Chapitre 1. Une activité débordante et multiple

1. Le développement de la vulgarisation et de la formation continue

a) Débats ou conférences ?

Le début des années 1950 est marqué par un renouvellement modeste mais réel des activités du Centre. Sur la proposition de Robert Barrat, l’équipe lance des grandes conférences culturelles afin de drainer un public plus large. Cette idée n’est pas nouvelle : l’équipe avait déjà organisé quelques débats dans l’amphithéâtre de la Sorbonne ou au Palais de Chaillot. Ainsi le 15 février 1951, P. Bost, Chartier, Jacques Madaule, Henri Quéffelec, les pères Beirnaert et Liégé 484 et le pasteur Westphal avaient-ils montré que "Dieu a besoin des hommes" devant plus de 2900 personnes rassemblées. Un mois plus tard, 2500 personnes s’étaient retrouvées à la Sorbonne pour écouter Robert Barrat, Albert Béguin, Luc Estang 485 , Stanislas Fumet et l’abbé Pézeril rendre hommage à Georges Bernanos 486 . Les conférences ou débats sur des sujets rassembleurs avaient donc toujours existé au CCIF : la nouveauté se trouve dans leur multiplication. Le CCIF devient alors un espace informatif sur des sujets classiques : sujets historiques d’ordre religieux comme ceux consacrés au "Monachisme d’Égypte et son rayonnement" ou aux mystiques espagnols du XVIè siècle ; sujets littéraires présentant les écrivains français qui ont marqué la première moitié du XXè siècle : Georges Bernanos, Paul Claudel, André Malraux, Jean-Paul Sartre ; sujets artistiques valorisant quelques grands peintres du XXè siècle (Georges Braque, Paul Cézanne, Henri Matisse) et les grands maîtres des siècles précédents (Fra Angelico et Léonard de Vinci).

Cette nouveauté s’accompagne de la création de "débats-films". L’objectif est d’organiser, conjointement avec la nouvelle équipe de Radio-Cinéma 487 , un débat hebdomadaire sur une œuvre du septième art. Le CCIF n’entend ni prendre la responsabilité du programme, ni l’organisation pratique de la séance, mais se propose de présenter des axes de discussion et de dresser une liste de philosophes ou théologiens susceptibles de s’intéresser au sujet 488 . Si le projet avec l’équipe Radio-Cinéma n’aboutit pas, Robert Barrat organise quelques débats dès la rentrée universitaire de 1952 : Jeux interdits, Umberto D. de Vittorio de Sica et Léon Morin, prêtre 489 . En 1953-1954 sont présentés : Le Défroqué, Avant le déluge 490 et "Hollywood et l’Écriture Sainte" 491 . L’intérêt retombe cependant assez vite : en 1954-1955, aucun débat n’est organisé, un seul l’est l’année suivante 492 .

Qu’il y a-t-il de commun entre le CCIF de 1947 et celui-ci ? Les sujets sont plus classiques, la réflexion moins spéculative ; quant à la liste des collaborateurs, elle est manifestement plus éclectique :

Tableau des intellectuels venus au moins 5 fois (1952-1957)
  Intervenants Nombre d’interventions
Noms Prénoms 46-51 52-57 58-65 66-76 Total
1 Borne Étienne 10 44 25 12 91
2 Madaule Jacques 10 21 13 2 46
3 Fumet Stanislas 11 15 10 5 41
4 Lacombe Olivier 9 15 15 5 44
5 Marcel Gabriel 12 14 8 4 38
6 Folliet Joseph 2 11 11 1 25
7 Dubarle Dominique 20 10 11 6 47
8 Guitton Jean 7 10 9 3 29
9 Congar Yves 6 9 8 5 28
10 Daniélou Jean 20 9 12 10 51
11 Maulnier Thierry 0 9 2 0 11
12 Pons Roger 3 9 0 0 12
13 Bédarida Henri 4 8 0 0 12
14 George André 3 8 5 1 17
15 Beirnaert Louis 9 7 8 4 28
16 Estang Luc 5 7 1 0 13
17 Feltin Maurice 2 7 6 0 15
18 Barjon Louis 1 6 3 0 10
19 Daniel-Rops   2 6 4 0 12
20 Gandillac de Maurice 5 6 1 2 14
21 Gouhier Henri 5 6 6 3 20
22 Hourdin Georges 0 6 8 0 14
23 Leprince-Ringuet Louis 7 6 7 2 22
24 Mauriac François 2 6 3 2 13
25 Michelet Edmond 0 6 2 3 11
26 Peretti de André 0 6 6 2 14
27 Simon Pierre-Henri 1 6 6 2 15
28 Suffert Georges 0 6 4 1 11
29 Chauchard Paul 2 5 7 2 16
30 Colin Pierre 5 5 9 12 31
31 Eck Marcel 4 5 10 2 21
32 Joulia Pierre 8 5 4 0 17
33 Leroi-Gourhan André 0 5 6 0 11
34 Levard Georges 2 5 0 0 7
35 Liégé André 2 5 5 6 18
36 Mesnard Pierre 0 5 1 0 6
37 Perrin René 0 5 2 0 7
38 Russo François 7 5 4 7 23

Dans la période 1946-1951, les principaux intervenants étaient pour la plupart des philosophes et théologiens de première importance. Dans la nouvelle décennie, si certains fidèles n’ont pas disparu (Étienne Borne, le père Congar, le père Daniélou, Stanislas Fumet, Gabriel Marcel), d’autres s’éloignent (Henri-Irénée Marrou, le père Fessard, Jean Hyppolite, Jean Wahl et Jean Beaufret). Des personnalités plus conservatrices les remplacent : l’homme de lettres maurrassien Thierry Maulnier, l’écrivain catholique Daniel-Rops, le résistant et gaulliste Edmond Michelet, ou encore l’universitaire Pierre-Henri Simon. Si quelques personnalités de gauche sont présentes – le journaliste Georges Suffert 493 , le polytechnicien André de Peretti 494 , le fondateur de La Vie catholique illustrée Georges Hourdin - ces années restent marquées par un rééquilibrage à droite. Cette évolution s’accompagne de deux nouveautés : la moindre part accordée aux philosophes et théologiens et l’accueil fait aux hommes de terrain (hommes politiques et journalistes).

En ces années, le CCIF perd indubitablement en rayonnement et en autorité intellectuelle auprès de la haute intelligentsia, mais il gagne un rééquilibrage budgétaire et peut-être aussi une image plus classique qui satisfait la hiérarchie ecclésiastique. Le CCIF entend se servir de cette façade de "respectabilité" pour promouvoir les idées qu’il défend à travers les Semaines, sa nouvelle revue et quelques rencontres privées.

Notes
484.

Né en 1921, dominicain spécialiste de théologie pastorale, il se rattache à l’école allemande et cherche à donner à sa théologie un caractère scientifique.

485.

Né en 1915, romancier, il dirige une collection littéraire au Seuil.

486.

RD 14, avril 1951, p. 3-19.

487.

Radio-Cinéma a été créée un an auparavant, sous la houlette de La Vie catholique illustrée.

488.

Robert Barrat à Jean-Pierre Chartier, 17 octobre 1952, p. 1, ARMA.

489.

Respectivement : 5 novembre 1952, avec J. Arbois, André Bazin, et Jean-Pierre Chartier. 18 décembre 1952, conférenciers inconnus ; 9 février 1953, père Menessier et Luc Estang, retranscrit dans RD 4, mai 1953, p. 247-256.

490.

13 mai 1954, L. Joannon, père Lepoutre, père Menessier, J.-L. Tallenay, J. Mauduit et pour le second le père Thomas, Étienne Borne, Pierre Joulia, G. Lafon.

491.

10 décembre 1953, père Flipo, père Pichard, Henri Agel.

492.

La Strada de Federico Fellini, 7 décembre 1955, Philippe d’Harcourt, Jacques Madaule, le père Barjon. Le cinéaste est invité deux fois sans succès par le "61".

493.

C’est le seul à être profondément à gauche. Il participe d’ailleurs pendant quelques années au groupe des "Mal-Pensants" avant de rallier le camp des mendésistes. En 1958 il devient secrétaire du Club Jean-Moulin nouvellement constitué.

494.

Il joue au même moment un rôle important dans le mouvement de décolonisation qui touche le protectorat marocain. Voir infra.