c) Les Semaines s’organisent

La SIC 1948 avait été la Semaine de la réconciliation ; elle avait montré le chemin que devait prendre l’humanité entière par le dépassement des haines. Les Semaines suivantes portent davantage sur le rapport entre les problèmes contemporains et la foi. Il s’agit alors de souligner la modernité du catholicisme : "Foi en Jésus-Christ et monde d’aujourd’hui", "L’humanisme et la grâce", ou encore "Espoir humain et Espérance chrétienne" sont les thèmes successifs traités en 1949, 1950 et 1951. Dès 1949, la Semaine a perdu le caractère éparpillé mais concret de la première édition. Certes, elle conserve son aspect volontairement représentatif de la pensée catholique puisque c’est l’ensemble de l’intelligentsia catholique qui est invité : thomistes et augustiniens, introducteurs de nouvelles méthodes scientifiques et plus traditionalistes, voire résistants et pétainistes. Mais les sciences dites mineures y ont moins de place (trois séances sur huit) alors que la première Semaine avait été exceptionnellement ouverte à celles-ci (avec cinq séances sur huit). C’est d’ailleurs en 1949 que le canevas est organisé pour plusieurs années : prépondérance donnée à la philosophie et à la théologie ; séance consacrée à la création littéraire ou artistique, séance plus scientifique organisée par les membres de l’UCSF. La Semaine 1949 inaugure également les séances de travail pour spécialistes qui permettent d’approfondir les problématiques en petits comités. Ces séances de travail (4 en 1949 et en 1950) ne sont alors ouvertes qu’aux seuls catholiques 382 . Dans ce cadre, des orateurs de la Semaine reprennent leur exposé, lequel est suivi d’une discussion. En 1949, c’est Mgr Bruno de Solages, recteur de l’Institut catholique de Toulouse, le père Dubarle, Jean Baboulène 383 qui s’expriment. En 1950, c’est Romano Guardini, Pierre Jouguelet, philosophe lyonnais, Pierre Mesnard, spécialiste de Pascal, Georges Hahn de l’Institut catholique de Toulouse, Marcel Légaut 384 et Pierre-Henri Simon 385 qui font les exposés des séances privées.

Les trois Semaines se focalisent sur la compatibilité du discours catholique avec les enjeux du moment. Parmi les philosophies étudiées se trouvent l’hégélianisme, le bergsonisme, le marxisme et l’existentialisme athée. Les thèmes théologiques touchent la nature humaine, la grâce, le naturel et le surnaturel et les thèmes scientifiques, l’apport des nouvelles méthodes scientifiques dans la vision de l’univers et dans ses implications concrètes (biologie et vie psychique). Les Semaines 1949 et 1950 sont plutôt théoriques, celle de 1951 est plus concrète en s’interrogeant sur l’attitude des chrétiens face à des réalités quotidiennes comme le monde ouvrier, les réfugiés politiques ou les conflits. 1952 marque une certaine rupture puisque la Semaine s’intéresse à la question de la liberté : sujet plus théologique qui prend à bras le corps les questions difficiles et périlleuses de la liberté et du dogme. Le CCIF amorce une nouvelle étape : celle d’un regard critique et aimant sur sa mère, l’Église.

1947-1951, cinq années durant lesquelles l’équipe du CCIF s’est attachée à mettre en place un outillage intellectuel qui puisse répondre à la fois à un public catholique, soucieux de mieux comprendre les enjeux de la foi, et au milieu de la recherche (laïque ou ecclésiastique) soucieux, quant à lui, de trouver un espace de dialogue. Le CCIF finalement réussit pendant ces années à maintenir les deux premiers objectifs : visibilité d’un catholicisme ouvert à la modernité et, en même temps, espace de réflexion pour catholiques et incroyants. Ces années sont fortement marquées par un axe philosophico-théologique de très haut niveau. Les autres secteurs ne sont pas pour autant oubliés, mais leur part respective et la diversité des orateurs invités, soulignent une moindre visibilité intellectuelle. La littérature, les sciences, l’histoire et l’économie représentent alors chacun presque 10% des articles de Recherches et Débats. Cette présence est le résultat du travail entrepris par les différentes équipes de recherche 386 . L’irrégularité des réunions de ces sections et leur moindre influence expliquent cette part mineure. A l’inverse, l’analyse des principaux intellectuels intervenus au "61" durant ces années 1940 montre l’importance que le foyer de réflexion accorde à l’axe philosophico-théologique.

Notes
382.

En 1952, le vœu est émis de l’ouvrir aux non-croyants, c’est en 1956 que le projet est concrétisé.

383.

Exposé de Jean Baboulène puis interventions du père Daniélou, du père de Soras, du père du Rivau, d’Emmanuel Mounier et de Jean-Marie Domenach sur le thème "Le chrétien et la guerre", publié dans RD 6, octobre-novembre 1949, p. 3-15. Le père Daniélou évoque cette Semaine dans une lettre adressée au père de Lubac du 14 mai 1949, reproduite dans Bulletin du cardinal Daniélou, décembre 1999, n°25, p. 16-21.

384.

Ancien élève de l’École normale supérieure d’Ulm (promotion 1919), il quitte l’enseignement universitaire pour un retour à la terre. Durant l’entre-deux-guerres, il avait joué un rôle spirituel important auprès des "talas".

385.

Ancien élève de l’École normale supérieure d’Ulm, professeur de lettres à l’Université de Fribourg.

386.

La littérature, les sciences, la psychologie seront analysées dans la deuxième partie. La période 1947-1951 sera alors étudiée dans ce cadre.