b) Un congrès de Pax Romana en France

C’est à Lyon, primatie des Gaules, que l’équipe décide d’organiser le congrès. Elle trouve auprès des membres de la Paroisse universitaire lyonnaise un large soutien, tout particulièrement celui de l’abbé Jean Latreille chargé de la préparation liturgique du congrès 1032 . Mais les préparatifs révèlent une nouvelle fois deux conceptions de l’intellectuel catholique. Pour Fribourg, le CCIF doit surtout participer à l’organisation matérielle du congrès ; pour l’équipe du "61", il s’agit au contraire de permettre aux différents intellectuels et étudiants étrangers de bénéficier de la méthode et de la réflexion des intellectuels catholiques français. Le conflit repose à la fois sur l’organisation matérielle, organisation d’abord prévue pour 800 participants puis ramener … en juin 1966 (c’est-à-dire un mois avant le congrès !) à 400 personnes sans que le CCIF puisse donner son avis ; mais il touche surtout à des orientations intellectuelles car Fribourg craint un ‘"impérialisme culturel français"’ ‘ 1033 ’ ‘.’ Le conflit est tel que François Bédarida envisage de :

‘"(…) communiquer le contenu de (sa) lettre (…) à diverses instances de Pax Romana, de demander à notre représentant, M. Monneron, de saisir le conseil de Pax Romana, textes à l’appui, afin de poser moi-même et publiquement (sic), lors de l’assemblée statutaire du Congrès de Lyon, certaines questions relatives à la préparation des Congrès Internationaux et à la répartition des responsabilités entre le pays invitant et Pax Romana. Bref, c’est tout l’avenir des relations du CCIF et du MIIC qui est en jeu." 1034

La correspondance entre le secrétaire général, Georges Strasser, et le secrétaire du CCIF se poursuit tout au long du mois de juin. Pour l’un, l’emprise du catholicisme français est intolérable et participe d’un certain gallicanisme que subissent les autres groupements d’intellectuels ; pour Paris, le service qu’a rendu le Centre depuis vingt ans au sein de la catholicité conduit à jouer un rôle de premier plan :

‘"Les divergences vont plus loin et un différend nous sépare quant au fond - précise François Bédarida - (…). Nous avions toujours compris que la responsabilité intellectuelle devait être partagée entre Fribourg et Paris. Jamais le CCIF n’acceptera d’être réduit à un service d’intendance ou à une agence de voyages : ce serait perdre sa raison d’être. Peut-être les statuts vous donnent-ils raison, mais notre conception des responsabilités du CCIF sur le plan français comme sur le plan international ne peut que s’opposer à une interprétation d’un juridisme assez restrictif.
Poser de telles affirmations sur la vocation du CCIF ce n’est point émettre des prétentions intolérables de la part des intellectuels catholiques français, c’est simplement partir d’un fait, que leurs travaux depuis vingt ans n’ont cessé de confirmer (…). Cette mission de réflexion chrétienne, avec ses répercussions internationales nous a été encore clairement soulignée par le pape Paul VI (…). Nous y dérober serait manquer à notre propre raison d’être et viderait de tout contenu notre participation au MIIC." 1035

Le conflit est réglé par une lettre d’apaisement écrite, une nouvelle fois, par le président du MIIC, Ramon Sugranyes de Franch 1036 . Mais si le congrès se déroule sans accroc majeur, cette nouvelle expérience de travail commune est un échec. Les Français ont montré une fois encore leur spécificité et leur originalité. Un an auparavant, Renée Bédarida constatait l’échec du secrétariat et l’absence de réels liens entre Paris et Fribourg : ‘"le secrétariat n’a tenu que deux ans car les Parisiens, déjà débordés par les problèmes français, ne suivaient pas fidèlement les réunions"’ ‘ 1037 ’ ‘.’

De fait, les relations entre le MIIC et le CCIF sont quasiment inexistantes après 1966. Certes trois cahiers de Recherches et Débats rassemblent des interventions qui ont lieu sous le patronage de Pax Romana, mais ces articles sont le résultat du travail commun de l’UCSF et du Secrétariat international des questions scientifiques (SIQS) 1038 . Le premier est consacré à La science et la théologie 1039 , le second, Les chemins de la raison, reprend les interventions du colloque organisé à Rome en mars 1971 1040 et le dernier, Le pouvoir de l’homme sur la vie, s’interroge sur la recherche biologique et ses conséquences éthiques 1041 . C’est donc grâce aux bons liens qui existent entre l’UCSF et Pax Romana que ces cahiers voient le jour : le père Russo, l’un des assistants ecclésiastiques de l’Union, est aumônier du SIQS et joue un rôle essentiel de coordination entre les deux groupes de réflexion. Si en 1972 une rencontre européenne MIIC-MIEC se déroule à Chantilly, le CCIF n’y joue aucun rôle 1042 .

La spécificité de la section française a rendu difficile les rapports entre Fribourg et Paris : rapports complexes, tendus où certainement l’exception française s’est parfois trop enorgueillie de sa spécificité. Comme à ses origines, le MIIC trouve son fondement dans la représentation, la visibilité et dans le dialogue entre les cultures. Le CCIF s’intéresse très peu à ces principes et considère que l’urgence est dans la réévaluation du discours théologique. Les incompréhensions mutuelles ont donc été fortes. Lorsque pour les vingt-cinq ans du CCIF l’équipe décide de rappeler ses origines, c’est en trois lignes que le chanoine Berrar rappelle le rôle de Pax Romana dans cette création 1043 . Quant à Olivier Lacombe, chargé de présenter les "ouvertures internationales "du Centre, il le fait en trois pages et s’arrête quasiment à la seule expérience de Manille ! La maigreur des propos est révélatrice du type de relation. Cet échec ne doit pas pour autant faire oublier les autres liens que le CCIF a su entretenir avec de nombreux intellectuels étrangers.

Notes
1032.

Fils du professeur André Latreille, l’abbé Jean Latreille est conseiller ecclésiastique de la Paroisse universitaire lyonnaise. Des liens de forte amitié le lient à la famille Bédarida.

1033.

Expression reprise dans la lettre de François Bédarida à Georges Strasser, 10 juin 1966, p. 2, ARMA.

1034.

Idem, p. 3.

1035.

François Bédarida à Georges Strasser, 17 juin 1966, p. 2, ARMA.

1036.

Lettre du 28 juin 1966. En 1951, il avait écrit une lettre d’apaisement à l’abbé Berrar.

1037.

Renée Bédarida à Roger Dumaine, 27 février 1965, 2 p., ARMA.

1038.

Le SIQS rassemblait les scientifiques catholiques des différents pays membres du MIIC. Parmi les principales figures se trouvent Lucien Morren et Jean Ladrière, Claude Picard et le père Russo.

1039.

RD 67, janvier 1970, 249 p.

1040.

Le colloque de Rome (19-21 mars 1971) est axé sur l’autonomie de la science et son articulation vis-à-vis de la théologie : RD 75, mars 1972, 188 p.

1041.

RD 85-86, quatrième trimestre 1976, 247 p.

1042.

Aucune trace en tous les cas dans les archives, d’une aide matérielle ou intellectuelle pour ce rassemblement.

1043.

"M. Roger Millot qui avait été longtemps une cheville ouvrière de Pax Romana engagea vivement les animateurs du CUC à offrir ses cadres et ses services à une fédération française qui pourrait avoir un rôle à jouer dans le mouvement international" : "Les origines du CCIF", art. cit., p. 18.