b) Le CCIF devient la section française du Mouvement international des intellectuels catholiques

S’il existe plusieurs rassemblements nationaux de diplômés catholiques comme la Newman Association anglaise ou le Movimento laureati italien, aucun mouvement international n’est constitué. Un premier pas est accompli en avril 1946, lorsque le CCIF organise avec la Paroisse universitaire et la Newman Association, une rencontre franco-britannique à Paris. Cette réunion a deux objectifs : contribuer à l’élaboration et au rayonnement de la pensée catholique française et réfléchir à l’esquisse d’un embryon d’organisation internationale 198 . En août 1946, une commission provisoire, que préside le chancelier de l’Université de Fribourg Hubert Aepli, lance les jalons du mouvement international. Un an après, en avril 1947, lors du congrès de Pax Romana réuni à Rome, le Mouvement international des intellectuels catholiques (MIIC) est constitué. Le CCIF devient la section française du MIIC ; quant aux étudiants, ils sont regroupés dans le Mouvement international des étudiants catholiques (MIEC) 199 . Le nouveau mouvement fédère alors vingt organisations interprofessionnelles nationales et quinze groupements spécialisés (lorsque la fédération nationale n’est pas constituée). Treize secrétariats internationaux sont également constitués pour régler les problèmes de chaque discipline professionnelle à l’échelle internationale 200 . La France reçoit la gestion de trois d’entre eux : le secrétariat des écrivains catholiques, celui des pharmaciens et celui des ingénieurs 201 . Les membres français, et tout particulièrement Roger Millot, le vice-président du CCIF, avaient joué un rôle certain dans cette création 202 . C’est en effet principalement sous l’influence des Français et des Italiens que le terme "intellectuel" avait été choisi, malgré les Espagnols et les Anglais qui préféraient le terme plus neutre de "diplômés". Quant aux statuts du CCIF, ils avaient servi en partie de matrice à ceux du MIIC. La consécration de cette influence française est la nomination de Roger Millot comme président-fondateur du Mouvement international des intellectuels catholiques.

Dès 1948, André Aumonier et Michel Charpentier établissent des liens avec des catholiques étrangers. Ils envoient des bibliographies rédigées par les équipes de recherche 203 , des numéros de Travaux et Documents 204 . Ils proposent un service d’échanges intellectuels avec l’Autriche dont le Centre catholique international vient d’être fondé à l’instigation du Commandement français en Autriche 205 et avec l’Université de Salamanque en Espagne 206 . Pour faciliter la création d’associations d’intellectuels catholiques, les statuts et des documents présentant les objectifs poursuivis par le Centre sont envoyés à divers pays 207 ou à des intellectuels africains isolés. Un peu plus tard, ce sont les liens entre l’Espagne et la France qui sont resserrés lorsque certains animateurs du "61" se rendent aux Conversations de San Sebastian. Ce congrès rassemblait annuellement les intellectuels catholiques de différents pays et cherchait à moderniser le catholicisme espagnol. Les bases d’un comité franco-espagnol sont lancées lors d’une réunion qui réunit l’abbé Berrar, André Aumonier, Emmanuel de Las Cases et le père Braun. Il y est décidé de créer une branche culturelle qui :

‘" (…) aurait pour but de faciliter la connaissance et la compréhension réciproque des problèmes les plus importants, assurant tant en Espagne qu’en France, la diffusion de questions sociales, philosophiques, religieuses et politiques reprenant en mouvement les mots d’ordre donnés à San Sebastian à propos de la "direction de l’opinion publique" au service de la catholicité." 208

Après 1950, les contacts se multiplient avec l’ensemble des mouvements affiliés à Pax Romana. Pour organiser ces relations, un secrétariat parisien des relations internationales est créé au sein du CCIF. Il est dirigé par Emmanuel de Las Cases, un ami d’André Aumonier, aidé d’une nouvelle secrétaire, Sibylle de Miribel (sœur de la secrétaire du Général de Gaulle à Londres). Le nouveau secrétariat est chargé de nouer des liens avec tous les groupements : les étrangers vivant en France et susceptibles de s’intéresser au CCIF 209 sont invités à participer aux activités du "61", les intellectuels catholiques de tous pays sont sollicités pour enrichir la revue Travaux et Documents de leurs réflexions. La section de Tokyo pour ne prendre qu’un exemple est ainsi invitée à envoyer ‘"une lettre, un document annuel qui nous renseigneraient sur les événements spirituels de tous ordres intervenus dans l’année"’ ‘ 210 ’ ‘.’

Toutes ces initiatives du CCIF participent de la démarche de Pax Romana tel que ce groupe conçoit l’élaboration d’un esprit catholique international : l’accueil des étudiants catholiques étrangers, la volonté de leur faire connaître les manifestations nationales, le souci de développer les liens d’amitié entre les pays ; principes que valorisait la FFEC depuis vingt ans 211 .

Alors que le bureau s’attendait à ce que les équipes de recherche s’élargissent grâce à l’arrivée massive de ces diplômés, ces derniers ne participent que rarement au travail du CCIF. L’échec de la transfusion est l’occasion pour le bureau de réfléchir à la fonction propre du Centre par rapport aux associations qu’il fédère et également au lien qui l’unit au MIIC. Dès 1947, alors que Michel Charpentier et André Aumonier se lancent dans des échanges internationaux tous azimuts, l’abbé Berrar, Madeleine Leroy et Odette Laffoucrière s’interrogent sur la part respective de la recherche intellectuelle et de ces échanges 212 .

Notes
198.

Tract d’invitation pour les journées de rencontres franco-britanniques, 19-27 avril 1946, p. 1, ARMA.

199.

Pax Romana était constitué désormais du MIEC et du MIIC. Voir à ce propos le petit livre Pax Romana, 1921-1981, Gründung und entwicklung, fondation et développement de Ramon Sugranyes de Franch et d’Urs Altermatt, Fribourg, 1981, 60 p. Voir également l’ouvrage de Philippe Chenaux, Une Europe Vaticane ? Entre le plan Marschall et les Traités de Rome, op. cit., p. 66 et sequentes et les travaux en cours de Michela Trisconi sur Pax Romana.

200.

Indications dans "Les intellectuels dans la chrétienté", dans Pax Romana, MIIC, 1, p. 16-17.

201.

Informations dans Marie-Hélène Olivier, Roger Millot, op. cit., p. 265.

202.

Les journaux de l’époque ont énormément insisté sur le rôle des Français dans cette constitution : voir à ce sujet Le Monde, 14 septembre 1946, p. 4 : "L’initiative de ce mouvement est due pour une large part au CCIF". Voir également le commentaire de Jacques Hérissay dans La Croix du 16 septembre 1946. Ramon Sugranyes de Franch insiste, quant à lui, sur le rôle et l’influence du mouvement des Laureati dans "Le MIIC : mémoire et espérance au bout de quarante ans", dans Pax Romana MIIC ICMICA 1947-1987, 1987, p. 1.

203.

C’est le cas pour la Tchécoslovaquie, le 17 février 1947, carton 37, ARMA. Le MIIC une fois constitué reprend d’ailleurs cette idée en offrant tous les deux mois dans la revue Scrinium, Elechus bibliographicus universalis, un choix de livres importants, concernant toutes les disciplines et tous les pays, pour fournir un "instrument de travail "à tous les intellectuels. Voir Ramon Sugranyes de Franch, Pax Romana 1947-1987, op. cit., p. 5.

204.

Envoi en 1946-1947, carton 37, ARMA.

205.

Proposition faite par André Aumonier à Gérald Grinschgl (membre de Pax Romana) : une conférence mensuelle par un intellectuel catholique français, 6 juin 1946, p. 1, carton 37, ARMA.

206.

Échanges lancés en octobre1946, p. 1, carton 37, ARMA.

207.

C’est le cas pour la Belgique avec le Centre de culture chrétienne belge, en mai 1946, p. 1, carton 37, ARMA.

208.

"Projet d’un futur comité catholique France Espagne", 28 octobre 1949, p. 1, carton 37, ARMA.

209.

Lettre envoyée à l’ambassade ou à l’association des amis des pays suivants : Belgique, Panama, Italie, Chili, Cuba, Irlande, Brésil, Grande-Bretagne, Mexique, Espagne, Argentine, Grèce, Égypte, Japon, Australie, Uruguay, Italie, Pérou ! Envoi de février à mars 1951.

210.

3 avril 1951, p. 1.

211.

Voir L’étudiant catholique, mai 1932, p. 42.

212.

Comité directeur, 17 janvier 1947, p. 3, carton 36, ARMA.