Si en 1949 le CCIF avait donné quatre conférences fortement anticommunistes sur la vie religieuse dans les pays de l’Est afin de montrer la persécution dont étaient l’objet les catholiques, celles-ci avaient été organisées avec le MIIC 776 . Malgré le durcissement du Magistère romain à l’égard de l’idéologie communiste que manifeste la parution du décret de la Congrégation du Saint-Office ordonnant l’exclusion des communistes des sacrements de l’Église et interdisant aux catholiques de participer à toute activité communiste, le CCIF ne craint pas d’entamer une action commune avec eux en 1951. Il décide ainsi de s’associer à l’action de femmes communistes afin de stigmatiser ensemble les dangers de la presse de cœur. L’action du CCIF dans cette affaire répond à l’appel de l’assemblée des cardinaux et archevêques qui avait dénoncé les effets pervers de la presse de cœur sur la famille 777 . En novembre 1951, Robert Barrat participe à une réunion lors de laquelle sont lancées les bases d’un regroupement de personnes et d’associations pour constituer un comité de patronage réunissant Madame Daniélou, mère du père Daniélou 778 , la scientifique Irène Joliot-Curie et Eugénie Cotton, ancienne directrice de l’École normale supérieure de Sèvres 779 . En février 1952, un comité provisoire pour la dignité de la presse féminine est créé. Des contacts sont noués entre l’Union des femmes françaises (union communiste), les associations familiales et l’Action catholique dans l’objectif d’obtenir du gouvernement la suppression des exonérations fiscales dont bénéficie la presse sentimentale. Mais la hiérarchie catholique met brutalement fin au projet :
‘"J’ai vu Mgr Courbe. Il a été extrêmement réticent en me disant que les dirigeants des différents mouvements n’avaient pas compris l’utilité de notre collusion avec les communistes dans cette affaire de la presse sentimentale, que certains avaient été très violents contre notre action et que la plupart refuseraient de participer à une réunion telle que celle que nous lui proposions." 780 ’Et Robert Barrat de préciser à l’une de ses interlocutrices :
‘"Ce sont les mouvements d’Action catholique qui refusent de s’unir à un groupe communiste. D’ailleurs, il semble que les difficultés se mettaient en place entre les catholiques et les revendications des femmes françaises." 781 ’Le projet reste très significatif : il manifeste la volonté de dépasser les clivages idéologiques et de participer, certes modestement mais symboliquement, à une communauté de vie avec les communistes. C’est ce même mouvement de commune conscience qui amène l’équipe à s’engager dans ce que certains considèrent comme une "nouvelle affaire Dreyfus" 782 : le procès des époux Rosenberg.
En novembre 1952, l’affaire Rosenberg est devenue une cause internationale mais il faut attendre mars 1953 pour qu’une première réunion d’information soit organisée au "61" sur la question. L’équipe fait appel à Pierre Goutet et au père Hass pour présenter les charges qui pèsent contre les deux savants juifs américains soupçonnés d’avoir donné le secret de l’atome à l’URSS. En juin 1953, un "Comité chrétien pour la révision du procès des époux Rosenberg" présidé par François Mauriac est créé sous l’auspice du CCIF. L’équipe obtient l’appui de fidèles collaborateurs : Albert Béguin, le père Dabosville, Jean-Marie Domenach, Pierre Emmanuel, André George 783 , Gabriel Marcel, Jacques Madaule, Henri-Irénée Marrou ; il réunit également des personnes plus éloignées comme Jean Cayrol 784 , l’Abbé Denis, député MRP, Louis Martin-Chauffier 785 ou Ella Sauvageot 786 . Un télégramme est envoyé à l’archevêque de New York, le cardinal Spellmann pour lui demander de tout mettre en œuvre pour obtenir un sursis. Après l’exécution des époux Rosenberg, le Centre organise une réunion préparatoire le 24 juin afin de discuter sur le principe d’un meeting 787 . Mais cette initiative des intellectuels catholiques de la rue Madame pose problème : nombreux sont les intellectuels à penser que cet appel fait le jeu des communistes qui demandent eux aussi la révision du procès. Si cet acte renforce la crédibilité du CCIF auprès d’une partie de l’intelligentsia de gauche, il provoque le mécontentement d’une partie de la droite et tout particulièrement de certains pôles financiers. Ainsi Étienne Dupont, président de la banque Dupont, décide-t-il, de donner sa démission de président des Amis du CCIF en juillet 1953 788 . Dans cet épisode, le CCIF se situe sur la ligne des rares journaux comme Le Monde qui n’hésite pas à parler d’un procès constitué sur des bases insuffisantes et douteuses 789 . Ce compagnonnage modeste est choisi par conviction morale (du même type que celui qui provoque la décision du 26 janvier 1953). Le départ de Robert Barrat semble provoquer un recentrement politique du CCIF puisque son remplaçant est le démocrate-chrétien Étienne Borne. Deux nouveaux engagements semblent d’ailleurs se prêter à cette interprétation.
André Ruszkowski dans la lettre circulaire du 31 décembre 1948 rappelle la nécessité de "L’établissement d’un ordre chrétien dans le monde entier" face à "l’idéologie antireligieuse" que constitue le communisme, p. 1. Conférences des 30 mars, 1er 7 et 27 avril 1949, sur "L’Église et l’État", "L’idéologie officielle et la foi", "L’Action catholique", "L’éducation dans ses rapports avec la religion". Conférenciers non connus.
Voir la note de la commission épiscopale de la presse approuvée par l’ACA, dans André Deroo, L’épiscopat français dans la mêlée de son temps, Bonne Presse, p. 144-145. Cette note est à rapprocher du décret du Saint-Office du 20 mai 1952, qui condamne l’œuvre littéraire d’Albert Moravia et celle d’André Gide.
Son activité pendant l’entre-deux-guerres principalement comme fondatrice de Sainte-Marie de Neuilly, une maison-pilote pour les jeunes filles catholiques a été très importante.
Irène Joliot-Curie est l’auteur de nombreuses recherches en physique nucléaire, elle est également compagnon de route du PCF. Elle dirige avec Eugénie Cotton la Fédération démocratique internationale des femmes.
Robert Barrat au père Naïdenoff, 5 février 1952, p. 1, ARMA.
Robert Barrat à Madame Falconetti, 5 mars 1952, p. 1, ARMA.
Robert Barrat à Gabriel Marcel, 4 février 1953, p. 1, ARMA.
Né en 1890, agrégé de l’Université, il enseigne la physique mais s’intéresse tout autant à la musique. Il est membre dirigeant de l’UCSF.
Né en 1911, poète, il est fortement marqué par la guerre et la déportation. Il entre après la Libération au Seuil.
Né en 1894, résistant et membre du Comité national des écrivains, compagnon de route des communistes pendant un temps, il s’en désolidarise peu à peu.
Né en 1900, animatrice de la société Temps présent. Elle joue un rôle fondamental auprès des dominicains des éditions du Cerf.
"Comité chrétien pour la révision du procès des époux Rosenberg", lettre circulaire, carton 6, AICP.Voir en annexe la lettre de protestation.
"J’ai fini par vous imiter, l’intervention du président du CCIF en l’affaire Rosenberg m’y a décidé. J’ai démissionné du comité des Amis du CCIF et aussi du comité directeur", lettre à Roger Millot, 8 juillet 1953, "Pax Romana XI, janvier1953-juillet 1963", ARM.
Le Monde, 17 janvier 1953.