INTERVIEW N°7
IME. - Ch. et C., éducatrices spécialisées

Ch. : moi j’ai eu une petite fille que l’on a rentrée à cinq ans et demi, une enfant un peu renfermée dans son monde, une enfant qui nous a été présentée comme intelligente mais enfermée dans sa maladie. Elle a été orientée par le secteur psychiatrique, un CMP, et la maman qui nous a amené l’enfant pour la présenter était démunie par ce que sa petite fille était refusée partout : en maternelle ils la toléraient une ou deux matinées par semaine, les centres de jour qui normalement sont faits pour ça n’en voulaient pas car ils la trouvaient trop difficile et en fait il y avait eu un essai ici. On la prise en stage pendant trois jours, alors c’est vrai que le premier et le deuxième jour se sont très mal passés, elle criait, elle nous balançait tout dans la classe, elle ne répondait pas aux consignes, elle déstabilisait le groupe d’enfants que j’avais et elle était même agressive avec les autres et je me suis dit « si c’est comme ça c’est pas possible à gérer » et en fait le troisième jour, ça c’était tellement mal passé, c’était pas sa place, nous on est un IME avec des projets d’apprentissage, avec des exigences, là ça remettait tout en cause le programme et puis... comment dire, au niveau des autres enfants qui étaient dans un autre processus, ce sont des enfants qui sont psychotiques mais qui sont capables d’évolution, au niveau du comportement en tout cas, ça les déstabilisait par rapport à leur fragilité, ça les perturbait. Et le troisième jour, je me suis dit on va pas passer une journée comme ça. Quand la maman m’a amené P. je l’ai prise et je lui ai dit : « tu vas aller t’asseoir avec les autres ». A l’accueil du matin, ils allaient tous s’asseoir autour de la table c’était un moment comme ça, je ne voulais pas d’éparpillement dans la classe, je voulais qu’ils se retrouvent, qu’ils créent des liens entre eux qu’ils échangent avant qu’on parte sur une autre activité. P. a eu du mal à s’asseoir donc je l’ai prise un peu fermement, elle s’est relevée en criant un peu et je lui ai dit : « P. tu peux crier tant que tu veux si tu n’es pas contente c’est ton droit, par contre tu vas t’asseoir comme les autres car ça je l’exige ». Elle s’est assise avec les autres interloquée, elle avait bien compris ce que j’avais dit, je l’ai inscrite comme ça dans le cadre. Elle a accepté les règles. J’ai pris P. dans la mesure où elle pouvait s’inscrire dans le cadre et où elle pouvait ne pas déstabiliser le groupe et après je l’ai gardée pendant sept ans parce qu’après personne n’en voulait. Mais il n’y aura pas une deuxième comme ça ! je l’ai fait une fois pas deux. Elle est restée là longtemps et le fait de l’avoir cadrée, elle était vivable, elle a pu avoir un peu des relations avec les autres, ils l’ont acceptée mais elle est pas sortie de son autisme. C’était pas son lieu ici, il lui aurait fallu un lieu de vie parce que... alors ce que je faisais le matin c’est de lui demander un petit moment de rester avec nous autour de la table et après elle pouvait faire un petit peu si j’exigeais sinon elle balançait tout. Pendant sept ans j’ai fait que ça avec elle. Il y a eu une proposition de thérapie qui n’a pas abouti car la maman a ... il y avait un lien fusionnel avec la mère et la thérapie c’était avec l’enfant et la maman n’a pas supporté. C’était compliqué il aurait fallu faire un gros travail avec la famille. Moi mon point de vue, si on avait voulu faire évoluer cette enfant, c’était une famille adorable, très compréhensive mais en même temps il y avait un besoin de faire un travail avec elle pour un peu couper ce lien. C’est une enfant qui bouffait sa mère, nous on l’a eue en camp elle refusait de dormir toute seule, la première année elle était entre nous, elle se levait, elle venait dans mon lit, je refusais, elle hurlait dès que je me levais. La deuxième année on avait eu la possibilité de la mettre seule dans une chambre et en fait on la fermait dans la chambre pour qu’elle accepte de venir seule et ça durait deux jours. Elle ne s’est jamais mise en danger dans la chambre. Des fois pour soulager, elle allait dormir dans le lit de son frère. Mais c’était mettre le frère en difficulté.

C. : Et une fois, cette mère avait raconté que son fils avait rendu une copie, il n’avait jamais voulu mettre son nom, c’est pas anodin.

Ch. : la famille tournait autour de cette petite et était tributaire de ça, la mère ne laissait pas sa place au frère. Moi j’avais réussi à cadrer mais c’était difficile, à des moments ça me donnait une image très dure.

C. : on avait l’impression qu’elle était existante mais avec nous

Ch. : et puis elle était très bien, elle me suivait de partout. Elle ne parlait pas juste « ma,ma, ma », elle en avait la possibilité. Il y avait un petit garçon qu’elle avait bien investi, elle arrivait à dire son nom. Elle avait des attitudes intelligentes, moi je l’ai fait participer à des attitudes de déplacement, elle était la seule à ne pas suivre les autres, à trouver par exemple la solution, elle était vive.

C’est la seule enfant comme elle que vous ayez eu ?

Là, j’ai un petit garçon K. qui en sort. L’année dernière il allait encore un jour et demi en centre de jour, il avait gardé son image d’autiste, il ne parlait pas, et ici il nous répétait des poésies, il parlait. Ils sont forts, ici quand il a vu qu’on lui demandait de s’inscrire dans quelque chose, il s’est inscrit là dedans.

Les enfants autistes sont attachants, moi j’ai travaillé pendant trois ans avec une école analytique de Grenoble où j’allais à des réunions. J’adhère assez à l’idée qu’il faut les inscrire dans quelque chose, avoir un cadre. J’ai assisté à une conférence du docteur P., et à ce que peuvent dire ces gens, le cadre est sécurisant, ça les aide à se construire et ne pas les laisser s’enfoncer dans la folie car l’angoisse les rend encore plus fous. A l’IME j’ai un groupe de sept enfants, à des moments je suis doublée mais pas toujours, je peux pas faire de l’individuel. Ce dont je me suis rendue compte avec l’expérience c’est que moi je suis là pour les aider à sortir de leurs difficultés et je fais ça avec ce que je peux.

C. : surtout aussi qu’on est là pour travailler sur la réalité, je suis éducatrice aussi et notre formation au départ c’est surtout ça. Ça ne fait que onze mois que je travaille sur le groupe de polyhandicapés et avant j’ai travaillé trois ans sur un groupe d’enfants, un qui était autiste, un qui avait une psychose infantile précoce et un autre trisomique et autiste, trisomique avec un profil psychotique. Ils devenaient un peu plus grands et commençaient un peu à s’en sortir. Ce sont des enfants qui très jeunes ont été placés en IMP et ce qui s’est passé c’est que je sortais de ma formation et je suis tombée avec ce groupe d’enfants là, donc autant déstabilisant pour moi que pour eux et la seule manière que j’ai trouvée pour créer quelque chose avec eux, notre objectif premier c’est de les ramener à la réalité, ça été de ritualiser les journées. En fait elles se répétaient, moins je faisais en sorte qu’elles se répètent mais ce qu’ils renvoient c’est qu’on ne sait jamais ce qui va se passer. Toujours dans la ritualisation et dans le cadre sans être trop rigide parce qu’au départ j’étais énormément rigide, je me suis rendue compte que moi je m’enfermais en même temps qu’eux.

C’était un projet de l’équipe ?

Non j’étais toute seule sur le groupe, j’ai amené ça à l’équipe et comme il n’y avait pas de projet à proprement dit par rapport à ce groupe il fallait bien que je fasse quelque chose, je ne connaissais pas cette population, cette pathologie, à part P. puisque j’ai fait un stage pendant que j’étais en formation. Donc ce que je connaissais de l’autisme c’est ce que j’avais vu en cours, et avant ma formation d’éducateur spé. j’avais fait une formation, j’ai une licence de psycho donc mais je ne connaissais que ça, que de la théorie en fait, je n’avais jamais vu la pratique donc il fallait que je me débrouille comme je pouvais avec ça. On avait deux enfants qui étaient vraiment enfermés dans leur monde. Il y en a un, il avait l’avantage d’être trisomique. Les deux approches sont bien différentes car il y a quand même ce côté trisomique qui apparaît de temps en temps pas joueur, mais un peu affectif et à partir du moment où l’on pouvait rentrer en relation avec lui ce côté là pouvait apparaître et ça consolidait encore plus la relation qu’on avait pu mettre en place avec lui. Ce garçon il était déjà un peu grand et vraiment replié et il va avoir du mal à en sortir car maintenant il doit avoir seize ans. Il avait des stéréotypies, des balancements, s’écouter faire du bruit enfin complètement dans son monde. Dans la pièce que j’avais et qui était très grande il avait son coin, il adorait des gros cubes légo, il entourait parfois une table, en fait on lui a fait choisir un coin surtout dans les moments où il était très angoissé, il se mettait dans ce coin là, il se déchargeait un peu et ça c’était génial, ça me permettait comme j’étais toute seule, seule quand tu n’as pas une équipe qui suit derrière, je ne l’aurais pas fait deux ans ! c’est vrai qu’il faut quelqu’un pour avoir un renvoi par rapport à eux parce qu’on avance plus au bout d’un moment et puis je ne sais pas c’est vachement important d’être plusieurs pour pouvoir se passer le relais, c’est quand même des enfants qui puisent. F. prenait les cubes et construisait quand il n’était pas bien, il refaisait la table tout autour, il refaisait les chaises donc dans son coin, il le faisait autour de lui. En fait mes journées, elles étaient simples, ils arrivaient et il y avait les toilettes, parce que F. quand il était pas bien ou qu’il ne connaissait pas, il prenait son caca et il en mettait de partout comme beaucoup d’enfant qui sont comme lui, et c’est pas très agréable, quand il y a les autres et qu’il y a du caca partout on ne sait pas très bien par où s’y prendre, en ritualisant les journées et en le posant un peu, les autres ils trouvaient leur compte. Un autre qui était vraiment dans l’autisme, ils arrivaient chacun à avoir leur place. En fait on avait une table, on se réunissait après les toilettes, après l’accueil du matin où ils se posaient, où ils avaient chacun leur place et ça n’a pas bougé de toute l’année. Lui volontairement je l’avais à côté de moi sans l’avoir trop près de moi parce qu’il était tout de suite dans ... déjà il n’acceptait pas qu’on le touche, par contre quand j’ai commencé à rentrer en relation avec lui alors là il était sur moi pratiquement, donc il fallait mettre des distances par rapport à tout ce qu’on peut faire. Après je leur proposais des activités, il y avait l’accueil, je répétais toujours ce qui allait se passer, c’est vrai des fois j’avais l’impression, ils ne parlaient pas tous, j’avais l’impression de me rabacher, c’est pour ça, aussi qu’on a besoin d’avoir un renvoi, des gens qui nous disent « non non c’est bon ». Quand il y a des stagiaires qui passent ils nous disent pourquoi vous leur parlez comme ça ils ne comprennent rien. Des fois je faisais la demande et la réponse, heureusement qu’il y avait les carnets des parents ou de l’internat qui permettaient de meubler, enfin de mettre un support sur quoi parler parce que des fois on est pas toujours en forme et ça c’est une chose ils ont besoin de l’entendre, ils peuvent entendre que l’on ne va pas très bien que l’on a des hauts et des bas comme eux, en général la journée se passait comme sur des roulettes. Si j’avais le malheur de ne rien dire, là je me mordais les doigts toute la journée et à la fin je n’avais plus qu’aller ne pas me suicider mais presque ! l’accueil c’était un moment où l’on est chacun à sa place où l’on ne colle pas, on est pas les uns sur les autres donc il y avait une seule chose, je leur prenais les mains quand je leur parlais, je savais plus trop, ils savaient à qui je m’adressais, mais c’était une manière de m’adresser un peu mieux à eux . Après on avait des activités, j’avais mis en place une activité terre, là il y avait des choses très importantes et on a demandé plusieurs fois à avoir soit de la supervision, des choses par rapport à cette activité surtout avec ce groupe d’enfants. Moi je travaille beaucoup sur la trace et ce qui se passait c’est que F. à partir du moment où l’on a commencé à travailler la terre, au départ il faisait pipi dans la culotte, à la fin de chaque activité, et le caca il assimilait la terre, quand on leur présente une boule de terre, il l’assimilait à une crotte et au départ il réagissait, il en mettait de partout, il prenait la terre et il l’écrasait de partout et ça j’aurais bien aimé qu’on voit des choses par rapport à ça parce que bon j’ai stagné. J’ai continué mon activité dans les projets que j’avais mis en place, tout en tenant compte d’eux parce qu’on ne sait jamais trop où ils vont aller et il y avait des règles aussi, la terre il fallait pas qu’elle aille par terre, elle restait sur la table, il y avait plein de règles comme ça et c’est vrai qu’au fur et à mesure il a arrêté, il morcelait la terre mais il a arrêté d’en mettre partout. Comme il a arrêté progressivement de faire caca, il n’en mettait plus partout par compte dès qu’il y avait une personne nouvelle il recommençait, comme quoi c’est bien réactionnel. Il y avait une activité le matin, ça pouvait être aussi une histoire, les histoires étaient mimées, ça pouvait être du graphisme mais pour la plupart c’était pas leur truc, c’était difficile d’avoir sept enfants avec des pathologies qui pouvaient être semblables pour certains et puis d’autres un peu moins mais bon ils n’étaient pas que des déficients donc je pouvais pas que m’axer sur, ce n’était pas que des psychotiques de bon niveau à qui l’on pouvait proposer du parascolaire, c’était des tout petits au niveau de ce qu’on pouvait leur proposer et en fait il y avait la récréation après l’activité et c’était le moment où l’on soufflait, les enfants plus autistes étaient dans leur coin et volontairement on les laissait dans leur coin avec leurs stéréotypies, c’était leur moment à eux. Comme c’était un moment informel ils rentraient tout de suite dans leurs stéréotypies, j’y pense il y avait F. mais le garçon trisomique lui aussi était bien dans ses stéréotypies et en fait on les amenait à jouer avec les autres mais ça c’était dans un cadre plus formel. Après la récréation il n’y avait pas d’activité, je les prenais plus en individuel, le repas arrivait tout de suite après et puis il y avait les toilettes. C’était tout le temps comme, il y avait toujours les mêmes moments qui restaient. A table on avait tout essayé, la première année ils mangeaient tous ensemble et ce n’était pas une mince affaire ! on était quand même deux adultes à table parce qu’on mangeait tous ensemble dans l’établissement. Ce qui se passait : F. quand ça allait pas, parce qu’il y avait du bruit, il ne supportait pas les gens qui changeaient, le gros truc c’était soit de vider les pots de fleurs, les verres, il réagissait. On essayait, pas de contourner mais de limiter les dégâts et après les lavages de dents, bon il y avait tout ça, c’étaient des moments répétés. Une autre activité l’après midi et on partait le soir pareil, la table c’était un lieu qui était à l’accueil, avant le repas, après le repas, après l’activité, donc ils avaient toujours la même place à cette table, c’était vraiment le rituel et le soir avant de partir, ça me permettait de faire passer des choses cette table. Ils savaient ce qui allait se passer, ils pouvaient se poser. Et ce qui est marrant c’est que l’année d’après il y a eu un projet institutionnel, du groupe d’éducation, enfin de la section d’éducation, on a suivi exactement ce que disent les annexes 24 et donc on a intégré ce groupe d’enfants au niveau de l’accueil, des repas et des départs à tous les autres groupes. On s’est dit « ouh là là qu’est-ce que ça va faire ? » tout était perturbateur pour eux et sujet à angoisse et finalement ils ont tous trouvé leur compte à part certains, celui qui a le moins retrouvé son compte c’est un enfant qui a une psychose infantile précoce et connu comme le loup blanc avant de venir dans notre institution parce qu’il faisait ce qu’il voulait. Celui qui était trisomique sortait un peu plus. On les a pas senti se déstructurer c’est comme si les autres enfants les acceptaient mieux. J. est arrivé chez nous c’était un peu comme l’enfant sauvage et il en est à produire des mots. J’y suis allée beaucoup au feeling, ils ont tous leurs particularités et F. était dans son monde, il n’y avait moyen d’entrer en relation avec lui. Avec du recul je me suis rendue compte qu’il fallait que je sois à la limite de la fusion pour rentrer en communication avec lui et j’étais sur le bord, si j’avais été dans la fusion je me serais fait bouffer. J’étais obligée d’être en écho avec lui et accepter qu’il puisse m’englober dans son être et puis à la fois avoir assez, je ne sais pas si je pourrais le refaire, lui dire non « là je suis désolée ». Je pense que le cadre m’a permis de ne pas rentrer totalement dans cette fusion. Le fait d’avoir été rigide au départ ça m’a sécurisée, c’est une population qui angoisse au départ, sinon j’adore cette population mais ça n’a pas été tout rose tout le temps et j’arrive pas très bien à expliquer cette limite au niveau de la fusion, je pense que le cadre m’a aidée. Après avec F. j’ai pu rentrer en relation avec lui et puis après de lâcher la bride au niveau du rituel qui était beaucoup moins rigide.

Ch. : il y a des choses où l’enfant réessaie pour savoir s’il est toujours là et on est obligé de le poser, le but c’est qu’il l’intègre et qu’il passe à autre chose. C’est pour leur permettre de vivre ensemble parce s’il n’y a pas de cadre...

C. : ils sont partout à la fois

Ch. : entre eux ça peut être dramatique au niveau des agressions des choses comme ça

C. :N. quand il était en crise, il avait une force décuplée, moi j’avais été très surprise, ses crises il les dirigeait vers les pieds, il secouait la table, il te prenait dans son truc et il t’entraînait dans son truc et toi tu tombais et même un mec de deux mètres qui était balèze il le foutait par terre ! nous à côté on ne faisait pas le poids et ce qui se passe maintenant c’est que ses crises il les dirigeait à la tête. Il avait des colères qui étaient réellement des colères et il y avait celles qu’il créait c’est à dire que si on ne respectait pas certains passages pour entrer en relation avec lui, ou il prenait une crise avec un adulte qu’il ne supportait pas et il avait autant de force, on pensait qu’il s’était crée cette colère, c’est ce qu’on pensait comme on nous renvoyait rien il fallait bien qu’on pense comme on pouvait. En fait il y a une chose qui m’a beaucoup aidée j’étais enceinte à ce moment là, j’ai commencé avec eux je ne l’étais pas, je n’ai jamais vécu des moments aussi forts avec eux, avec ces enfants psychotiques et autistes. Par exemple N. n’a jamais pris une crise avec moi, du moins j’avais déplacé ses crises, quand il les prenait, il entendait rien, en fait c’est ma grossesse qui m’a fait penser à ça, j’allais pas me mettre en danger et la première réaction que j’ai eue la première fois, j’ai essayé plein de choses, il ne fallait pas se mettre dans « ses pattes », on avait aussi essayer d’englober l’enfant pour qu’il s’apaise, et la seule chose qui marchait c’était de lui tendre un gant de toilette d’eau froide, je l’ai fait comme ça, et c’est lui qui gérait la chose pour se calmer. Au début c’était un peu direct on lui jetait le gant de toilette d’eau froide ça lui faisait une réaction, il s’apaisait mais c’était assez violent comme geste, il y a eu un verre d’eau. A la fin il prenait le gant de toilette, on lui disait de se calmer et qu’on en discuterait après et en fait on en discutait après avec lui et on avait l’impression qu’il y avait plein de choses qui se passaient. Quand j’étais enceinte je lui disais : « tu sais C. elle attend un bébé ou j’attends un bébé », eh bien le nombre de fois où ils sont venus mettre la main sur le ventre et qu’ils se sont calmés, alors ça, j’en ai même pleuré tellement ça me brassait. Je ne sais pas si ça se passe avec tous les enfants autistes mais avec eux je ne me sentais pas du tout en danger parce que je savais qu’il respectait qui j’étais et comment j’étais à ce moment là et en fait aussi parce que dans ce qu’on a mis en place on les respectait aussi.

Ch. : c’est qu’avec ces enfants j’ai toujours mis une distance avec eux même au niveau du contact physique. La communication c’était le langage donc les choses étaient dites quand ça me paraissait important. Et puis je faisais évoluer la relation par exemple, avec P. je m’en occupais pendant 1h30 à 2h en individuel. J’allais à G... et je lui faisais faire du manège, au début deux tours puis un tour et il fallait qu’elle accepte la frustration. La relation ce n’était plus dans une fusion mais ailleurs mais ça été très vite limité car elle était dans un enfermement tel que je n’ai pas pu aller très loin.

Quels ressentis ?

Moi c’est ... je suis comme ça c’est pas qu’elle, je n’aime pas quand on envahit mon espace, c’est clair, ça ne me renvoyait ni angoisse ni rien par contre quand je suis avec les autres je n’aime pas qu’on envahisse mon espace et c’était de cet ordre là tout simplement. C’est pas parce qu’elle était psychotique que je devais me laisser envahir.

Impression de ne plus pouvoir penser ?

non jamais, je ne me suis jamais positionnée dans le vide avec eux en me disant « on va voir », c’est moi qui posait les choses et ils s’inscrivaient dans ce que je posais. Il y a des choses qui étaient de l’ordre de l’observation où à des moments ..

C. : à des moments informels où ils sont dans leur coin, on est pas près d’eux, on est en recul, ça nous permet de ne pas avoir ces moments où l’on se sent vide, moi je sais que c’est la seule chose que j’ai trouvée pour ne pas être détruite, parce que en avoir six qui renvoient tous quelque chose de différent . Le fait qu’ils aient leur coin, que je puisse compter sur l’espace, qu’il y ait ce respect avec eux mais justement en étant observateur ça permet de ne pas être envahi par leur folie.

Ch. : si les enfants sentent la personne angoissée ou pas déterminée ça les renforce dans leur agression physique ou psychique. Dans le groupe je ne supporte pas qu’ils m’agressent, qu’ils agressent les autres et là dessus c’est très clair, si un enfant a une agression physique, je le mets à distance et ça ils l’entendent très bien. C’est pas parce qu’ils sont autistes que je vais accepter ça.

C. : ça c’est possible quand on travaille sur un système comme l’IMP où l’on peut poser un cadre précis parce que là ça fait onze mois que je travaille sur un groupe de polyhandicapés, il y en a trois ou quatre qui sont autistes et c’est la première chose que j’ai vue et quand j’en ai parlé, nous de ce côté là on a un problème entre le médical et l’éducatif et là le cadre est posé par rapport aux enfants qui sont polyhandicapés. La journée est faite par rapport à ce niveau là, on a deux « marchants » ( ! ! !) autistes, la frustration, là on voit qu’il leur manque quelque chose qui soit avec... là on peut pas travailler avec eux sur la frustration. C’est peut-être pour ça qu’on a autant de mal a fonctionner avec certains, comme le groupe n’est pas adapté à eux, ils ne s’y retrouvent pas, ils n’ont pas de repères, ils sont morcelés.

A Ch. quelles formations avez vous?

Réunion de groupe, on est souvent dans l’urgence, depuis à peu près un mois il y a des réunions d’analyse de la pratique, ça c’est bien, ça c’est une amélioration de nos conditions de travail depuis quelques temps.

C. : il y avait besoin de ça car souvent on ne peut pas dire les choses, les choses sont complètement déportées. Là on a un enfant sur le groupe, j’ai l’impression que de parler de lui, qui nous déroute totalement. On se passe le relais mais on rentre complètement dans son système. Quand on le voit comme ça on se dit que c’est le bon déficient et on se dit « non il est pas seulement débile » parce psychotique on ne s’est pas posé la question et en fait on se la pose même pas « non, non, il est que débile ». Une petite fille est arrivée, elle a cinq ans et c’est fou la différence, on se demande franchement ce qu’elle fait là, elle a tout le comportement autistique, les parents ont fait plein de démarches mais ils n’ont toujours pas eu de réponse. Elle a fait la méthode Tomatis mais bon, ici c’est leur seul recours et comme elle ne marche pas on l’a acceptée ici. Elle n’a pas de problème physiologique, elle fait de la rétention au niveau des selles, comme beaucoup d’enfants autistes, elle bouche tous les trous et elle peut être constipée sur trois semaines sans problème. En réunion quand on le dit on se fout presque de nous, en nous disant « mais non » je suis d’accord pour ne pas la laisser dans cette situation là mais au départ on veut pas admettre que ce n’est pas un problème physiologique. Donc on se heurte à un côté médical qui est assez important, ça c’est dû au fait qu’on travaille avec des enfants polyhandicapés . Cette enfant n’a rien à faire là et je ne sais pas comment elle peut évoluer, en plus elle est très fine, on a l’échopraxie, j’ai dû la prendre deux minutes pour lui expliquer eh bien c’est elle qui a mené le jeu d’entrée. Elle a une certaine intelligence quelque chose qui est derrière, en entretien c’est phénoménal, depuis qu’elle est née la maman a toujours été avec elle, elle n’a jamais été gardée, des nuits elle hurle. Elle commence à accepter le contact, tout ce qui est nouveau est difficile. Elle comprend tout ce qu’on lui dit, alors qu’aux autres on a l’impression de parler à des bébés. Par rapport aux autres elle est intelligente on va dire ça comme ça. Quand on voit comment elle évolue, on met beaucoup d’espoir derrière un enfant qui est très jeune. Elle ne prenait aucun objet, maintenant elle peut prendre son biberon toute seule, elle accepte, elle vient nous toucher. J’ai été très choquée quand ils lui ont fait une coque, alors là je hurlais, avec tous les espoirs qu’on met derrière, notre directrice a une formation psy et c’est vrai qu’après un entretien avec ses parents elle est venue nous voir et nous dire qu’il y avait beaucoup d’espoir. Pendant l’entretien, l’enfant à tout ce qu’on a dit a eu une réaction. Le matin la maman n’ose pas la réveiller, elle lui pose pas de cadre, elle la met à 10 h ou 11h mais nous ça perturbe notre organisation, nous on a dit, on peut pas. Avant les vacances ça a commencé à se régler, là depuis quelques temps elle vient à 9 heures /9h 30. A un moment la mère a parlé de la méthode Tomatis et du moment où il lui faisait écouter le stade foetale et la petite criait à ce moment là. Elle est aussi un peu partout, quand elle est quelque part, elle a besoin de repérer, de voir les gens qui sont là. Elle fuyait notre regard mais maintenant elle nous regarde. Par contre quand il y a une stagiaire elle n’accepte pas le changement. Mais on est trop dans le maternage donc si on continue elle va évoluer au début puis elle va stagner. On en a une qui est beaucoup grande (douze ans), elle chante des chansons qu’elle répète et on peut pas travailler avec elle, elle a des périodes où elle va baver, quand elle ne veut pas elle ferme les yeux très forts, la frustration quand on lui enlève son jeu elle hurle après elle va nous taper. Mais on ne peut pas instaurer quelque chose de stable, de constructif parce que les autres sont encore plus bas qu’elle. Ces enfants là sur un groupe de poly n’ont pas du tout leur place.

Une formation spécifique pour le groupe d’enfants autiste ?

Le groupe que j’ai eu au début c’est celui qu’on refile à tous les débutants, personne ne les voulait vraiment, j’estime qu’ils n’ont pas leur place en IMP, on n’a pas les moyens de faire des choses correctes dans un IMP, d’avoir un suivi. Je trouve que pour travailler avec ces enfants là il faudrait une personne et pas avec six ou sept enfants parce que l’enfermement il est rapide .

Réunions ?

Réunions classiques une fois par semaine ou réunion générale où l’on parle des trucs d’urgence. Mais tout ce qui était supervision, rencontre avec les psychologues ça se faisait pas. A la fin on essaie de faire avec ce qu’on a. Au retour de mon congé maternité j’ai été très surprise de les voir, il y a eu une cassure mais il n’y avait l’idée d’abandon, comme si ils savaient que j’allais revenir et ils ne sont pas complètement stupides ! je n’ai pas eu de démarche de supervision à cause de mon congé maternité après il y a eu notre projet qu’on a mis en place. On est vraiment parti des annexes, on m’a promis au cours des années un travail de supervision pas forcément individuel mais on nous disait ça va peut-être pouvoir être possible mais en fait ça continue, il n’y en a toujours pas. Je pense que c’est quelque chose qui ici fait peur ; à un établissement ça c’est mis en place mais avec plein de réticences avec une forte demande des gens alors que pour une fois la direction nous propose, souvent c’est la direction qui n’en veut pas. Dans les IMP on n’en entend presque jamais parler, à part si on fait une supervision personnelle on est souvent seul face à notre travail. Quand on a un problème on en parle mais c’est vraiment la sonnette d’alarme. Déjà le petit J. qui semblerait autiste, déjà pas la moitié de l’établissement qui est d’accord, ils veulent pas l’admettre mais nous ça peut nous permettre de travailler parce qu’il est déroutant cet enfant. On se passe le relais, on arrête pas, on rentre dans son système. On ne sait plus ce qu’on peut mettre en place pour lui, qu’est-ce qu’il est possible de faire avec cet enfant. En fait, cet établissement c’est vraiment un problème : des fois on accepte telle population et tel enfant avec tel profil parce qu’on en a accueilli d’autres comme ça. En travaillant avec eux on se dit il faut qu’on arrête mais c’est pas toujours possible.