c) Les leçons à tirer de l’épreuve de force

Si la position de l’assistant ecclésiastique sort finalement renforcée de la crise, il n’en reste pas moins que l’équipe a compris le nécessaire rééquilibrage en faveur de Pax Romana. Dès la rentrée universitaire, plusieurs actions montrent la bonne volonté du bureau : préparation de la participation à Salzbourg et au congrès du Canada (qui rassemblaient les différents membres du MIIC) ; retour de Michel Charpentier comme représentant du MIIC chargé de coordonner les activités internationales ; création du Centre international du livre français chargé d’organiser annuellement une exposition d’ouvrages pour diffuser la pensée chrétienne. Le 12 novembre 1951 est donc créé par Henri Bédarida, Robert Barrat, Roger Millot, Michel Charpentier et André Aumonier ce Centre du livre français lequel est aussitôt associé au Centre international du livre français 479 .

La crise a fixé à chaque individu sa place et a également permis une réorganisation des différents organes responsables du Centre : bureau, comité directeur et comité de rédaction. Les charges sont alors redistribuées et délimitées : André Aumonier quitte le poste de secrétaire général et demande à être remplacé par Robert Barrat 480 . Si son départ est un choix professionnel - il trouve un poste d’administrateur dans une entreprise privée - il n’en reste pas moins qu’il peut être interprété comme l’échec de la double vocation du Centre : internationale et intellectuelle, car si le secrétaire général n’a pas été dans cette crise le principal héraut de la cause internationale, son mandat avait été fortement marqué par les premiers liens avec le MIIC naissant, lui-même étant convaincu de l’importance de Pax Romana 481 . Des tensions personnelles entre le secrétaire général et Roger Millot avaient compliqué le différend. Le nouveau secrétaire Robert Barrat est un intellectuel : entré à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1937, il n’a certes pas choisi la carrière universitaire lui préférant le journalisme, mais il est soucieux de dialoguer avec toutes les formes de modernité. Comme il aime à le définir : le CCIF

‘"(…) accomplit un important travail de recherches en profondeur sur tous les problèmes qui peuvent être aujourd’hui posés dans la conscience chrétienne. C’est en quelque sorte un bureau d’études, centralisé à l’échelon national, d’élaboration d’une pensée catholique vivante et parlant un langage moderne." 482

La crise a permis d’institutionnaliser les choix opérés depuis 1947. L’abbé Émile Berrar en sort renforcé : il a su tout à la fois conserver la confiance de la hiérarchie ecclésiastique et montrer que le choix qu’avait fait le CCIF restait dans la limite juridique qui avait été fixée lors de la création de la section française du Mouvement international des intellectuels catholiques. Pendant cette crise, il reçoit l’appui de l’archevêque de Paris, Mgr Feltin et celui de Mgr Courbe. Il peut aussi compter sur quelques amis à Rome et tout particulièrement sur Pierre Veuillot 483 . Ironie de l’histoire : si le CCIF avait été créé pour des laïcs et pour qu’ils jouent au sein de l’Église un rôle reconnu dans une recherche de l’intelligence de la foi, ce sont des laïcs qui ont joué dans cette crise le rôle de zélateurs de l’orthodoxie. Mais en laissant peser des soupçons sur l’abbé Berrar, les membres de Pax Romana ont désormais éveillé l’attention romaine sur les activités du CCIF. Dès l’année suivante, certaines interventions de la Semaine consacrée à la liberté seront jugées tendancieuses par le Saint-Office.

Notes
479.

Dossier "Centre du livre français", carton 9 (III), AICP. Le Centre sera liquidé le 30 septembre 1957.

480.

Bureau, 3 octobre 1951, p. 3, AICP.

481.

"Tes multiples fonctions étrangères à Pax Romana t’interdisent pratiquement d’apporter ton concours personnel à l’élaboration intellectuelle des travaux du mouvement. De notre côté nous devons, c’est bien évident, entretenir une liaison plus active avec Pax Romana (...) mais par dessus tout une amitié active me semble devoir être développée entre nous et je ne cache pas qu’un certain formalisme de cette réunion d’hier soir m’a paru par moment choquant (...). C’est justement parce que je constate la bonne volonté sans réserve et la fidélité la plus claire de tous ceux qui s’intéressent à Pax Romana au CCIF que je crois devoir exiger pour eux en retour une fidélité aussi claire à leur égard", André Aumonier à Roger Millot, 8 mars 1950, PR XI, ARM. Lettre écrite après une réunion qui rassemblait le bureau du CCIF et les membre de Pax Romana : Ramon Sugranyes de Franch, Emmanuel de las Cases, Sibylle de Miribel.

482.

Robert Barrat à Georges Roques, 26 juin 1951, p. 1, ARMA.

483.

"J’ai eu l’occasion de rencontrer Mgr Sensi, et j’ai pu lui parler quelque peu du problème du CCIF. Il a écouté sans manifester aucunement ni pour ni contre. J’ai encore ensuite longuement parlé avec Vittorino, lequel croit qu’une bonne partie de la réserve de Mgr Sensi vient du fait que Mgr Veuillot est actuellement son collaborateur immédiat à la secrétairerie d’État, même je crois son subordonné, et que, comme tout le monde le sait, Mgr Veuillot est grand ami de notre cher ami Berrar". Ramon Sugranyes de Franch à Roger Millot, 8 novembre 1951, p. 2, "Pax Romana, IX, 1951-1957", ARM.