Chapitre 4. Que sont devenus les intellectuels catholiques ?

1. La crise de 1973

a) La préparation de la Semaine : l’heure de vérité ?

Partant du constat de l’implosion de la société chrétienne et de ses difficultés à communiquer, l’équipe souhaite, dans le cadre de cette rencontre, devenir terrain de dialogues. Elle décide de transformer la formule de la Semaine en organisant une journée de recherches et de discussions entre certains responsables catholiques et le public. Dans cette nouvelle formule, le Centre propose d’être un catalyseur à travers trois points d’ancrage : "Reconnaître Jésus-Christ", "Faire l’Église" et "Mourir pour vivre".

La liste des sujets et des invités est élaborée, puis les réponses parviennent peu à peu au "61". La plupart des invités se réjouissent d’une transformation de la formule et acceptent d’y collaborer. Le père Chenu écrit ainsi :

‘"(…) la liste des engagés est copieuse et qualifiée, c’est moi qui me trouve privé du bienfait de ces rencontres et de ces vrais (sic) dialogues" 1575 . ’

Quelques autres sont en revanche fortement critiques. Le pasteur Casalis précise ainsi  :

‘"Un certain nombre d’absences dans la liste des intervenants (…) m’a semblé indiquer que l’ouverture que vous envisagez était plus apparente que réelle : j’ai relevé en particulier celles de toute la tendance "Échanges et dialogues" et de G. Girardi, pour ne donner que deux exemples. De la sorte, je me serai trouvé fort seul à votre extrême gauche avec le sentiment un peu désagréable d’être quelque peu otage (…).
Pour moi , vous le savez, cet aujourd’hui est celui d’une lutte contre toutes les formes d’oppression. Nous sommes actuellement aux prises quotidiennes avec tous les problèmes posés par l’arrivée en France de réfugiés de toutes nationalités venus du Chili. Il m’apparaît que c’est la réponse à leur détresse qui exprime en ce moment le sens d’une vie chrétienne. Vous m’excuserez : j’ai parfois le sentiment que le temps n’est plus à ce genre de discussions académiques comme celle à laquelle vous nous avez conviés." 1576

Sur la droite, la problématique choisie provoque aussi des incompréhensions. Le père Jean Daniélou, puis Jean Guitton écrivent au Centre pour manifester leur déception. L’un et l’autre désapprouvent une des formules de la brochure de présentation : ‘"tous nos contemporains rejettent les dogmes"’. Jean Daniélou estime que ce sont ces types de formules qui risquent de troubler ceux qui ont la foi 1577  ; quant à Jean Guitton, choqué par cette phrase il envisage de démissionner du comité du Centre. Le philosophe rappelle que la fonction du CCIF est le dialogue entre catholiques sur des "questions libres et qui ne posent pas sur l’essence de la foi : in necessaris unitas" 1578 puis précise :

‘"Aux yeux d’un vaste public, je parais garantir ce qui s’y imprime. On dit que si je le désapprouvais, j’aurais donné ma démission. Un grand nombre de fidèles peuvent se scandaliser par le silence des responsables devant ces étranges affirmations. Vous comprenez cher collègue, qu’il y a là pour moi une question de loyauté, de conscience et de foi catholique." 1579

L’équipe toute entière est affectée par cette critique émanant de fidèles. René Rémond décide d’y répondre :

‘"Vous nous avez assurément mal lus et je le regrette. Quand nous disons "nous", il va sans dire que ce nous ne désigne pas le Centre, ni n’exprime le sentiment de la petite équipe qui le dirige : ce n’est que le constat d’une tendance, un élément de l’analyse de la situation (…). Vous me permettrez de penser à titre personnel que cette appréciation de la situation n’est pas totalement erronée et qu’elle s’applique à plus qu’une "poignée d’intellectuels" (…). Je ne peux laisser dire que nous troublons la foi, car il faudrait admettre que cette foi est bien fragile si elle est à la merci de ce qu’on dit, de ce que pense le plus grand nombre. Lui faut-il la confirmation de la multitude pour s’affermir ? Vous me permettrez de répondre à votre amicale sincérité : celle de ma tristesse à constater qu’on n’accorde pas le préjugé favorable à une équipe et à une institution qui n’a pas ménagé sa peine depuis des années pour porter un témoignage de foi, dont la fidélité à l’Église et au Saint-Père n’a jamais donné prise au moindre soupçon." 1580

La réponse ne convainc pas : le père Daniélou s’écarte du CCIF et appuie de toute son autorité le nouveau Centre que constitue Gérard Soulages. Dans ses mémoires parus en 1975, il ne mentionne pas une seule fois le CCIF (auquel il a participé plus d’une quarantaine de fois !), préférant signaler l’expérience de "Fidélité et ouverture". La Semaine a ouvert des brèches.

Notes
1575.

Philippe Warnier : (…) je crois, en effet, au travail que vous faites au CCIF" (9 novembre 1973), père Chenu, 29 novembre 1973, p. 2, "dossier SIC 1973", ARMA.

1576.

Pasteur Casalis, 19 novembre 1973, p. 1, carton III, "dossier SIC 1973", ARR.

1577.

Lettre du père Daniélou, carton III, "dossier SIC 73", ARR. Voir en annexe la lettre.

1578.

Jean Guitton, 17 novembre 1973, p. 3, ARR.

1579.

Idem, p. 2-3.

1580.

René Rémond au père Daniélou, 18 novembre 1973, p. 1-2. Dans cette affaire Étienne Borne appuiera la position du CCIF défendant l’équipe auprès du père Daniélou, lettre d’Étienne Borne du 18 novembre 1973 : "René Rémond et son équipe font ce qu’ils peuvent et ce n’est pas facile pour montrer une certaine ligne", AEBO.