3. L’échec de la fusion

Dès le départ, les objectifs n’avaient pas été suffisamment définis : pour le "61" l’expérience commune devait se substituer entièrement au CCIF et aux Semaines sociales ; pour ces dernières, la fusion apparaissait davantage comme un moyen de renouveler leur groupe.

Le CCIF va alors continuer seul l’expérience de Confrontations qui se donne pour but de :

‘"(…) favoriser la rencontre de personnes ou de groupes différents par leurs convictions, leurs milieux, leur éducation ou leurs responsabilités afin de mener une réflexion approfondie sur les problèmes posés par les mutations religieuses, psychologiques, sociologiques, culturelles, économiques, politiques de notre temps- et faire connaître les résultats de ces rencontres en France et à l’étranger, en liaison avec les autres institutions ou organismes préoccupés des mêmes problèmes." 1650

Le 21 mai 1979, l’association "Confrontations, société, culture et foi" est déclarée à la préfecture. Jean-Louis Monneron en prend la présidence, Suzanne Villeneuve devient secrétaire et Joseph Musseau, trésorier 1651 . Pendant plusieurs années, le premier va se donner pleinement à la réussite du nouveau groupe 1652 . De 1978 à 1979, date de la déclaration à la préfecture, c’est le CCIF qui continue donc le travail. Un premier cahier consacré en mars 1978 à "Langages et cultures" est le résultat d’un colloque de la Faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris dont le doyen est alors l’abbé Pierre Colin, un ami fidèle du Centre. En juin 1978, paraît un second numéro sur La société désorientée. Confrontations apparaît donc comme l’enfant du CCIF. L’équipe se prolonge quasi entièrement dans la nouvelle structure ; quant au CCIF, il n’est pas dissout : au milieu des années 1990, René Rémond reçoit en tant que président du CCIF certains courriers qui lui sont adressés au "61" ! C’est cette carence de rupture qui engendre certainement une assez modeste diffusion des travaux de Confrontations 1653 .

C’est donc à partir de 1970 que le CCIF a subi de plein fouet la crise qui traverse le catholicisme en concentrant toutes ses divergences. Il reflète, de façon exemplaire, la division des catholiques et leurs difficultés à communiquer. Par son incapacité à se prolonger dans les nouvelles problématiques, il manifeste l’éclatement du catholicisme français, la montée de l’intransigeance et d’un certain manichéisme. C’est donc davantage sur le rapport à la crise confessionnelle que se consomment les ruptures que sur son inadéquation à la culture du temps. Tout en ayant pris acte des nouveaux enjeux qu’incarnait la théologie post-conciliaire (dépassement de l’existentialisme, avènement des sciences humaines, sécularisation et déchristianisation 1654 ), le CCIF n’a pas réussi à proposer un discours cohérent et ne peut véritablement s’appuyer sur la théologie qui en ces années est une "theologia quaerens".

La division des animateurs sur les orientations du Centre à partir de 1972 manifeste en outre la déchirure du tissu chrétien : la nouvelle génération se refuse à une théologie équilibrée qui lui paraît neutraliser tous les conflits. L’impossible renouvellement générationnel conduit le Centre à s’épuiser, puis à disparaître à un moment où sa méthode intellectuelle s’affirme peu à peu dans la sociabilité intellectuelle laïque. La fin de la décennie 1970 se manifeste en effet par un décloisonnement de la vie intellectuelle qui s’exprime lorsque, par exemple, la gauche antitotalitaire (comme Esprit) et la nébuleuse aronienne signent le Manifeste du CIEL dans le journal Le Monde du 27 janvier 1978 1655 . En 1979, Esprit appelle à "penser avec d’autres", à ‘"débattre avec ceux qui ne sont pas membres attitrés de la tribu"’ ‘ 1656 ’ ‘.’ Pour Esprit (à la grande différence de Communio par exemple) la primauté du spirituel doit signifier non le repli sur un "essentiel" séparé et désincarné, mais la prise de conscience du désordre, le renoncement au confort et à l’évasion" 1657 . Si la revue Esprit, dépassant la crise confessionnelle qui la secoue, devient un élément important dans la redéfinition des intellectuels, le CCIF, au contraire, ne fait plus entendre sa voix, alors qu’il a concrétisé pendant les décennies précédentes un intellectuel, en dialogue avec d’autres, refusant toutes les formes de "terrorisme intellectuel".

Si le CCIF n’a pas réussi à juguler la crise, il reste que ces années de difficultés n’ont pas été pour autant des années de vide intellectuel. Le souci du dialogue et de la modération dont il a su faire preuve est au contraire exemplaire d’un certain type de catholiques qui ont voulu incarner la voie moyenne et qui n’ont pas cru que tout était politique. Démissionnaire pour la droite catholique, insuffisamment ouvert pour la gauche, ces intellectuels n’ont plus leur place dans un monde manichéanisé. Ces catholiques sont d’autant mis au ban qu’ils ne contestent pas l’institution ecclésiale, ils refusent en outre la voie du vécu non épaulée par une réflexion intellectuelle. Leur foi s’exprime par une démarche de vie (que manifeste leur souci de porter un regard sur le monde) et une interrogation intellectuelle. Conscients des problèmes confessionnels, ils n’ont pas toujours eu les moyens de donner vie à cette "théologie de la corrélation" qui correspond si bien à leurs conceptions, une théologie qui sait mettre en valeur ‘"la fécondation mutuelle de la foi et de la culture"’ ‘ 1658 ’ ‘. ’

Notes
1650.

"Statuts", dossier "Confrontations", ARMA. Voir en annexe les statuts.

1651.

La première équipe animatrice est composée de René Rémond, Jean Baboulène, Jean-Louis Monneron, Marcel Merle, Michel Coloni, André Astier, Pierre Colin, Christian Join-Lambert, Jean-Pierre Duport, P. Mayol et Suzanne Villeneuve. En 1982 : Jean-Louis Monneron, Marcel Merle, André Astier, Renaud Sainsaulieu, Jacques Lagroye, P.-J. Labarrière, Gwendoline Jarzyk, Michel Coloni. En 1987 : Renaud Sainsaulieu, Louis de Vaucelles, Philippe d’Iribarne, André Astier, Marcel Merle, Danielle Hervieu-Léger, B. Ollivier, P. Gandouly, A. Mallet, F. Moncouduit, Pierre Boulte. En 1991 : Renaud Sainsaulieu, Louis de Vaucelles, André Astier, B. Ollivier, P. Gandoully, Pierre Boulte, A. Mallet, François-Xavier Dumortier, F. Turlot, Catherine Grémion, H. Touzard, M. Pliszkiewicz, R. du Rivau. Informations dans "Intellectuels chrétiens aujourd’hui" Renaud Sainsaulieu, dans Confrontations, activités 1997-1998, 1998, p. 7.

1652.

Même si en 1984 René Rémond est toujours président du CCIF. Information trouvée dans une lettre de demande de subsides au ministre de l’éducation nationale 27 mars 1984, p. 2.

1653.

Sans préjuger de la qualité intellectuelle des cahiers qui n’ont pas été étudiés.

1654.

C’est avec ces principes que Roger Aubert définit en partie les traits de la génération théologique post-conciliaire, dans Bilan de la théologie, op. cit. p. 486 et sequentes.

1655.

François Hourmant, op. cit. p. 194.

1656.

Idem, p. 248.

1657.

Paul Thibaud, cité par François Hourmant, p. 248.

1658.

Christian Duquoc, art. cit., p. 1055.