Chapitre 1. La confirmation du succès (1966-1969) ?

1. Une relève générationnelle ?

a) Une nouvelle équipe

C’est en 1963 qu’Olivier Lacombe avait formulé le désir de quitter la présidence du CCIF, il s’en était expliqué à François Bédarida qui lui avait demandé de surseoir un temps à sa décision. L’équipe se lançait alors dans l’ouverture de la Semaine aux incroyants et préférait conserver son trio dirigeant. En 1965, Olivier Lacombe reprend son indépendance. Depuis 1958, il avait suivi les orientations du Centre, restant assez proche de la ligne conduite par Étienne Borne, mais avec le départ de ce dernier, le philosophe thomiste s’était éloigné des positions développées par une équipe bien plus jeune que lui. Le secrétaire général cherche alors une figure de l’intelligentsia catholique digne de le remplacer. Le choix porte sur Pierre-Henri Simon. Ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (promotion 1923, alors que Lacombe était de 1925) c’est un agrégé de lettres, professeur à l’Université de Fribourg et critique littéraire du Monde. C’est également un homme engagé dans les combats de son temps, gaulliste convaincu qui n’a pas hésité à condamner la torture en Algérie dans son retentissant ouvrage Contre la torture 1318 . S’il incarne une position classique en termes de culture, il représente également la liberté de parole d’un homme juste.

Pierre-Henri Simon décline cependant la proposition en raison de son éloignement de Paris. L’équipe pense alors à un autre normalien, Jacques de Bourbon-Busset, autre figure de l’intelligentsia catholique mais dont le parcours est quelque peu plus atypique puisque après une carrière d’expert politique l’homme était devenu écrivain. Il refuse pour absence de disponibilités. L’équipe fait appel à un troisième normalien, mais cette fois-ci, beaucoup plus jeune, l’historien, René Rémond. Ce dernier a intégré l’École normale supérieure en 1942, seulement quatre ans avant François Bédarida ; il est un assez fidèle intervenant du Centre. Il a collaboré à cinq Semaines, a participé à quatre débats et a rédigé quatre articles. En outre depuis 1958, il est invité au comité directeur, puis au début des années 1960, intervient aux réunions de travail du comité de rédaction. Reconnu pour la qualité de ses travaux historiques, c’est également un intellectuel engagé : ancien responsable de la JEC universitaire, il collabore à Témoignage chrétien et à La Vie intellectuelle 1319 . C’est donc à la fois un très bon connaisseur du milieu intellectuel - il a enseigné à la Fondation nationale des sciences politiques, puis a été nommé professeur à Nanterre - et un ancien militant et dirigeant catholique que l’équipe se décide à choisir.

C’est justement ce profil de militant qui occasionne quelques difficultés. René Rémond a en effet appuyé, quelque temps auparavant, la position tenue par les responsables de la JEC universitaire contre Mgr Veuillot, l’archevêque coadjuteur de Paris. Certains membres du comité directeur craignent donc que le CCIF ne soit la victime indirecte de ces tensions. Après une altercation assez vive entre Henri-Irénée Marrou, soutenant fermement la candidature de René Rémond, et le juriste Mazeaud qui la refuse 1320 , le comité directeur élit, le 9 juin 1965, René Rémond, président du CCIF et nomme Olivier Lacombe, président d’honneur. L’équipe préférera cependant attendre l’automne 1965 pour rendre publique cette élection afin que sa nomination n’apparaisse comme un désaveu à l’égard de Pierre Veuillot. A la différence des deux précédents présidents, René Rémond entend participer à l’élaboration des activités intellectuelles du CCIF. Il va donc incarner un nouveau mode de fonctionnement en étant présent à chaque réunion du bureau le mercredi soir, proposant des problématiques, faisant jouer ses connaissances du milieu intellectuel parisien pour inviter des personnalités nouvelles.

Figure
Figure 1 : René Rémond, 2 : François Bédarida, 3 : Olivier Lacombe, 4 : Etienne Borne

Un an plus tard, en septembre 1966, François Bédarida est nommé directeur de la Maison française d’Oxford. Les Bédarida avaient joué un rôle important au Centre drainant avec eux une génération plus jeune, principalement constituée d’historiens. Ils avaient fait du dialogue avec le marxisme l’un des éléments essentiels de leur présence. Sur la proposition de François Bédarida, le scientifique André Astier est choisi comme secrétaire général du CCIF. Cet ancien élève de l’École polytechnique avait intégré le laboratoire de Louis Leprince-Ringuet et avait alors rejoint l’équipe de l’UCSF. Sa nomination entendait souligner l’étroit lien qui unissait l’équipe à l’Union. Le physicien acceptait la charge avec cependant quelques réticences :

‘"Il a fallu combler un trou en toute hâte - précise-t-il ainsi à Robert Barrat - qui risque de durer deux ou trois ans au plus. Alors au nom de l’aggiornamento de l’Église, au nom de son ouverture au monde, on m’a demandé de le faire. Pendant une semaine, j’ai énergiquement refusé, puis j’ai cédé." 1321

Deux principes sont chers au nouveau secrétaire général : prendre position dans la cité et toucher la génération étudiante en organisant des activités qui lui seraient spécifiquement consacrées. Il cherche donc à renouer avec un engagement plus politique, proche de celui qu’avait tenté de développer Robert Barrat au début des années 1950.

Peu de temps après le départ des Bédarida, c’est l’abbé Biard qui quitte le "61". Mgr Veuillot a en effet décidé de nommer l’abbé Pézeril, curé de Saint-Jacques du Haut-Pas, évêque auxiliaire de Paris. Il lui faut donc trouver un remplaçant. L’abbé Pézeril lui propose l’abbé Biard ; Pierre Veuillot accepte aussitôt. L’archevêque nomme alors l’abbé Michel Coloni, aumônier adjoint du Centre Richelieu depuis 1956 et aumônier diocésain de la Paroisse universitaire depuis 1963, assistant ecclésiastique du CCIF. L’abbé Coloni est certes bon connaisseur des milieux étudiants et des universitaires catholiques - licencié d’histoire et de théologie, il s’intéresse tout particulièrement à l’exégèse - mais il a été également le fidèle animateur, avec l’abbé Jean-Marie Lustiger, des orientations développées par l’abbé Charles au Centre Richelieu. A la différence des deux précédents assistants ecclésiastiques – dont les positions étaient fort distantes des positions de l’abbé Charles - son approche de la culture est plus attestataire.

Le nouveau trio s’attache à réorganiser les activités du "61" mais c’est le président qui, désormais, tient le gouvernail. Il regroupe autour de lui une nouvelle équipe de travail et lance une équipe de rédaction, en lien avec le bureau, chargée d’appliquer les décisions prises au comité de rédaction 1322 . Le bureau va alors prospecter pour établir cette petite équipe. Marc Venard et Bernard Willerval, déjà présents au comité de rédaction, entrent au bureau. L’équipe fait également appel à Claude Bruaire et à Étienne Fouilloux. Le premier, fidèle du comité de rédaction depuis le début des années 1960, appartient déjà à une génération ancienne (née au début des années 1930) alors que le second participe davantage au rajeunissement de l’équipe. Cet ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud entre au comité de rédaction en octobre 1968. Son arrivée est suivie de plusieurs autres durant l’année 1969 : Claude Langlois, un autre historien et Joseph Musseau, ancien membre du Centre Richelieu. C’est ce dernier qui, en 1970, remplacera la très fidèle Suzanne Villeneuve au poste de trésorier. Enfin, le bureau accueille Marcel Merle, un juriste qui avait lancé sur Bordeaux quelques années auparavant, un Centre de recherche chrétienne et qui nouvellement nommé à l’Institut de sciences politiques de Paris rejoint l’équipe du "61". Il est spécialiste des questions internationales et progressivement détiendra, sans en avoir le titre, la fonction de vice-président 1323 .

Ce renouvellement de l’équipe s’accompagne d’un élargissement de l’assise intellectuelle sur laquelle le CCIF entend s’appuyer.

Notes
1318.

Témoin de l’homme, hommage à Pierre-Henri Simon , op. cit.

1319.

Voir Vivre notre histoire. Aimé Savard interroge René Rémond , op. cit.

1320.

Témoignage de François Bédarida à l’auteur.

1321.

André Astier à Robert Barrat, 22 décembre 1966, p. 1.

1322.

Compte rendu, 17 juin 1967, ARMA.

1323.

Cette fonction était progressivement tombée dans l’oubli : après le départ de Madeleine Leroy pour le Japon, André Lichnerowicz avait été choisi. Ce fut la dernière nomination effective à ce poste.