C’est en 1946 que le père Abd-El-Jalil prononça une première conférence sur l’attitude du croyant russe orthodoxe devant la divinité. Celle-ci allait être la première d’un long chemin de dialogue :
Débats et conférences | 1947-1957 | 1958-1965 | 1966-1976 | 1947-1976 |
Situation d’Églises chrétiennes étrangères | 3,6% | 1,1% | 3,5% | 2,7% |
Relations œcuméniques | 1,4% | 4,2% | 1,8% | 2,4% |
Protestantisme | 0% | 0% | 2,6% | 0,5% |
Orthodoxie | 0,4% | 0,5% | 0% | 0,3% |
Total | 5,4% | 5,8% | 7,9% | 5,9% |
S’ils ne sont pas nombreux, les débats dans les décennies 1940 et 1950, sont importants par la qualité des intervenants et la valeur des sujets. La connaissance des Églises chrétiennes étrangères et le dialogue interconfessionnel constituent alors les deux axes principaux des rencontres. C’est en 1952 que le CCIF organise sa première réunion sur l’œcuménisme dans un contexte d’efflorescence où certaines personnalités explorent de nouvelles voies de dialogue 1203 . Cette réunion a lieu lors de la Semaine pour l’Unité en la présence des pères Congar, Daniélou, de l’orthodoxe Paul Evdokimov et d’un pasteur protestant (non identifié). Deux ans plus tard, six conférences présentent l’attitude de différentes religions face à la liberté : Olivier Lacombe et le père indien Jérôme D’Souza étudient l’hindouisme, Nadjoum dine Bammate, un musulman, s’intéresse à l’islam et le père Congar à l’orthodoxie ; quant au père Abd-El-Jalil, il évoque la liberté dans la religion orthodoxe 1204 .
Si la conférence d’Amsterdam, qui constitue de façon définitive le Conseil œcuménique des Églises, n’occasionne bizarrement aucun débat, l’équipe invite en revanche le responsable d’Istina, le père Dumont, à présenter l’assemblée d’Evanston. Cette assemblée, qui avait réuni le Conseil œcuménique des Églises, avait déclaré que le premier objectif du Conseil serait l’unité des chrétiens 1205 . Cette conférence clôt le premier cycle œcuménique du CCIF. Il faut, en effet, attendre l’année 1957 pour que le sujet soit repris. Ce silence est à l’image du mouvement œcuménique qui connaît après 1954 des difficultés diverses.
En 1957, l’équipe cherche à réorganiser un débat sur le sujet mais les autorités hiérarchiques s’y opposent 1206 . En février 1958, l’abbé Biard invite le père Congar à venir à plusieurs débats et colloques. Le projet se concrétise un an plus tard. Entre temps, le contexte a quelque peu changé pour le dominicain, comme pour la cause qu’il défend. En janvier 1959 Jean XXIII, lors de la célébration de la Semaine de prière pour l’Unité, décide de la réunion d’un concile œcuménique 1207 : désormais le thème est d’actualité et le "61" entend bien préparer les esprits et les cœurs à ce dialogue. C’est d’une manière vigoureuse que le père Congar se lance dans cette aventure. Lors de sa conférence, il lance au plus grand effarement de l’auditoire du "61" :
‘"Pour la conversion de tous les chrétiens à l’Évangile … pour la conversion de tous les évêques à l’Évangile … pour la conversion du Pape à l’Évangile" ! 1208 ’Désormais tous les ans et jusqu’en 1964, les piliers de l’œcuménisme viennent rue Madame exposer les enjeux du dialogue. Le phénomène est d’autant plus important que le thème reste délaissé par les paroisses parisiennes qui n’y accordent que fort peu d’intérêt 1209 .
Le 25 janvier 1960, le pasteur Bosc, les pères Daniélou, Le Guillou et Mélia s’interrogent sur les possibilités d’une unité chrétienne. En janvier 1961, c’est de nouveau le père Congar qui vient proclamer l’année 1961 "année œcuménique" 1210 . Parallèlement à cette expression publique, le Centre lance le projet de créer en 1961, un numéro commun à Recherches et Débats et Verbum caro, revue de la communauté de Taizé. L’objectif de ce travail est de présenter des ‘"réflexions complémentaires de catholiques et de protestants sur un même sujet"’ ‘ 1211 ’ ‘.’ Ce projet qui vise à porter témoignage de la communauté de travail d’intellectuels catholiques et protestants n’aboutit pas, mais est révélateur de la volonté de "coopérations œcuméniques" selon l’expression d’Étienne Borne 1212 . Peu de temps auparavant, l’abbé Biard avait d’ailleurs écrit à l’archevêque coadjuteur de Paris, Mgr Veuillot, pour lui demander de constituer un secrétariat pour l’Unité chrétienne dans le diocèse de Paris. Ce secrétariat devait représenter les divers courants de pensée et de spiritualité qui se mettaient en place dans l’ordre œcuménique et devait également informer, guider, promouvoir le dialogue tout en évitant certaines initiatives ou certaines maladresses 1213 . Un mois plus tard le secrétariat est créé. Sans qu’il soit possible de déterminer précisément la part de responsabilité directe de l’abbé Biard dans cette création, il est certain que son initiative a dû jouer un rôle non négligeable dans la mise en place de cette structure, tout comme celle qui le conduit à inviter pour le mois de janvier 1962 le cardinal Bea à Paris.
L’ancien confesseur de Pie XII, le secrétaire du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens reste une semaine à Paris au cours de laquelle l’assistant ecclésiastique lui a organisé des rencontres avec des officiels catholiques et avec des représentants des différentes confessions chrétiennes et juives 1214 .
Un mois plus tard en février 1962, le pasteur Westphal, P. Bobrinski et le père Le Guillou sont invités à faire le bilan de la troisième réunion du Conseil œcuménique des Églises qui venait de condamner fermement, et pour la première fois, l’antisémitisme. Puis en janvier 1963, le pasteur Roger Schutz, fondateur de la communauté de Taizé et l’évêque d’Arras, Mgr Huyghe échangent sur l’avenir du mouvement. Enfin le 19 janvier 1964, lors de la Semaine de l’Unité, le père Congar et le pasteur Roux continuent le dialogue 1215 . Si le protestantisme se taille la part la plus importante, l’orthodoxie acquiert, elle aussi, sa place en février 1965, lorsque le père Scrima et le père Antoine Wenger débattent de "l’Église orientale et l’unité" 1216 .
Une nouvelle étape est franchie lorsque le 31 janvier 1966, le pasteur Bosc et le père Daniélou analysent la constitution De divina relatione. Les deux hommes s’interrogent sur la tradition et son rôle dans la connaissance de l’Écriture 1217 . Débat intéressant puisque De divina relatione avait été fortement critiqué pour avoir posé, du point de vue de l’écriture, le problème de l’œcuménisme. Les deux hommes montrent leurs convergences sur l’antériorité de la Tradition devant l’Écriture et leurs divergences sur la question de l’autorité de l’Église face à celle de l’Écriture. Les problèmes qui sont au cœur de l’avancement du dialogue œcuménique sont alors posés : l’affirmation dogmatique et l’infaillibilité, la liberté et l’autorité. La séance se termine sur le cas de la mariologie qui, rappelle le pasteur Bosc, pose d’autant plus problèmes que le magistère en a donné un caractère irréformable.
Le CCIF précède donc amplement le dialogue œcuménique entamé par la hiérarchie catholique qui en créant le 5 juin 1960, le Secrétariat pour l’Unité des chrétiens accomplit un premier pas vers une certaine officialisation des rapports interconfessionnels 1218 . Entre 1950 et 1965, le CCIF a étroitement suivi l’évolution du rapprochement œcuménique. Au début des années 1950, une double piste a été valorisée : la réflexion par des catholiques de l’urgence d’un rapprochement avec les protestants et d’autre part, la réflexion entreprise principalement par des catholiques, parfois avec d’autres chrétiens, de nœuds œcuméniques. Le mouvement œcuménique est interrompu par l’exil d’un de ses meilleurs piliers, le père Congar. La seconde grande période se situe donc au moment où le dialogue interconfessionnel est accueilli ouvertement par l’Église romaine : le CCIF se fait le porte-voix des jalons successifs du rapprochement, il invite alors les observateurs protestants du concile (le pasteur Roux ou le pasteur Bosc), puis au milieu des années 1960 se lance dans une nouvelle étape, conscient que l’enjeu réside désormais dans un travail théologique commun. La multiplication des protestants aux Semaines à partir de 1966 le confirment. C’est ainsi que le pasteur Cullmann 1219 est invité en 1968, les pasteurs Vischer et Vissert’ Hooft en 1969 1220 . Le Centre est une nouvelle fois exemplaire du virage amorcé par le catholicisme français dans ses franges les plus novatrices vis-à-vis du protestantisme et de l’orthodoxie.
Cette ouverture ne se manifeste pas seulement à l’égard des frères séparés, elle s’élargit également aux juifs.
Selon Raymond Panikkar, le dialogue intrareligieux se définit par la rencontre religieuse en une quête de la vérité qui aboutit à la prière. Voir Le dialogue intrareligieux, Aubier, 1985, 175 p.
"Œcuménisme", dans Catholicisme et la thèse d’Étienne Fouilloux sur Les catholiques et l’unité, op. cit.
Ces conférences avaient été précédées par celle de Gustave Thibon sur "Christianisme et liberté". L’ensemble est publié dans RD 1 sous le titre de Christianisme et liberté, op. cit.
Voir article "Œcuménisme", dans Catholicisme, p. 1509.
Témoignage de Mgr Berrar, 1994.
Voir article "Œcuménisme", dans Catholicisme, p. 1520.
"Je revois encore l’effarement des auditeurs du Centre catholique des intellectuels français (…) et l’étonnement plus grand encore du père constatant le saisissement dans la salle. Beaucoup de participants choqués par la nouveauté de la formule ne pouvaient soupçonner la profondeur de signification (…) ; ils y voyaient une provocation" rapporte le père Le Guillou dans son article "Yves Congar", dans Bilan de la théologie, op. cit., tome 2, p. 793.
Luc Perrin, Paris à l’heure de Vatican II, op. cit., p. 218 et sequentes.
Conférence retranscrite dans RD 36, octobre 1961, p. 212-231.
Lettre de l’abbé Biard au frère Roger Schutz, 13 décembre 1961, p. 1, ARMA.
Étienne Borne à Paul Ricœur : j’y attache comme vous la même signification de coopérations œcuméniques et en même temps de réflexions fondamentales", 5 avril 1959, p. 1, carton 36 dossier 19, AEBO.
Abbé Biard à Mgr Veuillot, 24 novembre 1961, p. 1. Le Secrétariat diocésain pour l’Unité des Chrétiens est créé en décembre 1961. Monseigneur Dumont en est le responsable. Luc Perrin, op. cit., p. 225.
Conférence publiée dans RD 39, juin 1962, p. 151-169. Luc Perrin ne mentionne pas l’activité essentielle du CCIF sur ce thème. La venue du cardinal Bea, en 1962, fit pourtant événement dans Paris.
Cette conférence fait l’objet d’un enregistrement disque Jéricho CCIF.
Le 21 novembre 1964 a été voté le décret Orientalum ecclesiarum.
RD 57, décembre 1966, p. 153-174.
Voir article "Interconfessionnels", dans Catholicisme.
Né en 1902, théologien protestant spécialiste du Nouveau Testament.
Le premier est pasteur à Genève et le second secrétaire général du conseil œcuménique des Églises.