c) Un collège philosophico-théologique  ?

En ces premières années le CCIF constitue un lieu de dialogue où les spécialistes s’écoutent et progressent ensemble. Les numéros de Recherches et Débats contiennent alors des ébauches de réflexion, des pistes de travail qui manifestent le bouillonnement à la fois théologique et philosophique de ces années d’après-guerre. La méthode intellectuelle choisie pour ces débats de haute volée est bien exposée par une réflexion de Jean Wahl :

‘"Quant à la question qu’a posée Gabriel Marcel elle est en effet fondamentale, mais je vois pas comment il pourra facilement répondre … je crois qu’il s’est posé à lui-même une des plus redoutables questions. Comment l’être qui aime peut-il aimer à tort ? Cela paraît impossible dans le système de Gabriel Marcel. Du moins je n’ai pas vu dans le Journal métaphysique le moyen de se tirer de cette difficulté. C’est pourquoi il serait en effet très intéressant que tous ensemble, lui y compris, nous trouvions une réponse." 437

"Tous ensemble" précise Jean Wahl (dont on sait combien par la suite le dialogue avec Gabriel Marcel fut de plus en plus difficile) c’est assurément dans cette recherche commune qu’il faut trouver l’originalité du CCIF. Elle se trouve également dans la capacité du CCIF à drainer l’ensemble des meilleurs penseurs catholiques au "61". Cette double capacité est certes reconnue et appréciée, mais porte ombrage à certaines institutions dont l’Institut catholique de Paris qui craint d’être concurrencée 438 .

Si le recteur Blanchet n’hésite pas à rappeler que le travail proposé par le CCIF est de bonne qualité :

‘"(…) on sait quelle est la valeur de ceux (des débats) qui sont institués au cloître Saint-Séverin et quelle excitation intellectuelle ils communiquent : ce qui se fait là est bien fait." 439

Il s’empresse cependant en 1949, c’est-à-dire moins de deux ans après le lancement des débats, de proposer, lui aussi, des grandes conférences pour ‘"que soit donné sur quelques-unes unes des grandes questions () un véritable enseignement"’ ‘ 440 ’ ‘.’ De février à mars, cinq conférences sont proposées sur ‘"Le progrès ou le recul du catholicisme dans le monde"’ ‘ 441 ’  et de décembre à avril, cinq conférenciers s’expriment sur ‘"Les difficultés de croire aujourd’hui"’ ‘ 442 ’ ‘. ’

La Semaine des intellectuels catholiques entraîne des inquiétudes encore plus fortes : l’Institut catholique se sent quelque peu dépossédé de ses propres attributs. Certes son recteur est invité à la première Semaine, mais les tensions ne sont pas absentes. Le président Henri Bédarida préfère alors souligner avec insistance :

‘" Loin de nous substituer aux organismes qualifiés pour dispenser cet enseignement, les Universités et les Instituts catholiques par exemple, nous avions pour poser la doctrine authentique sur les questions qui nous ont occupés pendant la Semaine, fait appel au concours de théologiens qualifiés." 443

De son côté, Mgr Blanchet n’oublie pas de souligner, avec une non moins grande insistance, en 1950, le rôle unique de l’université catholique !

‘"Une université catholique suit le mouvement des idées (…) elle doit elle-même participer au grand labeur des hommes, être inventive et constructive. Il va de soi que les universités catholiques n’ont pas le monopole d’un tel rôle. En dehors d’elles des ordres religieux, des savants laïcs font leur tâche, Dieu met le génie où il veut. Mais elles ont leur fonction propre, leur but, et pour l’atteindre, la force d’un institut organisé (…) elles sont les terrains de rencontres tout préparés des laïcs, du clergé diocésain, des religieux." 444

La création du Centre catholique des intellectuels français et son succès conduisent l’Institut catholique de Paris à redéfinir ses priorités, à devenir un espace plus ouvert à ce qui se fait à l’extérieur du monde catholique.

Cette importance accordée aux activités réflexives provoque également des différends les membres du bureau. Les tensions entre l’équipe originelle et le noyau international culminent en 1951 et provoquent une crise identitaire de premier plan.

Notes
437.

Retranscription du débat dans RD 2, supplément philosophique, janvier-février 1949, p. 12. Soulignement de l’auteur.

438.

Dans l’ensemble les témoins ont tendance à minorer ces tensions, Daniel Pézeril est le seul à avoir donné un témoignage clair sur cet aspect des choses.

439.

"Les grandes conférences de l’Institut catholique de Paris", 1949-1951, ICP, R bl 16, p. 1.

440.

Discours du recteur de l’Institut catholique de Paris, Mgr Blanchet, Papiers Blanchet, archives Institut catholique de Paris, XII 6, p.1-2.

441.

"Les grandes conférences de l’Institut catholique de Paris", 1949-1951, ICP, R bl 16

442.

Ibid.

443.

Henri Bédarida, "Avant-propos" dans SIC 1950, p. 6.

444.

Séance solennelle du 29 novembre 1950, "La mission d’une université catholique" dans L’Institut catholique de Paris, 1946-1966, p. 86-87.