Si la Semaine reçoit l’appui très favorable de La Croix et des Études dont le compte rendu de deux pages est très positif 912 , elle indispose toute une partie de l’intelligentsia catholique qui juge les responsables du Centre inconséquents dans le choix de leurs invités comme dans la problématisation des sujets. Dans un violent article, Louis Salleron parle de ‘"décomposition de l’intelligence"’ ‘ 913 ’ ; Jean Madiran et Pierre de Boisdeffre font entendre leurs critiques soulignant la partialité dans le choix des invités 914 . C’est aussi l’avis du journal des étudiants du Centre Richelieu, Tala Sorbonne, très sévère dans son compte rendu de la SIC et dans les orientations générales du CCIF 915 .
Que reproche-t-on au CCIF ? Principalement d’avoir posé en termes d’institution ecclésiastique les différents problèmes : "L’Église n’est pas cléricale", "L’Église comprend et refuse le communisme", ‘"L’Église ne cesse de passer aux barbares"’ ‘ 916 ’ ‘.’ Par le choix des titres, le CCIF semble engager l’ensemble de l’Église dans les prises de position des semainiers. Pourtant le président Bédarida dans la séance de clôture rappellera les raisons de ce choix en termes clairs et nets :
‘"Nous avions paru, cependant, aux yeux de certains, jouer les enfants terribles, et les formules à éffet (sic) inscrites au programme de telles de nos séances de la Semaine engageaient beaucoup l’Église. Mais les laïcs sont en droit de penser que, selon le mot du Souverain Pontife, ils ne sont pas seulement dans l’Église, mais sont aussi l’Église en communion avec la hiérarchie catholique. Comment dès lors, pourrait-on nous reprocher de parler de ce qui fait notre foi et notre vie ?" 917 ’C’est justement ce qui indispose : la méthode du CCIF lors des Semaines pose le problème du rapport entre l’Église enseignante et l’Église enseignée. Elle souligne la vigueur de la pensée des théologiens en veston, le souci qu’ils ont de participer à l’élaboration du message évangélique. Certains Romains jugent au contraire que l’essentiel de la doctrine doit être formulé par des ecclésiastiques, les laïcs ne jouant qu’un rôle informatif supplémentaire. Si le CCIF sort indemne de la critique - la publication du compte rendu intégral de la Semaine sera néanmoins retardée 918 - , d’autres groupes proches du Centre sont sanctionnés. Lors d’une entrevue entre un responsable des assomptionnistes (le père Dufault, supérieur général ou le Père Colette, vicaire général) et le dominicain Paul Philippe, commissaire au Saint-Office, ce dernier fait état d’une lettre d’un Français de Rome envoyée à Mgr Villot :
‘"Cette lettre regrette qu’en rapportant les conférences de la Semaine des intellectuels catholiques, La Croix n’ait pas assez insisté sur certaines réserves nécessaires. Ne pas oublier le lecteur moyen ... On trouve qu’à la Semaine des intellectuels il se dit des choses qui ne devraient pas se dire, même devant un auditoire spécialisé : s’il faut en parler dans la Croix, il faut que ce soit avec les correctifs nécessaires." 919 ’Le journal des assomptionnistes reçoit un avertissement.
Ce qui est ici l’objet du débat c’est moins le problème de la liberté de recherche que la diffusion des nouveautés théologiques ou philosophiques : la SIC est désormais considérée par la hiérarchie comme une manifestation officielle de l’intelligentsia catholique où la hiérarchie très présente - elle préside certaines séances - semble approuver ce qui se dit. Il lui apparaît donc nécessaire de présenter un corpus d’interventions sans nouveauté car ‘"l’enseignement de la "Semaine" est revêtu d’une grande autorité aux yeux du public, particulièrement du public le moins averti"’ ‘ 920 ’ ‘.’ Les uns demandent un enseignement, les autres pensent la Semaine comme un espace de dialogue et d’interrogations. Le CCIF paie ici la rançon du succès, mais également d’un officialisme croissant et d’une présence un peu trop appuyée de la hiérarchie. Comme l’avait signalé en son temps Maurice Blondel à Paul Archambault regrettant que les Semaines sociales cherchent l’appui et la tutelle des autorités religieuses 921 , le CCIF en invitant deux ou trois représentants des autorités hiérarchiques présider la séance d’ouverture et la séance finale, souligne le lien étroit qui l’unit à la Mère Église. Celle-ci attend donc du Centre fidélité et prudence.
Si la Semaine provoque de nombreux mécontentements et fait l’objet de délations à Rome, elle reste pour la décennie 1950 celle qui a fortement marqué la presse non confessionnelle de gauche. L’Express, France Observateur soulignent ainsi le travail fait par le CCIF depuis plus de dix ans. En cette année 1955, on n’a jamais autant parlé des intellectuels catholiques du "61" :
‘"(…) le réel effort de renouvellement qu’elle accomplit, ni méconnaître la rigueur et l’honnêteté avec laquelle ses promoteurs cherchent à dégager les véritables dimensions d’un christianisme débarrassé de toutes les superstructures parasites." 922 ’Le CCIF acquiert indubitablement la reconnaissance d’une bonne partie de la sphère intellectuelle parisienne :
‘"Le centre français des intellectuels catholiques (sic) a été précisément fondé d’abord dans la clandestinité, puis en 1945 par des professeurs de sciences et de lettres soucieux tout à la fois de sauver les valeurs chrétiennes à l’intérieur des mouvements modernes et de montrer aux chrétiens qu’une certaine "gauche" incarnait davantage ces valeurs que les partis de l’ordre et de la tradition." 923 ’Les années suivantes sont marquées par une dégradation des relations franco-romaines : le catholicisme français est alors traversé de nombreuses tensions : difficultés de Jacques Maritain 924 ou des Informations catholiques internationales, départ forcé du père Gabel du journal La Croix, rapport doctrinal rédigé par Mgr Joseph Lefebvre à l’assemblée plénière de l’épiscopat qui manifeste un raidissement doctrinal de l’épiscopat français 925 , crise du catéchisme autour des démissions forcées de Joseph Colomb et de François Coudreau. C’est en tenant compte de ce nouveau contexte que le CCIF entend continuer son travail.
Carrefour le 24 novembre 1955 présente la SIC 1955 sous ce titre : "La décomposition de l’intelligence".
Actualités : "La Semaine des intellectuels catholiques", janvier 1956, p. 120-122.
Carrefour, 24 novembre 1955.
Le premier dans Rivarol, 24 novembre 1955 ; le second dans Combat, 15 novembre 1955.
Décembre 1955, article très critique sur la première séance. Voir Études, janvier 1956, article du père Russo qui critique l’attitude de Tala Sorbonne.
Fait référence à l’article de Frédéric Ozanam, dans Le Correspondant titré : "Passons aux barbares et suivons la révolution", 10 février 1848.
SIC 1955, p. 221.
Selon le témoignage de René Rémond, dans Le catholicisme français et la société politique, op. cit., p. 145.
Notes prises par le responsable aa, archives des Augustins de l’Assomption, Rome, cote TR 61, prêt Étienne Fouilloux.
"Notes pour l’audience", p. 1, AEBE.
"Un premier "tort", à mon sens, ce fut, au début du tournant politique et social, de trop solliciter les bénédictions, l’appui, la tutelle des autorités religieuses. Il y aurait eu une façon d’être "catholique" de se placer même sur le terrain confessionnel, sans mobiliser les mitres et les anneaux, car il fallait s’attendre dès lors à ce qui est arrivé par la suite, la mobilisation des crosses" ; 3 septembre 1924, document extrait de "Deux lettres à Paul Archambault", présentation et annotation de Yves Palau, "Des catholiques et de la politique, les transformations doctrinales du catholicisme social, 1900-1930", dans Revue française d’histoire des idées politiques, 4, 1996, p. 386.
24 novembre 1955, article de Michel François.
14 novembre 1955, France Observateur, p. 4.
Jean-Dominique Durand, "La grande attaque de 1956", dans Cahiers Jacques Maritain, 30, juin 1995, p. 2-31.
Étienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté, op. cit., p. 298-300.