a) La montée de l’intolérance

L’analyse des manifestations, parfois violentes, que subit le CCIF tout au long des années 1960 et au début des années 1970 est emblématique de l’image que véhicule le Centre. Dans les années 1950 les hostilités se formaient sur les options politiques qu’il entendait défendre. Les années 1960 sont au contraire marquées par une confessionnalisation des manifestations. Le dialogue que le CCIF souhaite établir avec les incroyants est vivement combattu par une partie des catholiques qui luttent contre toute forme d’ouverture à l’Autre et dont les manifestations s’échelonnent de 1964 à la fin de la période.

Le 3 décembre 1964, lors d’un débat consacré au Syllabus, des manifestants envahissent la salle où 400 personnes étaient venues écouter le chanoine Aubert, Étienne Borne, le père Chenu et Henri-Irénée Marrou ¹⁵³¹ . Le CCIF n’est alors, dans ce cadre, que le prétexte d’une manifestation politique des tenants de l’Algérie française. Onze jours plus tard, le 14 décembre 1964, la conférence du père Congar sur le concile est fortement troublée ¹⁵³² . Cette conférence inaugure un nouveau type de rapports de force entre deux courants du catholicisme.

En 1967, lors de la Semaine sur la Violence, un commando de cent manifestants d’extrême droite vient perturber la conférence du progressiste Emmanuel d’Astier de la Vigerie lequel fait les frais d’une véritable mascarade : les jeunes manifestants se présentent d’abord comme compagnons de route (drapeau rouge déployé dans la salle, chant de l’Internationale, ovations à chaque phrase prononcée par d’Astier) puis montrent leur véritable visage ! ¹⁵³³ Le 19 février 1970, un débat sur "Le mariage, engagement pour la vie" réunit l’abbé Colin, le père Liégé, Louis Henry, le docteur Cordier et sa femme. Le débat est interrompu brutalement par des opposants. Un mois après, le 16 mars 1970, de nouvelles perturbations intégristes mettent à mal un débat consacré à la vie religieuse. Ce débat organisé au Palais de la Mutualité avait rassemblé Bernard Besret, le père Geffré, Annie Jaubert et Marc Venard ¹⁵³⁴ . C’est le responsable de l’abbaye cistercienne de Boquen qui est cette fois-là la raison de la manifestation. La rénovation qu’il avait entreprise dans sa communauté de Boquen était radicale et provoquait des incompréhensions multiples. Au moment où dom Besret prit la parole :

‘"Des briquets s’étaient allumés en plusieurs endroits, donnant le signal des hostilités et la grande salle avait été investie par des hommes avançant vers l’estrade, armés de matraques et de bombes lacrymogènes. Je ne dus qu’à la présence fortuite d’une compagnie de gardes républicains (présents pour parer à des difficultés éventuellement provoquées par une réunion politique qui se tenait dans une autre salle) de pouvoir quitter la Mutualité." ¹⁵³⁵ ’

Ce jour-là, la violence est extrêmement forte : le micro est arraché, des pétards sont lancés dans la salle, de nombreuses personnes sont bousculées ¹⁵³⁶ .

En mars 1970, lors de la Semaine consacrée au bonheur, des "amis" sont présents pour contrer des potentiels manifestants. L’équipe craint en effet pour la réunion du 6 mars lors de laquelle s’expriment l’abbé Oraison, Thérèse Lemperière, Ménie Grégoire, Georges Penchenier et Jacques de Bourbon-Busset. La crainte est fondée : des tracts sont envoyés dans toute la salle :

‘"(...) à cause des idées qui sont les leurs, nous ne pouvons accepter qu’ils parlent EN TANT QUE CATHOLIQUES, avec la caution : INTELLECTUELS CATHOLIQUES."’

En 1972, lors de la Semaine sur la maîtrise de la vie, des contestataires viennent interrompre la séance du 14 mars sur "La politique de la vie" en la présence de Raymond Aron et de Jean-Marcel Jeanneney ¹⁵³⁷ .

Ces différents cas sont révélateurs de la situation du CCIF. Si la violente manifestation lors du débat avec dom Besret peut s’expliquer par le radicalisme de son expérience, celle organisée sur le mariage réunit des personnes modérées : en cette décennie 1970, il n’y a plus de place pour ceux qui incarnent le courant modéré :

‘"Dans le climat actuel de l’Église, marqué par un affrontement vigoureux entre tendances et par la montée d’une intolérance généralisée nous avions peur de ne plus pouvoir être ce terrain de rencontres (…). Nous devons concéder que dans ce domaine le pari n’a pas toujours pu être tenu : jamais dans nos invitations, nous n’avons essuyé autant de refus et noté autant d’exclusives." ¹⁵³⁸ ’

Cette situation induit-elle une ouverture de plus en plus restreinte ?