1. La montée contestataire

a) La crise d’octobre 1950

La crise se noue après la désignation d’Olivier Lacombe comme vice-président du Centre, en remplacement de Gabriel Le Bras, par l’abbé Berrar. Olivier Lacombe est un universitaire réputé, philosophe indianiste et en même temps un des plus proches disciples de Jacques Maritain 449 . A son retour de vacances, le président Henri Bédarida apprend la nomination du philosophe, il décide alors de démissionner :

‘"Si je renonce à ce titre, c’est pour des raisons qui concernent l’orientation des activités du Centre et le fonctionnement de ses organes directeurs.
D’une part, les ouvertures sur l’étranger que le Centre avait à l’origine, me paraissent pour l’instant insuffisamment sauvegardées par les contacts occasionnels qui s’opèrent soit à la Semaine des intellectuels français (sic) et soit aux assemblées de "Pax Romana". Au moment où les questions internationales se posent de façon aiguë aux consciences religieuses et autres, les catholiques de France ont intérêt à ne pas penser et agir en vase clos. Foyer d’études religieuses qui devrait être de tous ordres le Centre ne peut pas, à mon avis, renoncer à des enquêtes sur la pensée et l’action des catholiques étrangers, à d’efficaces rencontres internationales.
D’autre part, l’équilibre qui me paraissait souhaitable entre les activités des représentants des diverses disciplines et même des diverses professions, se trouve rompu au profit presque exclusif des études philosophiques. S’il est vrai que les circonstances commandent un tel changement et s’il est exact que tous nos amis en acceptent les risques, il appartient évidemment à des plus compétents que moi d’orienter des travaux aussi strictement spécialisés et de veiller à leurs exécutions. Au surplus, la fonction à laquelle la confiance de nos amis a bien voulu m’appeler n’est plus guère qu’une fiction. J’en suis réduit à dégager ma responsabilité de décisions prises en dehors de toute consultation et de toute délibération régulières, telle la modification du comité directeur qu’une convocation polycopiée m’a apprise après mon retour à Paris, antérieur au terme des grandes vacances." 450

Ce texte formule deux griefs distincts : d’une part, l’étonnement du président Bédarida de ne pas participer aux décisions administratives du CCIF, d’autre part, la critique des objectifs valorisés. Peu de temps avant, Michel Charpentier, le trésorier, avait donné lui aussi sa démission pour montrer son désaccord avec les objectifs développés. Henri Bédarida et Michel Charpentier ne sont pas seuls à juger les activités intellectuelles trop axées sur la philosophie et la théologie, c’est également la conviction de Roger Millot. La démarche spéculative leur paraît prendre une place démesurée tandis que l’action plus apologétique leur semble ignorée. Ils déplorent donc l’absence de manifestations religieuses et d’intérêt pour les questions internationales 451 .

André Aumonier et l’abbé Berrar se rendent donc au domicile du président démissionnaire pour lui demander de revenir sur sa décision. Henri Bédarida accepte de rester. L’affaire n’est pas close pour autant : au contraire, elle prend une nouvelle tournure.

Notes
449.

Voir sur ce dernier point son témoignage dans "Le foyer de Meudon", dans Cahiers Jacques Maritain 4-5, novembre 1982, p. 85-87. Dans ces quelques pages Olivier Lacombe rappelle tout ce qu’il doit à ces rencontres. Il est d’ailleurs avec Antoinette Grunelius et le frère Heinz Schmitz, investi du droit moral sur l’œuvre de Jacques Maritain.

450.

Henri Bédarida à André Aumonier, 3 octobre 1950, "Pax Romana XI, CCIF, 1949-1952", ARM. Voir l’ensemble de la lettre dans annexe.

451.

Plainte de Ramon Sugranyes de Franch à Roger Millot, 24 janvier 1949, p. 1, "MIIC, 9 juillet 1947-décembre 1949", ARM.