3. Une nouvelle expérience internationale ?

a) Le CCIF renoue les liens avec Pax Romana

Depuis la fin du second conflit mondial, la hiérarchie romaine a incité ses fidèles à jouer un rôle sur le plan international. Dans un discours de 1954 à la Conférence des organisations internationales catholiques, le pape Pie XII rappelait ainsi que l’Église :

‘"(…) adresse aux catholiques militants un net encouragement à se regrouper sur les divers terrains de leurs activités professionnelles ou apostoliques, pour coopérer plus efficacement à la pénétration de la pensée chrétienne dans la vie internationale contemporaine." 1015

Paradoxalement, la crise de 1951 qui aurait pu amener le CCIF à redéfinir ses tâches au sein des organisations internationales n’avait pas abouti. La hiérarchie française avait d’ailleurs jugé plus efficace l’action du "61" au cœur de l’intelligentsia parisienne. Certes en 1952 toutes les associations internationales d’intellectuels catholiques avaient reçu une invitation pour participer à la SIC. Certaines d’ailleurs étaient venues, mais rares avaient été celles qui avaient réellement participé à l’élaboration intellectuelle du programme. Certes, parfois quelques réunions de secrétariats internationaux se faisaient rue Madame, telle celle qui s’était tenue en avril 1952 pour les juristes, mais le secrétariat parisien des relations internationales avait disparu au milieu des années 1950 sans remous. Les seuls liens qui persistaient entre le CCIF et Fribourg étaient financiers et … plutôt sources de difficultés car le premier oubliait très régulièrement de payer sa cotisation !

En 1957, les premiers signes d’un resserrement des liens entre Fribourg et le CCIF se manifestèrent comme le confirme l’augmentation des débats et des cahiers consacrés à des sujets internationaux.

Tableaux des activités consacrées aux thèmes internationaux
Débats et conférences 1947-1957 1958-1965 1966-1976 1947-1976
International 3% 6% 2% 4%
Recherches et Débats 1952-1957 1958-1965 1965-1973 1952-1973
International 0% 13% 0% 5%

Depuis la création du MIIC, des congrès étaient organisés tous les trois ans pour ‘"promouvoir et stimuler la recherche et aussi marquer la place que les universitaires catholiques ont à prendre dans toute la vie intellectuelle"’ ‘ 1017 ’ ‘.’ En 1952, la réunion avait eu lieu au Canada, en 1955 en Grande-Bretagne. En 1957, alors que le MIIC fêtait ses dix ans d’existence à Rome, le pape Pie XII s’était adressé à l’assemblée pour rappeler le rôle des intellectuels catholiques au sein de la communauté mondiale. Son discours et celui des autres intervenants (Folliet, O’Neill, Salat, Scheyen, cardinal Lercaro, Sugranyes de Franch, Pompe et Pintasilgo) étaient publiés par le CCIF dans le cadre de Recherches et Débats 1018 . Hasard bienfaisant : le CCIF publiait les actes d’un congrès qui rappelait le rôle des intellectuels catholiques français dans la création du MIIC !

Un an auparavant, un exposé sur ‘"Les activités catholiques internationales rédigées pour l’information du CCIF"’ daté du 1er mai 1958 avait été adressé à l’équipe 1019 . Après un rappel des origines et du travail accompli par le MIIC, l’auteur du rapport insistait sur l’aide que pouvait apporter l’équipe parisienne au Mouvement international : établir une liste d’experts pour que l’UNESCO et Pax Romana trouvent rapidement des conseillers, accueillir les intellectuels étrangers de passage à Paris, faire connaître les activités de Pax Romana en province et les idées que le mouvement défend, créer un secrétariat national à l’image de ceux qui s’étaient constitués en Belgique, en Suisse, en Irlande et en Italie. Cette dernière proposition allait être concrétisée en 1959.

Le nouveau secrétariat semble avoir été créé après un voyage à Paris du nouveau président du MIIC, Ramon Sugranyes de Franch, qui avait réuni autour de lui les responsables de différentes associations de diplômés soucieux de voir se resserrer les liens entre le CCIF et Pax Romana 1020 . Le nouveau secrétariat devait :

‘"(…) contribuer, dans son modeste domaine, à accroître et enrichir la connaissance réciproque des catholiques français et des intellectuels catholiques du monde entier." 1021

Il regroupait les représentants des différentes associations que fédérait le CCIF, quelques membres du bureau, ainsi que des représentants de l’UNESCO. Une réunion mensuelle était prévue. La première réunion a lieu le 6 décembre 1959 et réunit : P. Marchand, représentant des beaux-arts catholiques, Henri Quéffelec, des écrivains catholiques, le père Faidherbe, Bonduelle et Pettiti pour le droit, Poumailloux du Centre Laënnec, Dréano des pharmaciens catholiques, Claude Picard, Jacques Polonovski et le père Russo de l’UCSF, Melle Baron pour l’USIC, Meslin de la PU, Melle Mazin et Larnaud de l’UNESCO et enfin le fidèle Michel Charpentier. Parmi les membres du bureau du CCIF se trouvent Renée Bédarida et Suzanne Villeneuve.

À peine un mois après la constitution du secrétariat, l’abbé Biard et Olivier Lacombe se rendent à l’assemblée de Manille qui se déroule du 28 décembre 1959 au 8 janvier 1960. Pour la première fois, l’assemblée du MIIC permettait la réunion d’intellectuels de confessions différentes grâce à l’initiative du directeur général de l’UNESCO, Luther Evans, qui réalisait ainsi une partie de son projet "Orient-Occident" 1022 . Olivier Lacombe était invité à présider cette réunion 1023 . A son retour, l’assistant ecclésiastique, dans un long entretien dans La Croix, insiste sur la collaboration entre intellectuels d’Orient et intellectuels d’Occident 1024 . Pour la seconde fois, les principales interventions au congrès sont retranscrites dans Recherches et Débats. Si le CCIF n’avait joué aucun rôle dans l’organisation de cette importante réunion confessionnelle, il n’en retirait pas moins une notoriété certaine tant par la présidence d’Olivier Lacombe que par l’entretien accordé par son assistant ecclésiastique.

Deux mois après ce voyage, le secrétariat des relations internationales se réunit et fait le bilan de treize ans de partenariat. Le "61" reconnaît sa responsabilité dans l’absence de liens et décide leur redéploiement par le développement de la contribution française au Journal de Pax Romana en envoyant des articles 1025 . Mais l’équipe n’entend pas en rester là : elle veut faire bénéficier le MIIC de sa méthode intellectuelle comme le prouvent les réunions qui préparent la contribution française à l’assemblée plénière prévue pour l’été 1960 au monastère bénédictin de Tioumliline, au Maroc. Pour préparer le congrès l’équipe invite une cinquantaine de spécialistes de l’Afrique afin de saisir les problématiques et les enjeux d’une rencontre chrétienne en terre africaine. Une première réunion est organisée en février 1960, puis un week-end d’études, en mars suivant 1026 . La première rencontre rassemble Alain Barrère des Semaines sociales 1027 , l’économiste grenoblois Gérard de Bernis, le père Birou d’Économie et Humanisme 1028 , Robert Delavignette, le père Desobry de l’aumônerie des étudiants d’outre-mer et son adjoint le père Mévrot, Froelich du Centre des hautes études administratives sur l’Afrique et l’Asie modernes, le père Pascal du secrétariat social d’outre-mer et le père Rétif des Études. Les discussions portent sur l’évolution des Églises noires, sur leur rapport avec leur culture (africanisation de la religion catholique et ses limites), sur la nécessité de former des cadres africains 1029 . Mais la rencontre de Tioumliline avorte :

‘"L’attitude d’un ministre du Gouvernement marocain nous a fait comprendre qu’une réunion internationale chrétienne dans un pays islamique pourrait être interprétée comme une provocation et exploitée comme un prétexte contre l’Église en général et contre le monastère de Tioumliline en particulier." 1030

Trois ans auparavant, Louis Massignon s’était exprimé en cette même abbaye devant une assistance franco-marocaine et franco-algérienne. L’auditoire considérable soulignait qu’il était encore possible de dialoguer entre enfants d’Abraham. Quelques années plus tard, cela est devenu impossible.

Trois raisons expliquent le nouvel intérêt pour l’international : d’une part, le contexte ecclésial français l’y incite comme le souligne la déclaration de l’assemblée des cardinaux et archevêques de France sur "Les chrétiens dans la conjoncture présente" dont la moitié est consacrée à la vie internationale 1031 . D’autre part, le départ de l’abbé Berrar rend possible une "normalisation" des liens : certains membres de Pax Romana avaient cherché à profiter de la situation de 1951 pour tenter la mise à l’écart de l’assistant ecclésiastique ; l’échec de l’entreprise avait renforcé l’aspect intellectuel au détriment de l’international.Enfin, le président Lacombe, par ses travaux de recherche, était convaincu du nécessaire dialogue avec les autres cultures, il allait donc encourager la nouvelle orientation. Pour concrétiser son effort en faveur de la vie internationale, le CCIF accepte de préparer avec la FFEC, l’assemblée plénière de 1966 sur ‘"La liberté et la responsabilité des chrétiens dans l’Église post-conciliaire".’

Notes
1015.

Cité dans l’article "International", dans Catholicisme.

1016.

Lorsque le thème n’est pas repris en analyse dans la partie suivante (1965-1976), les pourcentages de toutes les périodes sont donnés en cette partie.

1017.

Les autres années le MIEC et le MIIC organisaient séparément leur assemblée plénière. Voir Ramon Sugranyes de Franch, "Pax Romana : son histoire", dans Pax Romana, 1921-1981, op. cit., p. 39.

1018.

Pensée chrétienne et communauté mondiale, RD 23, mai 1958, 232 p.

1019.

12 pages manuscrites (brouillon). Il a été impossible d’identifier l’auteur, carton 55, ARMA.

1020.

"Un secrétariat international a été ouvert à Paris", article à soumettre à Pax Romana pour insertion dans le Journal Pax Romana, 15 février 1960, p. 1, carton 55, ARMA.

1021.

Idem.

1022.

Le congrès de Manille était constitué de quatre étapes : la réunion du MIEC, puis, la réunion des différents dirigeants des fédérations asiatiques, suivie de la rencontre des aumôniers sous la conduite du père Faidherbe, et enfin la réunion d’experts de confessions différentes sous les auspices de l’Unesco.

1023.

Selon Ramon Sugranyes de Franch, Pax Romana 1921-1981, op. cit., p. 43. Voir également le témoignage d’Olivier Lacombe, "Ouvertures internationales", dans Réflexion chrétienne et monde moderne, 1945-1965, RD 54, avril 1966, p. 74-76.

1024.

La Croix, 2 février 1960.

1025.

Compte rendu de la réunion du 1er février 1960, p. 5.

1026.

"Christianisme et monde noir", 19-20 mars 1960.

1027.

Né en 1910, ancien président de l’ACJF, professeur d’économie politique à Paris depuis 1957. Il sera nommé président des Semaines sociales en 1959.

1028.

Né en 1916, bon connaisseur de la philosophe Simone Weil, il rejoint l’équipe du père Lebret en 1946 et se spécialise à partir de 1958 dans le développement des pays sous développés.

1029.

Compte rendu de la réunion du 1er février 1960, lettre circulaire du 18 février 1960, p. 2-3, carton 55, ARMA.

1030.

Ramon Sugranyes de Franch, "1947-1961", dans Pax Romana 1921-1961, Fribourg, 1961, p. 29.

1031.

Article "International", art. cit.