3. Le CCIF n’interrompt pas son travail : le choix de la "théologie équilibrée"

a) Pratiques religieuses et nouvelles approches théologiques

Malgré les dissensions de l’équipe dans les objectifs à poursuivre, malgré le travail rendu aléatoire par la crise interne et externe, le CCIF durant ces années (1970-1973) 1497 accomplit une œuvre importante et significative. Pour répondre à la crise, il oriente presque la moitié de ses débats et une bonne partie de ses cahiers sur le strict plan confessionnel.

Tableaux des sujets confessionnels
Débats et conférences 1947-1957 1958-1965 1966-1976 1947-1976
Théologie 7,2% 3,2% 11,4% 6,7%
Pratiques confessionnelles 1,8% 4,2% 17,5% 5,7%
Vatican II   4,2% 4,4% 2,2%
Théologiens 3,6% 1,1% 2,1%
Théologiens contemporains 0,7% 1,6% 5,3% 1,9%
Bible 0,7%   0,9% 0,5%
Sociologie religieuse 0,4%   0,9% 0,3%
Total des thèmes sur le catholicisme 14,4% 14,2% 40,4% 19,4%
Recherches et Débats 1952-1958 1958-1965 1965-1973 1952-1973
Pratiques confessionnelles 5% 17% 38% 21%
Théologie et philosophie 16% 3% 5%
Science et théologie   3% 1%
Théologie   3% 1%
Total des thèmes sur le catholicisme 21% 27% 38% 29%

Une vingtaine de débats s’articule sur les nouvelles formulations possibles de la foi et sur ses vecteurs : sacrements (mariage, baptême, confession), prière, rôle des laïcs, visibilité de l’Église, vocation religieuse, pratique dominicale. Une bonne partie de ces débats est retranscrit dans un cahier spécial sur les Problèmes actuels du catholicisme français 1498 . Les sacrements font l’objet d’une réflexion d’autant plus importante qu’ils sont au cœur de la vie spirituelle chrétienne. Déjà évoqués au moment du colloque sur le symbole, le CCIF l’étudie de nouveau en s’interrogeant sur le baptême 1499 . Il en rend compte également lors de l’invitation de Mgr Robert Coffy, évêque de Gap et rapporteur à l’Assemblée plénière de l’épiscopat français en 1971, à Lourdes, d’un texte sur ‘"Église, signe de salut au milieu des hommes"’ ‘ 1500 ’ ‘.’ Invité rue Madame 1501 , Robert Coffy reprend les éléments du rapport, insistant sur le sens du sacrement dans une société en voie de sécularisation.

L’équipe s’interroge également sur les nouvelles formes de communauté ou sur la réorganisation des communautés traditionnelles : "l’urgence commande" 1502 . Comme pour Le Supplément, l’ancien cahier rattaché à La Vie spirituelle qui vient d’acquérir son indépendance en 1970, la place faite aux prêtres est croissante entre 1970 et 1975 1503 . Les débats et cahiers du CCIF reflètent la crise du sacerdoce qui se développe à cette époque  : décroissance en chiffres absolus des prêtres 1504 , organisation en 1971 d’un synode sur ce thème 1505 . En février 1966, le bureau avait mis en place un colloque sur les institutions chrétiennes qui étudiait les enjeux d’un christianisme de masse ou de profondeur 1506 . Le 7 novembre 1966, l’abbé Connan, R. Maréchal, Henri Rollet, D. Perrot et B. Decomps se rassemblent autour du thème "Quelles paroisses pour demain ?" ; le 12 décembre 1969, c’est P. Delouvrier, J. Natanson, le chanoine Verscheure et Philippe d’Harcourt qui s’interrogent sur "Faut-il encore des églises ?" Le cahier consacré à Élites et masses publié en avril 1971 reprend, en partie, la problématique de la religion populaire. Des spécialistes, comme François Bourricaud, Bernard Plongeron, Henri Cazelles, Serge Bonnet et d’autres, réfléchissent à l’évolution du rapport élites/masses dans les civilisations (Égypte ancienne, Israël, Révolution française…). L’ensemble du cahier s’achève sur une table ronde au cours de laquelle Allard, Audinet, Béguerie et Lustiger insistent sur la nécessité de prendre en compte la religion populaire.

Tous ces débats et cahiers soulignent la situation du catholicisme écartelé entre pastorale multitudiniste ou plus élitiste, entre évangélisation par mission ou par la paroisse. L’équipe s’est donc attachée à inviter des acteurs importants de la rénovation liturgique et de la réorganisation paroissiale : l’abbé Michonneau qui a expérimenté ses théories à Colombes 1507 puis à Belleville ; le père Jean de Féligonde qui ouvre de nouvelles pratiques avec ses moines à l’Haÿ-les-Roses 1508  ; l’abbé Connan qui représente un autre type d’expérience, celle de Saint-Séverin et dont l’ouvrage Demain la paroisse invite à la réorganisation de la paroisse au sein de "super-paroisses" coiffant des quartiers 1509 . Ceux qui incarnent un visage radicalement nouveau du modèle presbytéral comme l’abbé Joseph Canal ou Dom Bernard Besret sont également invités. L’abbé Canal prêtre de la Mission de France a très vite radicalisé sa position à l’intérieur de l’Église. Il participe à l’élaboration de communautés de base. L’abbé Besret, après avoir été conseiller théologique de l’évêque d’Arras au concile, est nommé responsable de la communauté cistercienne de Boquen. Il cherche alors à établir un nouveau type de communauté religieuse pour en faire une expérience d’avenir pour l’Église. Les choix de l’un et l’autre sont radicaux 1510 . Il manque cependant à l’appel quelques théologiens tout particulièrement le dominicain Edward Schillebeeckx dont la pensée est pourtant essentielle à la fin des années 1960 dans la remise en cause du ministère presbytéral dans sa forme traditionnelle 1511 .

Dans le prolongement de cette réflexion la liturgie trouve sa place. Après avoir participé dans les années 1950, en suivant les vœux de Pie XII 1512 , à favoriser la compréhension des enjeux d’une rénovation liturgique, le CCIF s’intéresse aux nouveaux débats qui agitent les esprits depuis Vatican II. La promulgation de la constitution De sacra liturgia, en décembre 1963, permet de remanier profondément le culte ; la diversité des réformes proposées produit des tensions et des incompréhensions. A l’aube des années 1970, la Congrégation pour le culte divin rappelle certaines normes 1513 et invite à plus de prudence. Des spécialistes comme le dominicain Roguet sont alors invités pour en parler 1514 .

Notes
1497.

Tous les pourcentages sont calculés sur l’ensemble de la période (1966-1976).

1498.

Problèmes actuels du catholicisme français, RD 64, mai 1969, 255 p.

1499.

"Peut-on refuser le baptême ?", 16 mai 1966, le père de Féligonde, Renaudin et Gerbe.

1500.

Voir "Sacrements" dans Catholicisme.

1501.

"Foi et culture moderne, à propos du rapport Église et sacrement", 4 mai 1972, débat décrypté, carton 42 bis, ARMA.

1502.

Gérard Mathon, art. cit., p. 46.

1503.

Idem, p. 45-46.

1504.

Voir "Presbytérat" dans Dictionnaire de Spiritualité, p. 2099.

1505.

Sur cette question voir Grégory Barrau, op. cit.

1506.

Colloque de 1966 retranscrit en partie dans RD 60, octobre 1967, 173 p.

1507.

En 1945, il publie son livre Paroisse, communauté missionnaire. Il est invité au colloque sur les institutions mais ne vient pas.

1508.

Invité au colloque sur les institutions mais absent. Il participe en revanche à un débat consacré au baptême.

1509.

Voir "Région apostolique" dans Catholicisme, p. 707-709.

1510.

Voir son autobiographie Confiteor. De la contestation à la sérénité, Albin Michel, 1991, 211 p.

1511.

Voir "E. Schillebeeckx", dans Dictionnaire des théologiens et de la théologie chrétienne, p. 405-407.

1512.

Importance de l’encyclique Mediator Dei, de novembre 1947. Voir "Liturgie" de R. van Doren dans Catholicisme.

1513.

La Documentation catholique, 15 novembre 1970, col. 1011.

1514.

Le père Rollet est le fondateur avec le père Duployé du Centre de pastorale liturgique. Voir sur ce sujet l’ouvrage de Pie Duployé, Les origines du Centre de Pastorale liturgique, (1943-1949), Mulhouse, 1968, 388 p.