c) La double authentification

Si les débats en ces années (en excluant les grands débats conciliaires 1196 ) drainent entre 4600 et 5700 personnes, ce nombre augmente considérablement lorsque les débats conciliaires sont intégrés :

Le père Daniélou parle devant respectivement 1095 et 1284 personnes, le père Congar devant 2375 personnes ! Quant à l’œcuménisme, c’est un sujet qui attire les foules : le cardinal Bea, en janvier 1962, avait été écouté par plus de 2260 personnes ; le débat qui rassemble le pasteur Schutz et Mgr Huygue en draine, le 21 janvier 1963, 2111. La semaine suivante, 1117 personnes viennent écouter sur le même sujet Dom Thomas Becquet, le pasteur Bosc, Mgr Cassien et le père Le Guillou 1197 . Deux ans plus tard, un dernier débat œcuménique rassemble 1600 personnes autour du pasteur Roux et du père Congar ! 1198

Indéniablement le "61" trouve une nouvelle notoriété en se faisant la caisse de résonance de l’aggiornamento conciliaire. Pour se faire, il fait davantage appel aux membres de la hiérarchie ecclésiastique et tout particulièrement à des évêques français comme Mgr Delarue, évêque de Nanterre, Mgr Huyghe, évêque d’Arras ou encore Mgr Garrone. Il reçoit également un appui plus soutenu de l’archevêché de Paris. Deux jours avant la conférence du père Congar sur la troisième session du concile, le cardinal Feltin adresse ainsi à l’équipe une lettre d’encouragement et rappelle la vocation du Centre :

‘"Vous avez pris l’heureuse initiative de présenter à un large public le Bilan de la 3ème Session du concile. Je vous en félicite et je vous en remercie.
(…) Aussi, par votre initiative, vous voulez permettre à ces "hommes de bonne volonté" dont parlait Jean XXIII, de bien connaître l’Église, ce qu’Elle pense et ce qu’Elle décide, puisque le but du concile est de faire une mise au point de la structure de l’Église et de son action dans le monde d’aujourd’hui.
Vous avez choisi pour cet exposé l’un des experts les plus écoutés, qui a beaucoup, travaillé durant toute cette Session. Nul mieux que lui n’est au courant des travaux conciliaires. En outre le Père CONGAR a la sympathie générale des Pères. Le Souverain Pontife a pour lui une estime particulière : j’en ai reçu un témoignage formel lors d’une récente audience privée.
Ainsi je suis certain que l’enseignement, spécifiquement religieux, qui sera donné à cette réunion éclairera les uns sur les questions encore obscures, soutiendra les autres dans leur fidélité à l’Église et à sa hiérarchie." 1199

Éclairer les uns, soutenir les autres dans la fidélité à l’Église et à sa hiérarchie, telle est la mission dont est chargée alors le CCIF. En ces années, l’adéquation est quasiment totale entre les problématiques que le Centre valorise depuis vingt ans et la majorité conciliaire. Aux yeux de beaucoup, il devient alors le porte-drapeau de la hiérarchie catholique française dans son expression la plus ouverte. Cette authentification intellectuelle par la hiérarchie n’est d’ailleurs pas sans emprisonner le Centre catholique des intellectuels français dans ce que certains nomment une "instrumentalisation" au service de la hiérarchie catholique 1200 . Si en 1950 il est bien rare de voir au "61" (si ce n’est pour la séance d’ouverture ou celle de clôture des Semaines), un évêque ou un archevêque, le milieu des années 1960 est caractérisé au contraire par leur forte présence. Le CCIF se fait désormais en ces années conciliaires le porte-voix à la fois d’un peuple de laïcs éclairés soucieux de jouer un rôle dans l’Église, et de pasteurs au contact direct avec les fidèles. Le terme d’instrumentalisation est donc impropre puisque ce n’est pas la hiérarchie catholique qui se sert du "61" pour exprimer ses idées, mais le Centre qui accueille à bras ouverts une Église servante, en marche.

Depuis ses origines, le CCIF s’était intéressé aux autres religions. L’ouverture s’était faite à l’égard des frères séparés orthodoxes et protestants, mais aussi à l’égard des juifs et des musulmans. Les religions non chrétiennes avaient donc fortement attiré son attention alors que les ouvriers de ce dialogue interreligieux étaient peu nombreux et sans grande influence. Il faut en effet attendre la fin du concile Vatican II pour que ces champs de recherche soient véritablement reconnus par le Magistère romain.

Notes
1196.

Ont été retenus comme conférences ou débats conciliaires les réunions consacrées aux différentes sessions du concile et celles sur l’œcuménisme.

1197.

Tous les quatre sont des piliers du dialogue œcuménique.

1198.

Pour l’analyse de l’œcuménisme, voir infra.

1199.

Mgr Feltin à Olivier Lacombe, 11 décembre 1964, lettre que dactylographie le Centre, ARMA.

1200.

Jean Tavarès, thèse citée.