b) La faille juridique

De leur côté, les membres de Pax Romana continuent leur offensive : Ramon Sugranyes de Franch, lors d’une rencontre avec le nonce lui parle du "61" :

‘"Mgr le Nonce était fort au courant des problèmes (...) comme il me demandait quelle solution j’envisageais, je lui ai suggéré celle d’une commission épiscopale ou bien d’un évêque aumônier général du CCIF, désigné par l’assemblée de cardinaux et archevêques de France, cela afin de donner au CCIF l’importance vraiment nationale qu’il doit avoir. (…) J’ai eu nettement l’impression que le problème du CCIF est maintenant posé et qu’en "haut lieu" on est très intéressé à le voir favorablement résolu." 472

Lors de la réunion de rentrée d’octobre 1951, les nouveaux choix sont entérinés :

‘" (…) primat des buts intellectuels, rôle fédératif secondaire : la fédération n’a, en fait ni en droit, seule qualité pour diriger le centre." 473

L’essence du Centre est la réflexion intellectuelle constituée par la recherche et par la vulgarisation des résultats. S’il y a un apostolat à faire valoir, c’est celui de la pensée et il ne peut s’imposer par des manifestations officielles. En novembre, les objectifs sont de nouveau formalisés, après agrément de l’ensemble du comité directeur, et publiés dans un numéro exceptionnel de Recherches et Débats 474 . L’abbé Berrar a donc résolu le problème en montrant que les positions tenues par Roger Millot étaient sans valeur d’un point de vue strictement juridique : la christianisation des milieux professionnels relève d’abord de l’Action catholique ; l’apostolat que le vice-président souhaite voir valoriser ne peut être fait directement par le CCIF tant que le secrétaire de l’Action catholique n’en a pas donné l’ordre. Le CCIF n’a donc pas mandat pour diriger l’apostolat en milieux professionnels ; il ne peut que jouer un rôle de coordination souple. C’est ce faisceau d’arguments que présente l’abbé Berrar au secrétaire du MIIC, Ramon Sugranyes de Franch, en décembre 1951, tout en insistant sur un dernier point : l’action du Centre répond à une demande importante de la société ; les succès de la Semaine des intellectuels catholiques et des débats soulignent le bien fondé du choix 475 .

Le dénouement de la crise est d’autant plus surprenant que le climat franco-romain s’est obscurci comme le souligne une lettre de l’ambassadeur Wladimir d’Ormesson à Robert Schuman, Ministre des Affaires étrangères, en novembre 1951. L’ambassadeur de France à Rome se plaint d’un article paru dans une revue communiste en juillet 1951 qui soulignait les oppositions intérieures au Vatican et énumérait les personnalités françaises responsables des tensions au sein de la Curie. Or, Wladimir d’Ormesson craint que cette liste ne soit utilisée par les intégristes du Vatican pour stigmatiser la recherche théologique française. Parmi les personnes citées par la revue figurent : Jean-Marie Le Blond 476 , Bruno de Solages, Gabriel Marcel, Yves de Montcheuil, Jean Daniélou, Marie-Dominique Chenu, Gaston Fessard, le groupe de Louvain, les Études 477 . Malgré la montée des suspicions - l’encyclique Humani generis a un an - la hiérarchie française donne donc un salvateur appui à l’abbé Berrar. Mgr Courbe met un point final à cette crise en approuvant les arguments rédigés par l’assistant ecclésiastique : les différentes associations professionnelles n’ont donné leur adhésion au CCIF ‘"qu’en vue de l’ouverture vers une culture générale plus poussée ; ceci fait, elles n’entendent ni être coordonnées, ni dirigées, ni représentées"’ ‘ 478 ’ ‘.’ Les exigences de Pax Romana obligeraient à transformer l’organisation de l’Action catholique, Mgr Courbe en refuse l’idée et appelle le secrétaire du MIIC à accepter la situation du Centre telle qu’elle a été formulée par Émile Berrar.

Notes
472.

Ramon Sugranyes de Franch à Roger Millot, 6 août 1951, 2 p, ARM.

473.

Bureau, 3 octobre 1951, p. 2, AICP.

474.

RD 17, octobre-novembre 1951, 8 p.

475.

Abbé Berrar à Ramon Sugranyes de Franch, 13 décembre 1951, p. 2, ARM.

476.

Né en 1899, spécialiste de la pensée aristotélicienne, il donne des cours à Chantilly avant de prendre en 1956 la direction des Études.

477.

Cité dans lettre du 2 novembre 1951, 3 p., n33, (1949-1955), AMAE.

478.

Mgr Courbe à Ramon Sugranyes de Franch, 19 décembre 1951, p. 1. ARM. Voir en annexe l’ensemble de la réponse de Mgr Courbe.