b) La gauche catholique : une gauche prétexte ?

Beaucoup de ceux qui incarnent le visage post-conciliaire de l’Église sont venus une fois ou deux rue Madame. L’équipe a ainsi invité Mgr Riobé, en février 1971, lors du colloque sur les institutions ou encore le directeur des Études le père Ribes invité trois fois et dont les positions audacieuses sur l’avortement suscitent des difficultés avec la hiérarchie. De la même manière, l’équipe fait appel à plusieurs catholiques actifs dans le mouvement de Mai 1968 comme Robert Davezies, ancien "porteur de valises" du réseau Jeanson qui, le 21 mai 1968, avait rassemblé quatorze signatures de personnalités religieuses se déclarant solidaires de l’action des étudiants 1539 . Il vient pour des sujets qui touchent à la réorganisation de la société telle que l’entend le mouvement protestataire. Il accepte ainsi de venir au colloque consacré à "Christianisme, morale et société" en 1971 1540 . La religieuse Françoise Vandermeersch, directrice de la revue Échanges 1541 et animatrice pendant les événements 1968 d’un Comité révolutionnaire d’Action culturelle intitulée ‘"De Che Guevara à Jésus-Christ"’ ‘ 1542 ’ est invitée plusieurs fois. Elle avait participé au colloque sur les institutions chrétiennes en 1966, elle vient également à celui d’octobre 1970 sur le mariage 1543 . Une autre figure du mouvement de Mai est sollicitée en la personne de Patrick Viveret qui vient à la Semaine 1971 pour la séance "La foi peut-elle se vivre seule ?" Les aumôniers d’étudiants Michel Clévenot et Bernard Lerivray, très engagés dans le mouvement 68, sont invités au colloque sur le mariage : le premier ne vient pas, le second est présent. Le dominicain Paul Blanquart situé à l’extrême gauche, rédacteur en chef adjoint de Politique-hebdo, qui s’intéresse au dialogue du marxisme et du christianisme est également présent. Venu à la table ronde de la SIC 1967, il participe au numéro sur Mai 68, mais refuse de revenir après 1971 1544 . Le père Moingt vient à la Semaine 1975, après l’épisode de septembre 1974 à la Source où il avait convié plus de 200 personnes à "satelliser l’épiscopat".

Il y a aussi des échecs : si l’abbé Joseph Canal, figure progressiste du clergé parisien, accepte de venir partager son expérience, le débat se fera finalement sans lui, sa communauté refusant qu’un membre s’exprime publiquement. Jean-Louis Monneron propose alors une réunion privée sans succès 1545 . L’échec de cette réunion souligne justement le fossé qui sépare le Centre catholique des intellectuels français d’une frange catholique très militante qui ne se reconnaît aucunement dans une foi raisonnée et rationnelle. Ce courant, fortement marqué par l’esprit de Mai 1968, cherche en dehors de toute tradition (et surtout en dehors de toute institution) des nouvelles formes d’expressions spirituelles. Une démarche réflexive ne l’intéresse donc pas. Malgré cet échec, l’analyse montre bien qu’une place non négligeable est accordée à ceux qui constituent la gauche de l’Église. Seulement c’est davantage dans les colloques fermés que ceux-là sont invités par crainte de donner trop résonance à des positions profondément opposées à l’institution ecclésiale.

Notes
1539.

Voir Étienne Fouilloux, "Des chrétiens dans le mouvement du printemps 1968 ?", art. cit., p. 247 et sequentes.

1540.

Il sera également invité à un sujet proche en mars 1973 lors du colloque consacré à "Paix, guerre ou révolution".

1541.

Revue qui a pris ses distances vis-à-vis de la hiérarchie et qui appartient au mouvement chrétien de gauche, Autrement, op. cit., p. 211-212.

1542.

Voir Étienne Fouilloux, art. cit., p. 257.

1543.

En revanche absente bien qu’invitée à la SIC 1973.

1544.

Février 1971, octobre 1971 et mars 1973.

1545.

Lettre d’Andrée Thomas du 3 juin 1969 : "Le CCIF en tant que tel ne nous intéresse pas. (...) La ligne de dialogue au niveau que vous proposez ne présente pas d’intérêt pour nous." AICP.