1. Ironique histoire

Le milieu des années 1970 se définit par le retour philosophique du sujet, par la contestation du paradigme structuraliste et marxiste, et enfin par l’arrivée des "Nouveaux Philosophes" qui expriment leur mea culpa politique (communiste ou gauchiste). Inévitable décalage : lorsque se ferme brutalement l’ère althussérienne en 1975 1626 , le CCIF propose des cours sur sa pensée. Au moment où se développe un véritable "Munich intellectuel", le "61" disparaît de la scène publique dans l’indifférence générale. A la fin de l’été 1973 se développe l’affaire Soljénytsine : L’archipel du goulagprovoque la division des intellectuels 1627 . Alors que la revue Esprit choisit de se positionner sur un front antitotalitaire ‘"indissociable de la prise en compte de l’idée démocratique"’ ‘ 1628 ’, le CCIF s’enferme dans des choix confessionnels. En 1977, une polémique autour des "Nouveaux Philosophes" se développe : le nœud porte alors sur l’illégitimité de ces jeunes penseurs "divertisseurs" qui s’approprient la lutte anti-totalitaire sans réellement en faire l’analyse 1629 . Le CCIF ne participe pas à cette réflexion sur l’engagement et sur le rôle de l’intelligentsia française, il a disparu.

Paradoxalement ces années 1975-1976 manifestent les frémissements d’un renouveau catholique. Mais ce renouveau se formalise en des mouvements plus attestataires, moins soucieux d’apporter à la société une touche originale que de se retrouver, ensemble, en une sorte de "cocooning spirituel" après une décennie d’interrogation et de crise. La réorganisation du catholicisme se fait autour de pôles bien étrangers au Centre : Communio, les charismatiques, les mouvements scouts ou encore les Silencieux 1630 . Pour ne prendre qu’un exemple, la création de la revue Communio en langue française, au moment même où le CCIF disparaît n’est pas un hasard de chronologie. Il y a ici un véritable transfert d’une partie de la jeune génération intellectuelle catholique vers un nouveau type d’engagement. Le liminaire de la nouvelle revue est d’une certaine manière l’envers de la problématique qu’a voulu incarner le CCIF pendant des années, les rédacteurs insistent sur la confession de la foi, son attestation dans le monde et son unité :

‘"Le danger est réel de s’enfermer dans une expérience illimitée, ou bien de se contenter de l’analyse ambiguë des "faits de vie", ou encore de réduire la charité évangélique à une pratique de solidarité humaine. Nous voudrions donc replacer l’urgence des problèmes locaux dans l’exigence première de la communion, qui fait que chaque personne, chaque communauté est catholique, et que chaque réponse est articulée de manière cohérente." 1631

Communio, c’est alors d’une certaine manière le "Benda catholique" qui stigmatise la trahison de clercs qui ont quitté le champ du savoir pour l’insertion dans le lit du temporel. La jeune génération qui s’investit dans l’aventure (l’abbé Dagens, Rémi Brague, Jean Duchesne, Jean-Luc Marion) est une génération affirmative et plus spirituelle. Une génération plus intransigeante qui ne souhaite pas que l’Église se définisse par les réponses qu’elle donne aux questions de son temps, mais par un message révélé qu’elle doit manifester. Elle récuse l’engagement tel que les intellectuels catholiques du "61" l’ont vécu pendant trente ans et recherche davantage la spéculation métaphysique. Quant aux plus anciens, ils trouvent dans cette revue la possibilité de réaffirmer leur foi dans une Église en crise : c’est le cas de Claude Bruaire ou du cardinal Daniélou qui ont été l’un et l’autre des fidèles du "61".

En 1975, le Centre est confronté à une grave crise financière 1632 et le don généreux de Paul VI (100000 francs) 1633 ne suffit pas à le renflouer. Devant cette situation l’équipe décide le redéploiement du Centre sous une nouvelle étiquette.

Notes
1626.

François Dosse, Le chant du cygne, op. cit. , p. 323.

1627.

François Hourmant, Le Désenchantement des clercs, figures de l’intellectuel dans l’après-Mai 1968, PU de Rennes, "Res Publica", 1997, p. 58-71.

1628.

Idem, p. 69.

1629.

Cornélius Castoriadis, "Les Divertisseurs", dans Le Nouvel Observateur, 20 juin 1977, repris dans François Hourmant, p. 106-107.

1630.

Gérard Cholvy, "1975 : tournant spirituel et intellectuel", dans Revue des Deux Mondes, mai 1996, p. 96-105.

1631.

Liminaire, premier numéro, 1975. Mais c’est au domicile du père Daniélou le 16 mars 1974, en la présence du père Balthasar, de Robert Toussaint de chez Fayard, de Jean-Luc Marion et de Jean Duchesne que le projet est lancé : Jean Duchesne, "Communio et la Cité", dans Revue des Deux Mondes, mai 1996, p. 113.

1632.

Lettre de René Rémond à André Aumonier, 3 octobre 1975, p. 1.

1633.

"Dossier hiérarchie, 1964-1975", carton 28, AICP.