b) La grande Semaine théologique : "Qui est Jésus-Christ ?"

"Qui est Jésus-Christ ?", cette question, le CCIF va la poser à la fois à des catholiques, des protestants 1350 , des juifs 1351 et à des incroyants 1352 . Le Centre renoue ici avec la grande tradition de la Semaine théologique dont la démarche est à la fois historique, philosophique et exégétique. L’équipe a d’ailleurs mis toute son énergie pour préparer cette Semaine en délaissant les débats durant le trimestre précédent. "Qui dites-vous que je suis ?" (René Rémond, Françoise Mallet-Joris 1353 , Léon Askénazi et le père Carré), "Jésus dans l’histoire" (Marc Venard, Pierre Prigent, David Flusser et le père Daniélou), "Comprendre les Évangiles (Jean-Louis Monneron, père Léon-Dufour 1354 , Marcelle Lévy et le père Refoulé 1355 ), "Christ est ressuscité" (André Astier, Annie Jaubert 1356 , Olivier Clément, le père Geffré 1357 et Pierre Emmanuel), "Jésus Sauveur" (Paul Germain, François Châtelet 1358 , Pierre Jouguelet et l’abbé Biard), "Un Dieu homme ?" (Claude Bruaire, Emmanuel Lévinas, le père Varillon et le pasteur Dumas), "Où rencontrer Jésus-Christ aujourd’hui ?" (Henri-Irénée Marrou, Jean Rousselet, Claude Gruson et Mgr Pézeril). Telles sont les questions successives auxquelles vont répondre les invités.

La Semaine séduit pour plusieurs raisons : d’abord par la diversité des orateurs issus d’horizons confessionnels différents (on leur reprochera cependant de ne pas avoir invité de musulmans 1359 ). Le public est profondément marqué par la présence du rabbin Léon Askenazi, du philosophe juif Emmanuel Lévinas et de l’orthodoxe Olivier Clément, professeur à l’Institut de théologie Saint-Serge. Il a été également séduit par l’équilibre entre intellectuels moins connus comme Annie Jaubert, le père Refoulé, professeur de théologie au Saulchoir, le père Geffré, régent des études et professeur de théologie au Saulchoir et certains mentors de la pensée catholique comme Pierre Emmanuel, Henri-Irénée Marrou ou Mgr Pézeril ; enfin par une pédagogie plus soignée grâce à l’inauguration de discussions à chaque séance permettant au public de mieux dégager les points communs et les divergences entre les orateurs. Cette méthode, qui avait été celle des premières Semaines, est donc remise en place et sera conservée dans les années suivantes. A une époque où les pratiques confessionnelles sont en évolution, l’équipe fait le choix de personnaliser le Credo en demandant à trois intellectuels de construire un texte exprimant "La célébration de la foi au Christ". Paul-André Lesort, Claude Bruaire et Michel de Virville répondent à la sollicitation 1360 .

Le choix du dialogue et l’utilisation d’un outillage intellectuel moderne se trouvent donc authentifiés par le public parisien et par le Magistère romain. Dix ou quinze ans plus tôt, ce même type d’outillage était systématiquement l’objet des critiques de la Curie. En 1968, le CCIF est donc bien éloigné du schéma de crise qui prévaut dans la plupart des mémoires : il se situe en position forte sur la scène intellectuelle laïque et confessionnelle. Il n’y a donc pas eu de crise de l’institution à partir de 1965, au contraire, le CCIF bénéficie d’un renouvellement en ces années 1966-1968, un renouvellement en partie obtenu par l’expérience d’ouverture qu’a constituée la SIC 1965 :

NB : de 1949 à 1958 les entrées restent inconnues, mais grâce à la lecture des journaux on peut estimer qu’elles se situent entre 7000 et 8000.

Deux chiffres suffisent à souligner ce succès : en 1965 le nombre de souscriptions à la SIC est de 300, pour la Semaine 1968, il a doublé (717) 1361 . Second chiffre parlant : de 1963 à 1968, les recettes obtenues suivent un mouvement ascendant. La Semaine consacrée à Jésus-Christ rapporte 37 millions de francs de recettes (la moyenne pendant cette décennie se situe autour de 18 millions !).

La méthode convainc donc le public, mais aussi une grande partie de l’intelligentsia parisienne qui accepte de participer à cette activité catholique. C’est, pour ne prendre que deux exemples, le cas des philosophes François Châtelet ou Jean-Pierre Vernant qui se prêtent ainsi au dialogue et à la recherche commune 1362 . Le premier est spécialiste de l’histoire de la philosophie ; c’est un intellectuel influent, "hégélo-marxiste" selon ses propres termes, un temps lié au communisme, puis s’en détachant pour se rapprocher du PSU, qui soutient largement le mouvement de Mai 1968. Le second est ancien membre du PC ; il jouit d’une autorité internationale comme spécialiste de la cité et religion grecques. Si leur positionnement politique et philosophique est éloigné de l’esprit du "61", leur ouverture d’esprit les conduit à accepter de venir partager leur réflexion basée sur la perspective historique ou l’analyse structurale.

La formule de la Semaine plaît également au Magistère romain qui envoie de nombreux signes d’encouragement à l’équipe.

Notes
1350.

Pierre Prigent, de la Faculté de théologie protestante de Strasbourg.

1351.

David Flusser, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, le rabbin Askénazi, le philosophe Emmanuel Lévinas.

1352.

Ont été pressentis : Robert Aron (il accepte le principe mais ne peut venir en raison d’un voyage aux États-Unis), Pasolini, Pierre Vidal-Naquet. Finalement c’est Pierre Lecoq, rédacteur à La Nouvelle critique qui vient.

1353.

Née en 1930, elle entame une brillante carrière de romancière puis se convertit au catholicisme.

1354.

Né en 1912, il entre dans la Compagnie de Jésus et se spécialiste dans l’exégèse.

1355.

Entré dans l’ordre de saint Dominique, le père François Refoulé est directeur des éditions du Cerf et enseigne au Saulchoir.

1356.

Née en 1912, elle se spécialise dans le judaïsme ancien et le christianisme primitif.

1357.

Né en 1926 entré chez les dominicains, il enseigne la théologie dogmatique au Saulchoir dont il est alors recteur.

1358.

Né en 1925, "hégélo-marxiste" il subit l’influence d’Éric Weil et d’Alexandre Kojève. Après avoir été proche du communisme il rejoint les rangs d’Arguments.

1359.

Orantes de l’Assomption, lettre du 16 mars 1968 ou les Compagnons de saint François, lettre du 11 mars 1968, "dossier SIC 1968", ARMA.

1360.

SIC 1968, p. 243-248.

1361.

Information dans une lettre du bureau envoyée à Desclée de Brouwer, 25 avril 1968, ARMA.

1362.

Voir infra les réseaux touchés de 1966 à 1976.