INTERVIEW N° 5
Fr., infirmier psychiatrique depuis six ans, Hôpital de Jour, une expérience d'internat (deux ans).

J'ai travaillé au T.... Les enfants avaient de sept ans à quinze / seize ans logiquement. Mais les familles ne voulant pas que les enfants s'en aillent en service adultes. On avait maximum six enfants pour deux adultes. Moi je préférais travailler le week end et puis le soir. On s'occupait du lever des enfants jusqu'à neuf heures, après on ouvrait les portes, ils revenaient pour manger, ils repartaient pour 14 heures et ils revenaient à seize heures pour goûter et puis ceux qui étaient externes rentraient chez eux et les autres restaient.

Comment tu définirais l'autisme?

C'est un peu compliqué l'autisme, et puis après tu en as toute une palette où aucun enfant autiste ne se ressemble. Chacun a des comportements, des attitudes. Moi je resterais vraiment à un problème au niveau de la communication, en rajoutant que pour moi ils sont hors de notre temps, de notre réel. Donc le notre qui a été établi avec les jours de la semaine, avec les temps, les machins tout ça. Où ils sont je ne sais pas, j'étais référent d'un gamin qui déchirait en lambeaux les feuilles, il se plantait les dents dans les bras et puis il arrache laa! il tirait avec les dents, donc ses bras c'est des cicatrices et puis ses genoux puisqu'il se balançait avec des couvertures dessus suivant les périodes deux couvertures, trois couvertures même en plein été sous son machin, à se chanter des airs très musicaux, très lancinants. Je l'ai regardé quand il rentrait en crise et je me disais est-ce que c'est quelque chose d'extérieur qui fait que tout d'un coup il va se mutiler? il est là est-ce qu'il y a une guêpe qui passe, est-ce que quelqu'un rentre dans la pièce et le gêne dans un truc? mais des fois tout d'un coup le gamin se met à hurler (aaah!), à gueuler, à gueuler, à commencer à sortir et puis à se mordre et s'arracher les bouts de biftecks (là! là! là!). Donc différentes attitudes des soignants face à ça, tu as ceux qui ne supportent pas, l'agressivité les renvoie à leur propre agressivité et puis c'est vachement dur donc ils branchent les gamins et disent "tu vas arrêter! c'est du cinéma" et puis t'as les gens qui s'en occupent pas du tout, ceux qui ne vont rien pouvoir faire, ceux qui vont être plus calmes, c'était un peu mon attitude. Avec lui, je venais en face de lui et je lui prenais les mains, je lui parlais tranquillement et puis, bon des fois t'es obligé de le maintenir pour pas qu'il s'automutile trop mais je faisais ça en souplesse, en restant calme et puis en attendant qu'il respire tranquillement. En général ça marche, mais c'est vrai aussi que ce gamin s'en sert dans les moments où il n'a pas envie de faire un truc. Les repas avec lui étaient problématiques, si ça ne lui plaisait pas, il se barrait. Tu lui demandais "tu débarrasses ton assiette avant de partir", parce que c'est un gamin à qui j'ai parlé normalement pendant tout le temps, il comprend normalement les choses (imite le cri: il se mord) alors suivant qui est là on lui "va dans ta chambre" moi je lui disais "tu vas ranger ton assiette" pas très content de le faire. Il faut toujours être clair sur ce que tu leur dis et ce que tu vas faire. Si tu leur dis des choses comme c'est souvent le cas malheureusement dans les familles, que tu dis des trucs et que tu ne le fais pas, il sait que la prochaine fois tu vas dire un truc mais tu risques de ne pas le faire non plus, de toute façon t'as pas de parole. Avec eux je pense que c'est une population qui est plus sensible à plein de choses. S’il y a des trucs un peu somatiques qui ont été mis en évidence pour certains enfants, des problèmes d'oreilles, ils entendraient pour certains beaucoup plus fort, au niveau des yeux aussi pour voir si c'est le cerveau. Toute une période américaine, c'est les parents qui demandent ça et les médecins qui font ça pour se décharger: cariotype, potentiels auditifs, visuels, sensitifs aussi qui est un peu plus barbare que les autres puisque c'est une petite décharge électrique, légère mais bon. Il y a eu toute cette période là avec l'apport de la méthode TEACH puisque le Dr L. est parti aux Etats Unis suivre des stages. Cet outil là est arrivé, le problème c'est que ça devient vite la panacée, on a fonctionné avec le système TEACH, les cartes, les sets de table. Je l'utilisais avec certains enfants ça fonctionne bien, avec d'autres ça fonctionne moins bien. Après c'est ça qu'il faut arriver à faire, c'est qu'on s'en sert comme un outil parmi les autres. Pour certains gamins, entre autre un qui avait beaucoup d'agressivité ça a réglé pas mal de choses. Si le gamin te demande quelque chose et que tu comprends pas ce qu'il te demande et celui là il se mettait à jeter les choses par terre. Le set du repas après c'était du conditionnement, le jour où il y a plus eu le se,t il montrait avec son doigt sur la table là où logiquement il aurait dû y avoir le set. Si c'est pour arriver à ça, ça ne sert à rien, mais bon. Mais quand ils ont soif comment veux tu qu'ils te disent qu'ils ont soif? tout est fermé à clef sinon ils vont ouvrir les robinets, ils vont tout foutre en l'air. La plupart n'a pas la parole (un sur six). Au T..., il y avait les enfants qui ne pouvaient pas être ailleurs puisqu'il n'existe que cet internat pour la Savoie et la Haute Savoie. La population qui est ici et celle qui est à C... ce n'est pas la même. C'est une population d'enfants qui est vachement intéressante, ce n'est pas facile de les cerner. Je me sers de la musique et de la guitare, je chante et avec eux c'était vachement sympa. Il y a des gamins qui ne venaient pas spécialement écouter, t'en as d'autres qui s'installaient et qui ne bougeaient plus, t'en as un autre qui était très régressif, il venait prendre le bout de la guitare pour sentir la vibration. Un musicothérapeute venait faire des percussions, il y a vraiment des choses qui sont sympas avec ces mômes. Tous ensemble ils sont difficiles, ça potentialise et ça éclate sans arrêt parce que c'est vrai ils se renvoient tellement de choses les uns les autres.

Quels effets de passer d'un service adulte à un service enfants autistes?

J'ai toujours travaillé avec des gamins, t'as qu'à voir, effectivement ils sont tordus mais c'est des mômes donc et puis moi j'ai trois gamins donc c'est les temps le matin, on fait la toilette, on va s'habiller. Alors tu en as certains soit tu les habilles, pour aller vite, tu fais plein de trucs à leur place, alors après on avait un peu relâché, s'ils sont pas prêts à neuf heures sur les groupes... des fois tu les réveilles le matin, comme tu réveilles tes gamins pour aller à l'école. Alors là, ils ont déjà des rythmes d'enfer, on prenait un peu le temps et des fois ça durait une demi heure pour qu'ils s'habillent. Je n'ai pas été apeuré, inquiet, angoissé ou quoi ce soit, en plus j'avais demandé à venir. Quand je suis arrivé c'était compliqué car l'équipe avait presque complètement changée,six ou sept personnes, le temps de retrouver les marques, pratiquement personne ne connaissait les enfants, bon.

ça te renvoyait à quoi de travailler avec ces enfants?

... d'une manière générale il n'y a pas eu particulièrement de problème alors il y a certains enfants avec qui j'ai plus accroché. Entre autre un, qui tape toute la journée sur les portes, les poignées ont été coupées pour plus qu'il les fasse claquer, il y en a un qui se sauve, un qui mange sa merde, des fois tu retrouvais de la merde partout sur les murs, dans les dents, sous les ongles. Celui-ci je m'en occupais mais pas plus que ça et puis un jour je me suis dit mais il est pas aussi con qu'il paraît parce que pour moi il était vraiment ailleurs, il ne comprenait rien, il était inaccessible. Et puis du jour où je me suis dit cette chose là, je l'ai regardé différemment, lui aussi s'en est rendu compte et ça a complètement changé les relations et il comprenait plein de choses mais ça l'a pas empêché de continuer à manger sa merde mais j'ai jamais été dégoûté ça ne me dérange pas mais t'arrives, tu l'attrapes par derrière le cou et tu lui dis "viens voir par là, ne me touches pas!" tu prends des gants et puis... ça pue, c'est vrai que ça pue. Mais quand je l'ai vu différemment ça a changé le regard des deux et puis c'est une autre relation qui s'est installée. Je m'étais déjà dit avant, il faudrait que je fasse un truc avec lui car j'arrive pas trop à accrocher. F. disait ça c'est intéressant de voir vers quels adultes ils accrochent parce que c'est toujours pareil, ils savent déjà, ils pressentent un petit peu déjà, selon vers qui il va avoir de tel truc ou tel truc. Autrement, des exemples comme ça sinon...

Dans l'équipe?

ça se passait bien, l'équipe était récente, tout le monde n'avait pas choisi d'être là, c'est vrai que c'était, c'est vraiment une période où les gens s'entendaient bien, on ne se prenait pas la tête. Avoir une télé, c'était rien du tout une télé, mais pour qu'elle ne soit pas cassée au bout de deux heures c'est compliqué. Moi je mettais un peu de musique le matin, le soir, puis en tant que mec c'était un peu différent. J'étais le seul mec, c'est pas les mêmes relations qui s'installent avec les gamins et au début j'étais un peu le flic même tout le temps. Je voulais pas être spécialement le flic mais t'es bien obligé car quand l'autre il pique sa crise et toi tu dis "arrête" et il se calme, alors que si c'est une nana il continue à jeter les tables sur la gueule donc, t'es obligé d'avoir ce rôle là.

J'étais épuisé au début d'être avec les enfants autistes, ils te pompent ton énergie, ils t'agressent toute la journée par des bruits. Au début que je suis arrivé j'étais nase quand je rentrais. Il faut tout le temps être là ou alors... ils ne rentraient pas dans le bureau ou alors ils arrachaient toutes les feuilles ou ils piquaient tout, il faut vraiment mettre des limites sans arrêt. Quand on était dans le bureau les gamins étaient derrière la vitre, pas tout le temps, mais quand tu ne les vois pas, tu as intérêt d'aller voir ce qui se passe, tu ne peux pas te poser cinq minutes, enfin si tu peux rester une demi heure à lire, à écrire quelque chose, à discuter avec le collègue mais je ne suis jamais resté assis à faire que ça. J'ai évité qu'il se passe n'importe quoi, tu te relèves, tu fais un petit tour pour voir où ils sont. Des fois t'en as un qui se barre par dessus la barrière, surtout quand il voit passer les gens. C'est le même gamin quand tu te promènes en forêt, si un groupe passe dans l'autre sens, il repart avec les autres. Une fois, un soir on s'arrête dans un petit coin, on se pose et il faisait déjà nuit, il y en un hop on le voit plus, on l'a retrouvé tout de suite il était derrière un camion mais c'est à ce moment là je me suis dit si jamais il est parti dans un sens comment on va faire pour le retrouver? c'est la nuit on ne va rien voir. Il y a plein de notions qui sont à intégrer, il faut vraiment avoir bien l'oeil sur eux en les laissant faire leur vie tout seul parce qu'il ne se passe pas grand chose entre eux.

Moi ça m'a beaucoup apporté du point de vue personnel, faut aussi vachement être cadré toi dans ta tête sur ce que tu veux leur demander, moi j'ai toujours été au boulot même si des fois t'es fatigué, content d'y aller.

Est-ce qu'ils te préoccupaient ces enfants, en dehors du travail?

Des fois mais vraiment pas souvent.

C'est du nursing qu'on faisait, l'habillage, la toilette et tout ça... il y a plein d'autres choses que j'aurais pu faire mais c'était pas possible alors je me suis dit de toute façon c'est pas avec ce cadre là que je pourrais faire d'autres choses parce que j'aurais pas le temps. Alors il y en a qui ont essayé de faire des choses comme ça, poney par exemple, ça veut dire que quand elles étaient en repos fallait venir, heureusement ça leur tirait un petit truc positif parce qu'il y en avaient qui avait l'impression de faire un travail de merde, d'être là pour torcher des culs, parce que tu as les autres des hôpitaux de jour, c'est pas qu'ils viennent pas t'aider à changer les couches des gamins mais toi tu fais ça et eux ils font ça et jamais ça changera. On s'occupait de tout ce qui était de la vie quotidienne et puis c'était très bien, content, et quand il y avait des synthèses à préparer je me suis toujours débrouillé pour les faire sur mon temps de travail. On a pas eu trop de gens malades. Ils pompent ton énergie puis bon, ils te vampirisent, il faut rester calme s'il se mutile ou s'il fait ça, il a aussi peut-être ses bonnes raisons et puis à côté de ça on avait pas tellement de travail, on avait une réunion institutionnelle une fois par semaine, une réunion de fonctionnement interne sur le fonctionnement de l'équipe et une réunion institutionnelle où il n’y avait jamais rien d'intéressant parce que c'était la seule réunion et il y avait une demi heure d'informations diverses. Les synthèses c'était une fois par an, en plus tu avais toutes les personnes des hôpitaux de jour pour les réunions. L'internat a beaucoup plus pris de place dans les synthèses, les gens qui travaillent à la journée avaient presque pas le temps de dire ce qui se passait dans leur groupe parce que nous on a vachement développer la partie internat, comment ça se passait alors qu'avant ça devait aller beaucoup plus vite côté internat, c'est une manière d'avoir de la reconnaissance parce qu'on a pas beaucoup de reconnaissance, le mot guérison n'existe pas en psychiatrie.

Tu avais une supervision?

Non, ça été installé après par un médecin, j'ai dû y aller une fois ou deux. C'était pas vraiment une supervision, c'était plus un temps de parole, c'était avec un psychologue du service, c'était la demande de certaines personnes de l'équipe, pourquoi pas mais...

Conférences, formations?

J'ai fait des formations. Dr L. se débrouillait pour que tous les ans il y ait trois journées de formation internes à C.... C'était les équipes qui choisissaient le thème. A l'internat on avait un peu de la difficulté à y aller car on avait les enfants à garder. Les gens qui les avaient à la journée ne se sentant pas concernés ce jour là, on se relayait entre nous. J'ai fait une formation initiation et découverte de la musicothérapie, je n'ai pas pu appliquer où j'étais là bas mais bon, j'ai eu cette formation là.

Je n'ai jamais voulu rentrer, j'ai même pas, si j'ai mes trucs de l'école qui me restent mais je n'ai pas lu de livres, j'ai lu des romans pas des bouquins techniques. Plus pour rester, par ce que je pouvais connaître de l'enfance, par mon passé de travail avec l'enfance dite normale, ce qui s'est passé avec mes enfants à moi, trois garçons assez rapprochés donc quand je faisais les cours je faisais correspondre des choses et puis ce que je peux penser de la vie à un niveau personnel, un amalgame de tout ça pour vivre avec ces enfants là et je n'ai pas théorisé dessus, je n'ai pas amené de machins, de trucmuches. Pour moi l'autiste est un peu bloqué, et après il y a les comportements autistiques. Je vois plus l'autiste pur comme un gamin qui comprend tout ce que tu lui dis, qui a une évolution physique normale, qui s'habille, qui mange etc... mais qui est perturbé par des trucs comme les gamins qui s'automutilent, comme les deux enfants qui sont ici qui font des trucs de bave, de regard qui fuit après il y en a d'autres qui ont des comportements autistiques, ils sont en retrait par rapport aux autres, ils ne supportent pas qu'on les touche, mais le reste ils ne sont pas du tout autistes, un peu une grande valise. Moi c'est plus avec cette population là que je sens quelque chose passer pour travailler avec eux. Tu te demandes ce qui se passe, tu te demandes pourquoi, parce qu'il est comme les autres, normal, joli, il présente bien mais il est autiste. Et alors là le pourquoi, on peut s'en aller dans plein de directions, on ne sait pas si on aura raison et à quoi ça servira de toute façon. L'autisme c'est carré.

Ce serait l'image que tu en aurais?

Ouais, ouais. Il peut aussi être pas très joli et à quinze ans avoir des couches, manger comme un porc. Ce n'est pas parce qu'il va savoir s'habiller, c'est un registre, tu sens qu'il a l'intelligence qu'il comprend tout ce qui se passe, qu'il est là et qu'il est pas là en même temps, il y en a un des gamins je n'ai jamais croisé son regard bleu presque transparent, tu le regardes tu ne le vois pas et il ne te voit pas, la voie d'accès directe au cerveau et à la personnalité tu ne l'as pas. Donc un jour il s'est fait mal, il saignait et là il est venu et vraiment il m'a regardé, c'était vraiment "au secours fais quelque chose" il y avait une marre de sang derrière, depuis ce jour nos regards se croisaient de temps en temps mais il n'était plus vide son regard, il y avait quelque chose qui s'était passé.

Ces enfants ont des comportements complètement différents suivants avec qui ils sont. Le gamin qui s'automutile il ne peut pas sortir, il ne supporte pas de sortir, le ciel lui tombe sur la tête. Il ne peut pas ou alors c'est avec ses couvertures, etc et quand le moniteur de sport l'emmène promener il sort sans rien, juste un manteau. Ils sortaient une demi heure donc c'est complexe comme histoire, tellement complexe que personne ne comprend rien. Il y en a qui aimeraient bien que ça passe pour un handicap, ça rassurait les familles et tout le monde tandis que là on sait vraiment pas d'où ça vient et à mon avis il faudrait réfléchir beaucoup plus loin.