b) L’arbre généalogique

Le CUC a donc été pensé pour répondre aux besoins de formation théologique des étudiants, à un moment où la guerre rendait difficiles certaines activités. Cette création s’inscrit dans le large mouvement d’innovations que connaît le catholicisme français pendant la Seconde Guerre mondiale dont l’effet a été paradoxalement positif sur sa vitalité 60 . La fondation de ce centre d’approfondissement théologique n’est pas isolée comme le manifestent d’autres créations semblables au même moment : les cours Saint-Jacques proposés par les dominicains du couvent de la Glacière ; et plus encore, l’Institut supérieur belge de sciences religieuses dirigé par Lucien Cerfaux et Albert Dondeyne 61 qui s’adresse aussi aux étudiants catholiques des facultés profanes et se donne pour objectif de procurer ‘"une formation religieuse à la hauteur des défis du temps"’ ‘ 62 ’. Pour ces groupes, l’enjeu principal est de mettre fin au hiatus entre les connaissances religieuses et le savoir profane. Cette idée n’est pas nouvelle : elle avait été celle de Monsieur Portal, l’aumônier des normaliens dans le premier quart du siècle 63 . Elle rejoignait celle de Jacques Maritain qui, dans son ouvrage Religion et culture, insistait sur l’effort de culture que devait faire la pensée catholique afin de lui éviter un isolement 64 . S’il est indéniable que le CUC naît du contexte de recueillement qu’exigent les circonstances hexagonales, l’origine de ce nouveau foyer se rattache davantage à l’esprit des années 1930.

A la différence d’autres groupes nés pendant la guerre comme l’École des cadres d’Uriage dont les activités baignent dans ‘"un climat de Primauté du spirituel"’ ‘ 65 ’ ou encore des quatre premiers cahiers de Jeunesse de l’Église qui se présentent comme l’expression d’un ‘"centre de recherches, d’essais de publications sur les moyens d’une restauration chrétienne"’ ‘ 66 ’, le CUC souhaite faire comprendre en termes modernes l’essence de la foi. Il est donc bien éloigné de tout projet de restauration chrétienne. C’est d’ailleurs ce que Pierre Danchin souligne lorsqu’il introduit les premiers cours publiés :

‘"Ne vous est-il pas arrivé de souhaiter avoir entre les mains (…) un livre qui ne soit pas de "vulgarisation" et corresponde aux exigences de votre culture et qui en même temps ne soit pas une étude sèchement technique, un livre conçu par un théologien ou un exégète et mis à l’épreuve de réactions universitaires et qui soit ainsi la rencontre de deux formes de pensée, pouvant trouver l’une et l’autre, un réel appui à ce travail en commun ? (…). Les cours du CUC ont été construits dans cet esprit." 67

Le CUC apparaît comme le fruit de l’évolution de l’intelligentsia catholique depuis l’entre-deux-guerres : évolution des théologiens qui souhaitent pratiquer autrement la théologie en quittant leur ‘"fonction spéculative en chambre"’ ‘ 68 ’ ‘’pour affronter la culture ambiante et les questions des laïcs ; multiplication des "théologiens en veston", souvent professeurs de l’enseignement public, qui cherchent à réconcilier la culture religieuse et la culture profane. Ces "théologiens de service" et ces "théologiens en veston" encadrent vigoureusement la demande des étudiants "talas". La forte lucidité apostolique et l’intrépidité de Madeleine Leroy font le reste.

L’approfondissement théologique était l’ambition originelle du CUC mais Madeleine Leroy entendait également fournir aux étudiants quelques ‘"Armes de l’esprit"’ ‘ 69 ’ pour combattre le nazisme.

Notes
60.

Étienne Fouilloux, La collection "Sources chrétiennes". Editer les Pères de l’Église au XXè siècle, Le Cerf, 1995, p. 19.

61.

Lucien Cerfaux est né en 1883. Professeur d’Écriture sainte à Louvain, il est spécialiste de la pensée paulinienne. Albert Dondeyne est né en 1907, il a été professeur de dogme au grand séminaire de Bruges puis professeur de métaphysique à Louvain. C’est l’un des grands spécialistes du dialogue avec la philosophie contemporaine.

62.

Claude Soetens, sous la direction de, Vatican II et la Belgique, Quorum, Louvain la Neuve, coll. "Sillages-Arca", 1996, p. 159.

63.

Régis Ladous, Monsieur Portal et les siens, 1855-1926, Paris, Le Cerf, 1985, 521 p.

64.

L’intelligence chrétienne "n’arrivera au bout de sa tâche que si elle s’arme elle-même de la sagesse la plus formée, de la science la plus exigeante, de l’équipement intellectuel le plus parfait et le plus sûr, de la doctrine et de la méthode les plus rigoureuses et les plus compréhensives". Texte repris par A. Molitor, dans Culture et christianisme, "Bâtir", Casterman, 1944, p. 49.

65.

Yvon Tranvouez, Catholiques d’abord. Approches du mouvement catholique en France (XIXè-XXè siècle), Éditions Ouvrières, 1988, p. 126.

66.

Idem, p. 126.

67.

"Introduction aux cours du père Yves de Montcheuil", p. 1, Papiers Yves de Montcheuil, AFSJ.

68.

Étienne Fouilloux, Histoire du christianisme, op. cit., p. 170-171.

69.

Pour reprendre en partie le titre de l’ouvrage qu’a consacré Renée Bédarida à Témoignage chrétien : Les Armes de l’Esprit. Témoignage chrétien (1941-1944), Éditions Ouvrières, 1977, 378 p.