INTERVIEW N°8
IME (internat) - Rencontre avec des éducateurs spécialisés s’occupant d’un groupe d’enfants autistes : J. depuis treize ans dans l’institution ; M.C. depuis vingt quatre ans ; M. Ch. depuis treize ans ; S. depuis quatre ans

Ils ont souhaité s’exprimer en groupe et que je prenne des notes manuscrites. C’est surtout J. qui a pris la parole.

Depuis treize ans, je travaille avec des jeunes autistes. Il y a un groupe d’autistes depuis six ans. J’ai aidé les jeunes avec une approche analytique (Bettheleim, Kanner, Winnicott, M. Klein) que j’ai acquise par des lectures, des formations théoriques, des échanges avec les collègues et les psychiatres. Depuis quatre ans nous avons une formation d’éducation structurée : théorie, pratique, évaluation.

(Q) c’est le programme TEACCH.

Notre questionnement était le suivant : toutes les aides que l’on pouvait apporter aux jeunes étaient insuffisantes, il n’y avait pas de résultats. S’il y avait une amélioration il était difficile de se rendre compte d’où ça venait. C’est un domaine où l’imagination travaille beaucoup, beaucoup de plaisir à penser la théorie et à paraître hermétique. Il ne fallait surtout pas dévoiler ce qui se passait entre les éducateurs et les jeunes, c’était seulement en supervision avec le psychiatre qui faisait une analyse des attitudes et des comportements. On nous demandait surtout de ne pas exiger mais il fallait attendre le désir, il fallait leur laisser le temps. Les activités que l’on faisait étaient un support à la relation, pour donner envie aux jeunes de faire des choses. On faisait beaucoup d’activités d’expression (peinture, contes, marionnettes). Le principe c’était qu’ils ne voulaient pas faire mais savaient, cette relation devait les aider à faire. Il n’y avait pas d’apprentissage scolaire, c’est le jeune qui décidait d’aller en classe et aussi du temps qu’il voulait rester. Tout se passait au niveau relationnel, quand l’éducateur était absent (en maladie, en congé), c’était la catastrophe. On a des manières très différentes de fonctionner. On interprétait cette difficulté sur le fait que l’éducateur avait coupé la relation avec le jeune. Le jeune avait remarqué nos manies, nos habitudes, nos seuils de tolérance, ça l’avait sécurisé au bout d’un certain temps.

Les questions clefs que l’on s’est posé c’est l’autonomie, comment on les prépare à l’âge adulte ? comme ils ne voulaient pas se laver alors on les lavait. On avait l’impression d’entretenir une relation et ensuite les larguer. Notre objectif était de construire un « moi » suffisamment solide, de détruire une relation avec la mère et reconstruire quelque chose. Je le croyais et je le vivais de manière sincère. On s’est rendu compte de l’aide insuffisante à apporter. On a toujours cherché à approfondir le travail que l’on faisait. C’était uniquement des formations à base analytique. Il y avait beaucoup d’insatisfaction, quand on faisait le jardin la progression c’était que le jeune ne pousse pas un autre. Il y a beaucoup de choses que l’on fait maintenant et que l’on essayait de faire avant.

Il fallait surtout leur parler, mettre des mots sur leur douleur et leur souffrance, sur le comportement, faire des interprétations multiples. Calmer par des mots, s’isoler avec un jeune. Le jeune c’était cyclique, les attitudes revenaient, les crises de boulimie aussi. On ne savait pas.

On créait un cocon dans lequel on s’adaptait mutuellement et c’était terminé, on surprotégeait les jeunes. On ne voyait pas beaucoup de progression. Le psychiatre essayait de nous éclairer, mais après avoir analysé un comportement on n’avait pas de solution. Au quotidien qu’est-ce qu’on fait de cette analyse ? Les bribes et les pistes n’étaient pas satisfaisantes.

On a appris que dans la région il y avait un séminaire sur TEACCH. On n’était pas emballé, on s’est dit qu’il fallait aller voir plus loin. On a pris des renseignements sur la méthode Doman, sur les packs, on était quand même méfiants. On s’est dit, on ne savait pas trop, ça faisait comportementaliste. On a fait une semaine de stage théorique et une semaine de stage pratique une année plus tard. On a beaucoup réfléchi, ça nous a brassés. Considérer l’autisme comme un handicap et non pas comme une maladie mentale, on a mis longtemps avant de prendre conscience, avant d’admettre, qu’on naît autiste.

Avant on pensait qu’ils s’étaient retirés d’un monde affreux. Quelque chose nous paraît plus clair, la compréhension, le repli c’est un réel handicap. En plus, les parents paraissaient si équilibrés, avec d’autres enfants normaux, ça nous paraissait difficilement croyable... la culpabilité que traînait les parents...

En fait, il y a des tentatives de communication de la part des jeunes qui passent par les troubles du comportement, les problèmes de langage. C’est de savoir si le jeune sait ce qu’il doit faire, quand il doit le faire, qu’est-ce qu’il va faire après. S’il n’a pas ces réponses il faut qu’on l’aide. La différence c’est le fait qu’on parlait beaucoup et qu’ils n’y pigeaient que dalle et le fait qu’on leur dise peu de choses. Par exemple, si on dit « va chercher un pot » le jeune part et revient sans rien. Par contre si on lui montre le pot, il le ramène. Avant on disait qu’il n’avait pas envie. A chaque fois qu’il y a des attitudes de jeunes, on essaie de comprendre ce que le jeune essaie d’exprimer et on lui donne des outils pour comprendre : aides visuelles, gestuelles et mots simples, beaucoup de cartes, d’objets. Ce sont des aides indispensables car verbalement c’est trop confus mais on ne passe pas que par les gestes. On considère que les jeunes ne peuvent pas faire, plutôt que ne veulent pas faire. On fait beaucoup d’apprentissages à tous les niveaux (socialisation, autonomie des besoins, outils simples). La vision que l’on a à présent des troubles du comportement est la suivante : on s’est rendu compte qu’un jeune qui a des troubles du comportement, c’est le seul moyen de faire comprendre quelque chose, c’est une forme de toute puissance. (L’autre éducateur : ça me gêne toute puissance.) Ils font des crises épouvantables pour faire céder, ils sont complètement paumés . Avant on pensait souffrance, il fallait absolument qu’on comprenne, maintenant on dit, ils veulent dire quelque chose.

Il y a aussi cette attirance pour les moments d’émotion : c’est un plaisir très important. Quand ils se font disputer, ils vont rechercher ces moments. Plaisir d’un jeune qui fuguait et qui se faisait engueuler par les parents. Si on pense maladie mentale on dira il est pervers . Mais c’est pareil pour deux personnes qui s’embrassent, un accident de voiture, il y a une excitation. C’est une mauvaise compréhension des situations sociales.

Les troubles du comportement on les refuse, on essaie de donner aux jeunes une façon de communiquer. Les crises se passent souvent dans les moments informels. Ils sont beaucoup dans la recherche de sensations, plus ils ont un bon niveau et plus ils titillent l’adulte, ils mettent la musique très fort. On va leur apprendre à avoir des activités adaptées à leurs niveaux. Quand on ne connaît pas une activité on ne peut pas avoir du plaisir, ils ont tout à découvrir. Leurs loisirs peuvent être différents des nôtres. Parfois on a du mal à accepter que ça soit un loisir (vaisselle et le ménage). Avant on faisait des activités en fonction de nos intérêts, maintenant on ne dit plus : « qu’est-ce que tu veux faire ? ». On se sert des évaluations, des PEP, ça a un rapport avec la vie quotidienne, les choses simples (remonter une fermeture éclair, piquer, visser/dévisser). Quand ils n’arrivent pas à faire quelque chose c’est que nous nous sommes plantés. Dès qu’ils sont devant une difficulté les troubles du comportement réapparaissent. Sans la compréhension théorique de l’autisme, on ne comprend pas. Il y a maintenant une reconnaissance officielle de l’autisme. La politique française est réticente. Il faut structurer leurs journées, leur vie avec des activités compréhensibles pour eux, des activités répétitives, mais aussi des activités différentes : courses, randonnées, piscine. Tous les matins c’est régulier, les activités sont individualisées avec un coin travail pour chaque enfant, les jeunes peuvent se reposer. Ou alors il y a une organisation pour des temps informels si possible. Avec les cartes ils savent ce qu’ils font. Pour une jeune, la présentation de la carte porte monnaie a calmé l’agitation et a permis de changer de magasin.

Un autre exemple : une enfant que l’on suivait constamment partout dans l’établissement, elle était insatisfaite de tout, elle hurlait tout le temps, il était même question de la réorienter. Au début on l’a aidée de manière un peu autoritaire, il y avait des fonctionnements à défaire. On a structuré ses journées, lui a donné des repères stables, il a fallu faire du forcing, la traîner, les activités duraient une minute, tout en hurlant. Les minutes ont augmenté, les éducateurs faisaient des relais car c’était difficile à supporter. Elle avait droit à de petites récompenses, un verre de coca par exemple. Maintenant elle travaille ¾ d’heure d’affilée.

Le passage de la maladie mentale au handicap n’a pas été facile, j’avais emmené plusieurs bouquins dont Tustin à la formation. On avait peur du comportementalisme ; on a pris ce qui nous a semblé le mieux pour les jeunes.

Cohérence est un principe important. Par exemple un garçon peut aller dans les chambres des filles quand l’éducateur est là, mais à quel moment le jeune peut entrer dans la chambre des filles ? socialement ils ne comprennent pas. Cette année une remplaçante n’a pas posé de problème aux jeunes car elle avait la même technique que nous. Avant on disait non aux visites. Maintenant la venue d’une personne étrangère ne pose pas de problème. Il y a quatre ans en arrière ils nous auraient sauté dessus au bout de dix minutes. Ils leur faut un environnement qu’ils comprennent, adapté à eux. Les salles restent les salles cuisine, TV... on évite les confusions.

Les réunions :

une réunion, une heure par semaine avec la directrice et les quatre éducateurs ;

une réunion avec le psychiatre, on fait le point sur le jeune, on discute des comportements , on parle des objectifs, le plus pratique possible. Par moments je sens des réticences de la part de la psychiatre ;

une réunion une fois par mois de deux à trois heures, on parle des différents moments de la vie de chaque jeune pour savoir si on est cohérent ;

trois jours l’année dernière, une supervision TEACCH.

Les remises en cause, non, les questionnements on les fait beaucoup entre nous mais un regard extérieur nous aiderait beaucoup.

Impression de répétition ?

Non, car il y a une progression. L’objectif à long terme c’est l’autonomie. Avant il y a plein d’étapes, des petits objectifs, qui ont peu de prétention, des objectifs palpables, c’est moins déprimant. Avant on ne travaillait que sur des hypothèses. On leur apporte une structuration intérieure, ça avance par petits pas, souvent on pense qu’il va y avoir généralisation d’un apprentissage et puis non. Le problème général c’est la généralisation.

(M. C) c’est surtout la lassitude, plus envie de rien faire car on ne faisait rien, il y avait toujours les mêmes difficultés de communication, de compréhension. Quelques uns ont essayé les packs. Quand on utilisait la méthode psychanalytique, on avait des temps individuels avec les jeunes, le mot que le jeune disait on devait le rapporter au psychanalyste. Si ça n’avait pas changé j’aurais quitté le groupe. Il y a eu un changement de personnel, j’ai mis en place un atelier bois. Pour passer le temps , pour dire que j’étais payée. Sinon il n’y avait rien de concret, j’ai passé des heures assise par terre avec le jeune, il fallait attendre, il ne bougeait pas.

Tourner en rond sans aucun projet précis, aucun être humain ne peut supporter. Les jeunes adoraient la nature, il m’a paru intéressant d’aménager les sentiers.

C la piscine, le ski de fond, on voulait les sortir mais on n’avait pas de projets individualisés.

J on se transformait en observateur (mimiques), on essayait d’exprimer ce qu’ils avaient à l’intérieur, par des chansons , des mimes. On notait ce qu’ils faisaient.

M.C je décrivais des gestes, les comportements, pourquoi il léchait la vitre ? à quel moment ? j’étais près de lui ou non...

dans la maison on avait une « aura », il y avait le groupe des psychotiques et le groupe des handicapés.

L’atelier sentier c’était les prémisses, des travaux clairs, des points de repère (projet en élaboration avec Sésame autisme pour les jeunes adultes). Les jeunes avaient des possibilités plus importantes que ce qu’on nous disait, en fait ils ne savaient pas faire. Par exemple, ils ne savaient pas prendre un piochon. Ils en retirent beaucoup de plaisir d’apprendre et de réussir.

M.C les troubles du comportement se sont abaissés, alors que c’était toute la journée.

S. Quand je suis venue visiter les jeunes, je les ai vus sur le sentier, en les voyant il n’y avait pas particulièrement de troubles de comportement, quelle différence avec l’internat ! c’est ce qui m’a le plus surprise .

Les journées étaient plus faciles à structurer, en atelier d’apprentissage c’est clair, il y a un travail futur. En internat c’est difficile, dans l’atelier c’est pour apprendre alors qu’en internat, les loisirs, c’est moins évident. Quand on a essayé de structurer leur vie, des différences théoriques se sont révélées incompatibles, certains disaient que les jeunes n’avaient pas envie ou ne savaient pas, par exemple pour se laver. C’étaient deux prises en charge de plus en plus éloignées, les autres c’était les mettre dans un cocon, ne pas les contrarier. Problème douloureux, beaucoup de conflits, de déni, jusqu'à ce que ça devienne impossible. Par exemple, il y avait une jeune qui recherchait des objets, des personnes lui en amenaient de chez elles, s’il arrivait qu’elles n’amènent rien c’était une crise épouvantable. C’était la discordance c’était devenu invivable, même pour les jeunes ça été dur, des troubles du comportement horribles, ce sont les jeunes qui prenaient tout. J’ai beaucoup poussé, il n’était plus possible de fonctionner de cette manière, c’est la directrice qui a pris la décision finale. D’où la grosse question : est-ce qu’il est possible de fonctionner avec deux approches si différentes ? à savoir l’autiste un handicapé, l’autiste un malade mental capable de comprendre tout ce qu’on lui dit.

A cette époque on aménageait l’environnement du jeune, si un jeune ne supportait pas les déchets, on les enlevait de sa vue. Un autre quand il est arrivé ne mangeait que de la banane écrasée et des yaourts, on ne lui proposait pas autre chose, comme il marchait pieds nus on le portait. On ne lui avait jamais proposé autre chose, on disait ça lui fait peur. L’interprétation analytique des morceaux c’était un découpement de la personnalité.

J. le choix de la nourriture, ils mangeaient à l’allure qu’ils voulaient, il fallait tout leur mettre sur la table, isoler un autre, couper la viande sans attendre. Peu à peu c’est devenu tendu avec le psychiatre, ce qu’on faisait était considéré comme la peste noire.

Après on n’était plus soignant mais éducatif.

Ce qui était difficile c’était de supporter de voir ces jeunes tourner en rond mais quand on est exigeant ils mettent six fois plus de temps pour le faire, on se dit qu’ils ne vont pas y arriver, ils s’en voient, on se dit qu’on est très dur avec eux, des fois on a cédé. Par exemple, pour qu’un jeune ne fugue plus de sa maison, on lui a dit qu’il aurait de l’argent de poche et qu’il pourrait faire les courses (il adore) s’il arrêtait de fuguer. Sinon il était puni de courses ? Il a fait des colères, crié, s’est mutilé mais c’était défini avec les parents et ça été bénéfique.

Pour l’apprentissage c’est souvent de la répétition il faut leur dire de se laver les dents après chaque repas du soir peut-être il faudra le faire jusqu'à ce qu’ils aient 20 ou 25 ans. Emotionnellement c’est difficile de se heurter à cette rigidité, on a toujours besoin d’un rappel théorique sur l’autisme, c’est pas pour nous emmerder qu’ils sont comme ça. Même les bisous, ils en font à n’importe qui, on casse leur élan affectif, « ce n’est pas le moment de » ou encore il y a une fille qui se jette dans les bras de n’importe qui. Au début je me disais on va les perturber et puis non. De l’extérieur on donne l’impression d’être rigide. Mais maintenant je considère mon travail comme du travail, avant c’était toujours interprétatif, on était un peu des apprentis sorciers.

M.C les jeunes étaient mis de côté, dans des pièces à part, on n’allait jamais à la fête de Noël. Maintenant le personnel connaît mieux les jeunes, on les présente aux autres personnels. On s’est toujours mis en retrait, ça date de cette époque. Matériellement on était isolé, on passait par une porte dérobée. Même nous on disait ils ne pourront pas s’adapter.

J. pour aider les jeunes il faut une très bonne compréhension théorique de l’autisme, c’est très difficile de les aider ou d’appliquer des choses que l’on comprend pas.

M.C dans quelle angoisse on a pu les avoir mis !

J. ce qui est très difficile c’est d’arriver à voir qu’un jeune ne peut pas exprimer ce qu’il voudrait.

M. C à tout leur faire, c’est difficile de ne pas faire à leur place, heureusement les collègues m’aident. Et puis quelle frustration quand on est pas là, on les habitue à se passer de nous.

M . Ch tout le côté qu’on pensait qu’à travers la relation on allait faire des miracles mais ce qu’on est au fond n’est pas si important que ça, c’était une sorte de savoir théorique. Pour pouvoir accepter ce qu’on sait sur l’autisme (handicap) il a fallu tirer un trait sur ce qu’on savait (savoir psychanalytique).

J. comprendre l’autisme comme handicap, avec ce qu’on connaît actuellement, c’est une approche plus... il n’y a pas encore beaucoup de théoriciens.