La SIC qui se déroule en novembre 1958 avait d’abord pour ambition de débattre de l’Afrique noire en évitant la crise algérienne. Le sujet est finalement élargi à l’ensemble des continents lors de la réunion préparatoire en janvier 1958, qui réunit le père Rétif, Louis Aujoulat et Robert Delavignette, l’ancien gouverneur de la France d’outre-mer qui avait démissionné de son poste pour désavouer la politique outre-mer menée par l’État français. L’objectif du Centre est de présenter les différentes formes du nationalisme, d’en montrer les richesses et les limites en évitant de ‘"faire la leçon au nationalisme au nom d’un moralisme souvent vide et vain"’ ‘ 1060 ’ ‘.’ Trois lignes de force sont valorisées : la définition du nationalisme et des différentes formes qu’il prend, les différentes hypothèses de rapports de force à venir et leurs enjeux (importance de la technique, question du communisme ...) et enfin le rôle du christianisme dans les bouleversements et dans la reconstruction (clergé indigène, nouvelles méthodes missionnaires). Pour répondre à ces questions, des spécialistes et des acteurs du conflit sont invités. Si se côtoient anticolonialistes et décolonialistes, ceux qui sont hostiles à toute évolution de l’Empire français sont absents 1061 . Le Centre invite donc René Rémond, Victor-Lucien Tapié mais aussi le député malgache Jacques Rabemananjara. Entouré de Robert Delavignette et de Joseph Folliet dont la thèse sur la colonisation dans les années 1930 avait souligné les errements de la politique coloniale française, le Malgache prononce un réquisitoire implacable du colonialisme et appelle à l’indépendance :
Les tensions entre les membres du comité directeur sont très fortes : l’équipe reçoit de Jacques Hérissay une lettre de mécontentement 1063 , Jean de Fabrègues quitte furieux la salle de la Mutualité. Quant à la presse conservatrice, elle se déchaîne contre le CCIF 1064 .
Une autre séance s’intéresse à "l’Église missionnaire et les nationalismes". Celle-ci constitue la reprise d’un thème déjà largement exploré par l’équipe soucieuse de désolidariser l’Église de la culture occidentale. Mais au cœur de cette interrogation se trouve une autre dimension toute politique comme le fait remarquer Alioune Diop qui s’oppose alors au père Daniélou lui reprochant de poser en termes strictement spéculatifs le problème. La dernière séance intitulée "Patrie charnelle et Royaume de Dieu" rassemble des intellectuels catholiques et des pasteurs solidaires des nationalistes. Mgr Chappoulie, le père Houang, Henri-Irénée Marrou et l’Autrichien Friedrich Heer. François Houang est un Chinois converti au catholicisme. Élève et ami de Jean Wahl, il cherche à concilier son amour pour la patrie chinoise et pour Jésus-Christ 1065 . Friedrich Heer est historien du Moyen Âge, il est également engagé dans le dialogue avec les communistes. Quant à Henri-Irénée Marrou, il fut l’un des premiers à avoir dénoncé la torture dans un article retentissant publié dans Le Monde 1066 .
Cette Semaine est donc sans équivoque une semaine politique où l’équipe du "61" a donné la parole à ceux qui incarnent une hostilité théorique et pratique à l’action du gouvernement en outre-mer. Les positions ne sont pas unanimes, les discours plus ou moins critiques, mais il y a là une contribution importante pour la compréhension du phénomène nationaliste. Un élément manque cependant c’est l’Algérie sur lequel le CCIF a préféré faire l’impasse. Six mois auparavant l’équipe a en effet été abasourdie par la violence avec laquelle des manifestants ont tenté de faire taire le grand orientaliste Louis Massignon. C’est en effet lors d’un débat consacré au père de Foucauld 1067 que trente personnes interrompent brutalement les orateurs, arrachent le cahier qui contenait les lettres que Massignon avait reçues de l’ermite, les piétinent puis les éparpillent dans la salle. Les assaillants s’en prennent ensuite à la personne même de Louis Massignon qui, ce soir-là, perd l’usage d’un œil 1068 . Le CCIF craint pour les séances de la Semaine : en évitant de solliciter des acteurs du drame algérien, (si ce n’est le professeur Marrou), il cherche à limiter les réactions. Malgré l’absence de l’Algérie, la Semaine reste importante mais paradoxalement, elle clôt d’une certaine façon l’engagement des intellectuels du "61" sur les affaires coloniales. Par la suite, les débats et les articles se font de plus en plus rares sur la question.
"Projet SIC 1958", p. 2, "dossier SIC 1958", ARMA.
Pierre Debray et Raoul Girardet furent invités rue Madame pour défendre la cause de l’Algérie française. Il sera vivement reproché à l’équipe du "61" de ne pas avoir invité les représentants les plus fermes de l’Algérie française.
SIC 1958, p. 113.
Lettre du 8 décembre 1958.
Louis Salleron, dans Carrefour, 12 novembre 1958. La Nation française, 12 novembre 1958.
L’exposé qu’il donne à la SIC est un témoignage intense de l’écartèlement dans lequel se trouvent les Chinois catholiques. Sans jamais critiquer le gouvernement communiste, il pose le problème du respect de la croyance et souligne la valeur et la richesse du bouddhisme chinois, pensée mystique et métaphysique pénétrantes.
Le Monde, avril 1956.
"Présence du père de Foucauld" avec Robert Barrat, Michel Carrouges, Louis Massignon et l’abbé Six.
Le Monde et La Croix résument la séance, 19 février 1958. Voir "Louis Massignon et Charles de Foucauld", par Hugues Didier, dans Louis Massignon et ses contemporains, sous la direction de Jacques Keryell, Karthala, 1997, p. 93-109. En réparation de l’agression, le Garde des sceaux Edmond Michelet fait organiser une nouvelle conférence de Louis Massignon à la Sorbonne sous protection. Voir à ce sujet : François Angelier, Louis Massignon : une courbe de vie (1883-1962), Question de, n°90, p. 253.