b) L’art sacré : "un certain ébranlement" ? 649

Avant le concile Vatican II, les relations entre art et Église catholique restent difficiles : l’art sacré est encore largement soumis à des règles rigides comme le rappelle le canon 1064 du code de droit canon : ‘"L’Église doit veiller à ce que, dans la construction des Églises, on préserve les formes reçues de la tradition chrétienne"’ ‘ 650 ’ ‘.’ Le travail accompli depuis l’entre-deux-guerres par le père Marie-Alain Couturier et le père Pie-Raymond Régamey 651 , soucieux de remédier au divorce entre l’art et l’Église et dont la revue Art sacré est l’instrument d’expression, reste largement insuffisant pour opérer de réelles transformations. L’absence d’ouverture du catholicisme aux formes contemporaines est symbolisée par la polémique qui suit la décision de l’évêque d’Annecy de refuser la sculpture du Christ agonisant de Germaine Richier dans la nouvelle Église d’Assy 652 . Sur cette controverse et sur l’ensemble de la question de l’art sacré, le CCIF accorde un intérêt certain : un premier article de Stanislas Fumet montre le bien fondé de la décision épiscopale sans pour autant condamner l’œuvre du sculpteur qui lui paraît digne d’intérêt. Quelque temps après, un second article infirme le précédent en soulignant que ‘"Le Christ d’Assy est un Christ d’Église"’ ‘ 653 ’ ‘.’ La mise au point de Rome peu de temps après (par l’instruction du Saint-Office du 30 juin 1952) marque une fois encore le divorce entre l’Église et les beaux-arts 654 .

Le CCIF soutient quant à lui une autre ligne : celle qui consiste à fustiger le médiocre art catholique et à rappeler la totale liberté des artistes. Le débat qui réunit Pierre Emmanuel 655 , le père Régamey et Stanislas Fumet autour de cette question, lors de la Semaine 1952 consacrée à la liberté est exemplaire :

‘"Les conférenciers n’ont pas été tendres pour les "mièvres ordures" d’une littérature qui confond la piété et le "coma spirituel", le conformisme servile de certaines œuvres d’art et le "christianisme caméléon." 656

C’est dans le même esprit que Georges Rouault, peintre converti au catholicisme, fait l’objet d’une large attention. En juin 1951, le CCIF organise au Palais de Chaillot un hommage à l’auteur de "Passion" en la présence de Jean Cassou, conservateur en chef du Musée d’art moderne, de l’historien d’art René Huyghe, de Lehmann, du peintre personnaliste Alfred Manessier et de Salles. Le 27 octobre 1952, l’abbé Morel, autre grand spécialiste d’art sacré et artiste lui-même, brosse un portrait du peintre, repris, le 19 mai 1958, lors de la projection du film qu’il a tourné sur l’artiste 657 .

C’est autour de la même question de la liberté artistique que le septième art est étudié : plusieurs débats sont ainsi consacrés au cinéma italien néoréraliste qui constitue l’une des vraies nouveautés de l’après-guerre cinématographique et qui participe d’un certain cinéma spirituel 658 . Le cinéma, dit de "qualité française", qui se développe autour de Marcel Carné, Jacques Prévert ou de Marcel Clément est en revanche fort peu valorisé, posant moins le problème de la liberté artistique. Les personnes invitées pour en discuter sont André Bazin, critique de cinéma de la revue Esprit et des Cahiers du cinéma 659 , le père Menessier et des hommes de lettres comme Henri Agel, un agrégé de lettres, cinéphile passionné 660 . Dans la décennie suivante, l’équipe fera davantage appel au sulpicien Amédée Ayffre qui a soutenu une thèse en 1952 sur Dieu au cinéma, Problèmes esthétiques du film religieux.

Faire comprendre et faire aimer ces chrétiens qui ont posé dans leurs œuvres le salut de l’homme ou sa chute a été l’un des soucis de "61", il l’est tout autant de présenter les grandes interrogations de ceux qui ne voient dans le christianisme qu’illusion ou vanité car les questions d’un docteur Rieux interpellent autant que celles d’un curé de Torcy.

Notes
649.

C’est le souhait qu’exprimait l’abbé Brémond lorsqu’il évoquait la fonction de la littérature. Voir Maurice Nédoncelle et Jean Dagens, Entretiens sur Henri Brémond, 1967, p. 8.

650.

Cité par Urban Rapp, "Art et littérature", dans Bilan de la théologie du XXè siècle, op. cit., tome 1, p. 78.

651.

Il est le premier à avoir écrit un ouvrage analysant les principes théologiques de l’art dans : Art sacré au XXè siècle ? Le Cerf, 1952, 483 p.

652.

"Un Christ d’atelier peut n’être pas un Christ d’Église", dans RD 15-16, juillet 1951, p. 70.

653.

Denyse Kohler, RD 18, janvier 1952, p. 76-77.

654.

Étienne Fouilloux, Histoire du christianisme, op. cit., p. 150.

655.

Né en 1916, Pierre Emmanuel est poète et directeur littéraire. Après avoir été séduit quelque temps par le Parti communiste, il s’en détache et s’investit dans le Congrès pour la liberté de la culture dont il devient le secrétaire général adjoint.

656.

Le Monde, 10 mai 1952, p. 9.

657.

Film de l’abbé Morel et texte de Jacques Maritain. Ce dernier y souligne combien Georges Rouault fut pour lui le modèle de l’intégrité absolue, dans RD 25, décembre 1958, p. 185-187. Parmi les autres intervenants : Bernard Dorival, Georges Charensol, Stanislas Fumet, Alfred Manessier, J. Plasse-Le Caisne et le père Régamey. Débat retranscrit dans RD 25, p. 188-204.

658.

Voir Pascal Ory, L’aventure culturelle (1945-1989), Flammarion, 1989, p. 131.

659.

Voir Philippe Rocher, "Les Études et le cinéma, une relecture à l’occasion d’un centenaire", dans Chrétiens et Sociétés, XVIè-XXè siècles, 5, 1998, p. 63-81.

660.

Voir "Henri Agel", dans La critique de cinéma en France, anthologie, dictionnaire, ouvrage sous la direction de Michel Ciment et Jacques Zimmer, Ramsay-cinéma, 1997.