L’Union catholique des scientifiques français s’était constituée en marge du CCIF. Intégrée comme membre fédéré, l’équipe scientifique avait ses propres activités et ses propres problématiques. Cependant, dès les origines, le CCIF avait fait appel à ses membres scientifiques pour organiser des débats. L’intérêt est donc loin d’être négligeable :
Thèmes des débats et conférences | 1947-1957 |
Science | 5,4% |
Science et philosophie | 1,4% |
Science et foi | 1,4% |
Thèmes de Recherches et Débats | 1952-1957 | 1952-1957 |
Science et théologie | 2 | 10% |
Science | 1 | 5% |
Conscient du fossé qui sépare toujours science et foi, le CCIF et l’UCSF organisent conjointement des débats pour montrer l’importance des découvertes scientifiques 587 . Dans ce cadre, les questions qui touchent à la création de l’homme sont privilégiées 588 . ‘"Jusqu’en 1948 encore, au nombre des "vérités fondamentales de la religion chrétienne" déterminées par la commission biblique pontificale en 1909, on comptait explicitement la création spéciale de l’homme, la formation de la première femme à partir de l’homme et l’unité du genre humain par sa descendance d’un seul couple humain"’ ‘ 589 ’ ‘.’ Or, le monogénisme (tous les hommes dérivent d’un seul couple originel) avait été largement battu en brèche par les nouvelles découvertes paléontologiques. Le premier débat qui se rapporte à la théorie de l’évolution - ‘"Discussion de découvertes paléontologiques et d’expériences récentes"’ - a lieu le 28 février 1948 ; le second est organisé sur "L’évolution : problème scientifique et perspectives chrétiennes", le 27 février 1950, et rassemble Jean Piveteau, Tintant, les pères Dubarle et Teilhard de Chardin 590 . Pour toutes ces questions, l’équipe sollicite les tenants de l’évolutionnisme ou, plus rarement, ceux qui tiennent des positions intermédiaires comme Rémy Collin 591 . Les autres, tel Salet ou Descoqs, ne sont pas invités. Le "61" accorde également une large place au père Teilhard de Chardin, symbole du rapprochement réussi des sciences et de la foi. Dès la première SIC, Louis Leprince-Ringuet avait souligné la valeur de l’œuvre teilhardienne 592 ; quant à Étienne Borne, il avait plusieurs fois rappelé dans Recherches et Débats toute l’importance que tenait le jésuite dans sa conception du christianisme 593 . Tout au long des années, le CCIF cherche donc à faire connaître la pensée du paléontologue et à en montrer l’originalité, alors que les écrits du jésuite ne sont pas autorisés à être publiés et que lui-même est interdit de traiter en public de problèmes philosophiques ou théologiques 594 . Le 16 janvier 1947, le père Teilhard de Chardin fait une conférence sur "La place des techniques dans une biologie générale de l’humanité" ; trois ans plus tard, il participe à un débat sur le problème de l’évolution 595 . Alors en exil aux États-Unis, ses amis du "61" lui demandent de collaborer au cahier sur pensée scientifique et foi. Il rédige un article sur l’énergie humaine 596 : décrivant les cyclotrons de Berkeley, l’auteur au fil des pages, souligne l’unité de la recherche et le lien heureux et bénéfique entre la science et le foyer divin. Un an après, il fait sa dernière conférence au "61", le 28 janvier 1954, sur "L’Afrique et les origines humaines" et rend ainsi compte de ses dernières recherches. A sa mort, en 1955, un double hommage lui est rendu. Un premier débat rassemble le 23 mai 1955, Étienne Borne, l’abbé de Lapparent, André de Peretti et Jean Piveteau 597 . Tous rendent hommage à sa foi, à sa fidélité à l’Église et à la qualité de sa pensée 598 . Dans le cahier suivant, Claude Tresmontant présente une chronique sur la pensée teilhardienne 599 . Durant 40 pages (il est exceptionnel qu’une chronique soit aussi ample) l’auteur insiste sur la rigueur de la dialectique, sur l’accord de la réflexion avec la pensée biblique et précise :
‘"Si Thomas d’Aquin ou Bonaventure vivaient en notre siècle, nul doute qu’ils tenteraient un effort analogue à celui de Teilhard de Chardin : étudier avec passion la réalité en gestation pour ne découvrir le sens et établir un dialogue fécond entre la parole du réel et la Parole du Seigneur." 600 ’Plaidoyer inattendu qui n’hésite pas à s’appuyer sur le docteur par excellence de l’Église, saint Thomas d’Aquin ! Les seules réticences du chroniqueur portent sur certaines formules théologiques qui ‘"du point de vue du vocabulaire technique de la métaphysique et de la théologie (sont) contestables"’ ‘ 601 ’. Une intervention du père Pierre Leroy, ami du père Teilhard de Chardin, est également prévue dans le cadre d’un cahier scientifique. Il lui est demandé de confronter la pensée de Teilhard de Chardin et celle de Jean Rostand. Ce dernier, biologiste et philosophe, avait rédigé trois ans auparavant un ouvrage A propos de ce que je crois. Un mois après, le jésuite se désiste :
‘Hélas ! Il me faut revenir sur cette décision. On ne me permet pas en haut lieu d’aborder en public un sujet de ce genre. Je n’ai qu’à me soumettre." 602 ’Le père Leroy donnera un article sur … l’endocrinologie ! Preuve, parmi de nombreuses autres, des difficultés en ces années d’exprimer tout message teilhardien. En cette décennie 1950, le CCIF peut donc être considéré comme un pôle de diffusion important de la pensée teilhardienne. Le fait est d’autant plus méritoire que rares sont les personnes avant 1962 à se reconnaître publiquement influencées par les écrits du jésuite 603 .
L’expérience douloureuse de l’incapacité des philosophes et des scientifiques à trouver un terrain de dialogue va conduire le CCIF et l’UCSF à chercher des voies communes praticables. Des spécialistes viennent donc régulièrement s’exprimer sur cette question : le philosophe belge Jean Ladrière 604 , l’épistémologue René Poirier 605 , le franciscain Bergounioux et le dominicain Carles 606 de Toulouse qui ainsi, en 1953, collaborent au cahier consacré à Pensée scientifique et foi chrétienne. La réflexion sur le dialogue philosophico-scientifique se fait également à partir de thèmes plus circonscrits tel celui organisé par l’UCSF sur "L’originalité biologique de l’homme". Lors de cette réunion privée, les premières interventions sont consacrées à des problèmes techniques (cerveau, psychisme humain et psychisme animal, endocrinologie ...), tandis que les suivantes se focalisent sur les rapports possibles entre foi et sciences 607 .
Si les relations entre l’Union catholique des scientifiques français et le Centre catholique des intellectuels français avaient été marquées aux origines par des difficultés et des incompréhensions, les années 1950 témoignent au contraire d’un travail profond et complémentaire. Les réunions préparatoires comme les exercices publics permettent ainsi de diminuer considérablement la défiance des catholiques à l’égard des sciences, de rejeter définitivement tout fidéisme et tout concordisme. Ils sont aussi l’occasion de chercher, à la suite du père Teilhard de Chardin, un langage nouveau qui intègre les nouvelles connaissances scientifiques.
Le Magistère romain avait toujours manifesté à l’égard des sciences exactes défiance et crainte ; l’arrivée au début du siècle des sciences dites humaines le déconcerte encore plus. La sociologie, la psychologie et la psychanalyse lui semblent dangereuses tant par la méthode utilisée que par les conclusions qui peuvent en être déduites. Éloigné de toute crainte, le CCIF veut au contraire intégrer les résultats des recherches psychanalytiques et psychologiques à la réflexion catholique sur l’homme.
RD 1, novembre-décembre 1948, p. 20-26 et RD 2, janvier-février 1949, p. 19-29.
Voir "Homme" et "Évolutionnisme" dans Catholicisme et "Homme" dans Dictionnaire de spiritualité ainsi que l’article "Biologie et théologie au XXè siècle" de Joachim Illies, dans Bilan de la théologie au XXè siècle, op. cit, tome 1, p. 165-168.
Joachim Illies, art. cité, p. 168.
Le premier débat n’a laissé aucune trace, le second a été en partie retranscrit dans RD 10.
Rémy Collin vient en février 1950, puis au colloque sur l’origine biologique de l’homme en octobre 1956. Il est également invité à la SIC 1957 consacrée à la vie, mais décède peu de temps avant.
SIC 1948, p. 90.
"Belle tentative de christianisation intégrale du savoir humain" précise Étienne Borne, RD 10, mars 1955, p. 142.
Gérard-Henry Baudry, "La tentative de Teilhard, son influence sur l’élaboration théologique contemporaine", dans Les Quatre fleuves, 17, 1983, p. 31-48. Articles "Teilhard de Chardin", dans Dictionnaire de spiritualité et dans Catholicisme.
Avec Piveteau, Tintant et le père Dubarle.
"En regardant un cyclotron, réflexions sur le reploiement sur soi de l’énergie humaine", dans RD 4, Pensée scientifique et foi moderne, mai 1953, p. 123-130.
RD 12, août 1955, p. 149-173.
La science peut-elle former l’homme ? est consacré à la recherche scientifique.
RD 13, octobre 1955, p. 96-137.
Idem.
Ibid.
Père Pierre Leroy à Étienne Borne, 28 août 1956, p. 1, carton 36, n13, AEBO.
Voir à ce sujet Gérard-Henry Baudry, art. cit., p. 33-34.
Jean Ladrière est né en 1921, après une thèse sur le théorème de Gödel, il suit le séminaire d’Eric Weil sur Hegel. En 1959, il est nommé professeur à Louvain à la chaire de cosmologie et se spécialise dans l’étude du discours rationnel.
René Poirier est né en 1900, il cherche à établir une "logique organique" capable de découvrir comment opère l’esprit.
Jules Carles est né en 1902, il est spécialiste des origines de la vie. Il enseigne à l’Institut catholique de Toulouse. Né en 1900, le père Bergounioux est le fondateur et le directeur du Centre de géologie et de paléontologie, centre rattaché à l’Institut catholique de Toulouse.
Les principales interventions sont retranscrites dans Originalité biologique de l’homme, RD 18, février 1957 avec Étienne Borne, Paul Chauchard, Rémy Chauvin, Michel Delsol, Michel Goustard, le père Pierre Leroy, André Leroi-Gourhan, le docteur Minkowski, le père Jean Moretti, René Poirier, Jacques Polonovski, Raymond Ruyer, le docteur Seuntjens.