me dis mais quelque part il y a des gamins qui sont décédés, on n’en parlait pas. Tu as l'impression que la souffrance des soignants mais elle existe, il n’y a que dans des unités comme ici qu'on peut en parler un peu. Tu vois à l'internat il ne faut pas en parler, c'est je sais pas, ce n'est pas reçu, même maintenant. Quand tu vois, je dirais que quelque part c'est le summum, c'est le T., actuellement. C'est une équipe qui souffre depuis des mois si ce n'est des années, je veux dire dans le T. je n'aurais jamais pu bosser, c'est une équipe qui est larguée, le médecin a démissionné, qui n'a plus de psycho, qui n'a plus d'orthophoniste, ils ont une souffrance abominable et on en parle pas. Mais c'est tabou, je crois que quelque part, les rares fois où j'ai dit des trucs, j'ai l'impression qu'on doit pas parler avec ses émotions alors que pour moi c'est l'inverse. Tu peux pas demander à un soignant de pas avoir d'émotions. Tout le monde non plus n'y va pas là dedans mais qu'en tu y vas, tu prends des risques, tu découvres des choses, tu acceptes à un moment de te regarder, c'est pas forcément toujours le pied donc mais les médecins... l'image que j'ai en tête c'est un médecin qui avait peur, quand on osait dire des choses tu sentais que vraiment... Et moi non plus... c'est vrai que je...

Là, tu ne dévoiles pas trop ce qu'ils ont pu te faire vivre

Je peux pas en parler trop parce quelque part j'ai fui, j'ai pas fait de supervision. Donc à partir de là, il me reste des espèces de sensations comme ça de moments de côté positif, de moments de bonheur avec certains enfants, ouais je peux dire que j'ai adorée cette gamine en particulier, elle est plus là mais je la revois bien, cette violence par rapport à L. de ... cette violence phénoménale, ce désarroi des trucs très douloureux mais c'est vrai, de mettre des mots dessus car c'était vraiment le corps qui parlait et ça a pas dépassé le corps parce que j'ai pas fait le travail.

Tu avais des somatisations?

Non, je n'ai pas somatisé par contre il y en a qui ont eu des accidents, je me dis que c'est pas rien non plus, j'ai une collègue qui est passée par dessus le vélo d'une gamine du V..., il y a quand même eu des traumatismes et là c'était ... bon je crois que ma porte de sortie c'est qu'à un moment donné j'ai décroché du V.... Bon, ouais, je peux pas en dire bien plus, j'ai pas saisi l'opportunité.... mais il s'est passé plein de choses, je réfléchis, mais ce qui était fou, ce qui me rendait, ce qui m'aurait fait hurler c'était à la fois ce que j'ai ressenti en moi et surtout me rendre compte qu'il se jouait plein de choses. On était tous quelque part ces enfants ; ils nous faisaient jouer des rôles surtout L. et ce qui me semble qu'il s'est passé c'est qu'on était deux référantes et il a un truc qui s'est instauré entre nous, le truc vraiment démentiel quoi! et ce qui me rendait folle c'est de me rendre compte qu'on était en train de jouer vis à vis de cette gamine quelque chose de son histoire et qu'à aucun moment ça pu être dit. Et pourtant j'ai essayé d'en parler mais c'était douloureux, ça me renvoyait à moi, à une image maternelle, c'était un imbroglio complètement démentiel et je me disais quelque part c'est l'enfant qui en fait les frais.

Vous étiez quoi?

Il y avait cette histoire de mère idéale, qui elle, acceptait tout de L., une espèce de patience d'ange,... d'une tolérance extrême et moi qui du coup devenais la mauvaise mère parce qu'à des moments L. me faisait exploser et en plus cette impression de mère idéale qu'elle voulait bien nous présenter à toute l'équipe, elle (la soignante) était pas si idéale que ça mais on arrivait pas à lui enlever son masque. Je crois que les gens ne se retrouvent pas dans un lieu par hasard et je crois en effet qu'on avait toute plus ou moins à vivre quelque chose par rapport à cette image maternelle et que cette femme, cette soignante, cette collègue, elle nous a renvoyé l'image qu'on avait bien envie qu'elle nous renvoie inconsciemment. Donc il y avait une espèce de merdier, moi je crois, au niveau de ces images maternelles, après le père aussi, qu'est-ce que faisait ce pauvre père là qui était pas à la hauteur et qui s'est fait éjecter, enfin éjecter, on était quand même relativement tolérante, on a vraiment fait ce qu'on a pu mais quelque part c'était une image qui n'existait pas, on l'a ...

Un peu comme si le tiers n'existait pas?

C. lui-même qui était mon surveillant au V... et que j'ai fait chier (rires) et il y avait une année où il nous a carrément dit "je ne veux plus m'occuper de vous", même lui, est parti, il faudrait lui demander pourquoi il est parti, il nous a lâchées, le médecin nous a lâchées, C. nous a lâchées, l'homme qu'on nous a amené parce qu'ils l'ont pris des handicapés, le pauvre, lui il a somatisé à mort, par contre, c'est quelqu'un qui avait de gros problèmes, il était dans un "trip" somatique et psychique, des moments on a cru pour sa vie dans l'état où il était, il s'est fait des accidents, il se coinçait au niveau cérébral non vertébral. Donc c'était une unité bien particulière, au niveau fantasmatique, projections et c'était vachement riche et on en a rien fait enfin si, la supervision c'était quand même... mais on a été frustré au niveau de la supervision, par rapport à cette image de la mère idéale, on s'est dit, enfin on va savoir si elle déconne, on a tenté que le masque tombe et le masque est jamais tombé, on avait l'impression que même la « nana » qui faisait la supervision la protégeait, alors on se disait, soit c'est vraiment la mère idéale et à ce moment ça rend fou, tu te sentais face à une soignante idéale, soit on s'est dit elle est vraiment trop fragile. Nous on attendait une supervision groupale, parler de ce qu'on vivait, à des moments ce n'était pas vraiment les enfants mais ce qui se passait entre nous. Il y a vraiment eu des trucs fous quand même! tu vois d'une image idéale, j'en arrive à une image un peu moins...