2.1 L’analyse hicksienne

Hicks établit un schéma de négociation tel que, quand l’employeur doit faire face à une demande de hausse de salaire ou à un refus de baisse de salaire, il est confronté à une alternative : soit il paie plus les salariés (ou renonce à son projet de baisser les salaires), soit il confirme ses intentions et supporte alors les coûts liés à une grève. Si le coût de la concession est supérieur à celui d’une grève, il ne cédera pas. Si à l’inverse, le coût de la concession est inférieur à celui d’une grève, il ne résistera pas.

Il est évident que plus le salaire demandé par le syndicat, représentatif ici de l’ensemble des salariés de l’entreprise, est élevé, plus le coût de la concession est important pour l’employeur, et donc plus il sera enclin à résister. D’un autre côté, plus la menace d’une grève est crédible, plus l’estimation par l’employeur de la durée de grève ex ante est importante, plus celui-ci sera incité à céder. Il est alors possible de déterminer la courbe de concession de l’employeur. Cette courbe lie les points représentant la concession maximale envisagée pour chaque période par l’employeur plutôt que de supporter une grève. A chaque période, toute proposition de salaire inférieure ou égale au point de concession est acceptée, et toute proposition supérieure au point de concession est refusée par l’employeur qui préfère dans ce cas supporter le coût d’une grève.

Parallèlement, la courbe de résistance du syndicat correspond aux points où celui-ci est indifférent entre la grève et l’acceptation du salaire proposé. La proposition initiale du syndicat est toujours élevée. Ce dernier démontre ainsi sa volonté de défendre les salariés et d’obtenir des hausses de salaire importantes. La crédibilité du syndicat vis à vis des salariés est à ce prix, même si la revendication initiale est irréalisable. Cependant, le maintien d’une telle proposition lui vaudrait un refus systématique de l’employeur, le syndicat modère donc ses revendications au cours du temps.

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Graphique 1 : Le modèle de Hicks

Les courbes de résistance du syndicat et de concession de l’employeur se coupent au point D* qui correspond à la conclusion d’un contrat stipulant un salaire établi après une grève d’une durée maximum. Si la revendication salariale est supérieure à [OA], l’employeur la refusera toujours, considérant qu’une grève ne durera pas suffisamment pour que son coût soit supérieur à celui de la concession. En revanche, si l’offre du syndicat est inférieure à [OA], l’employeur l’acceptera immédiatement. Cependant, la probabilité que le syndicat fasse une telle proposition est très faible ; le syndicat préfère entamer la négociation par des propositions de salaires élevés, et modère ses revendications quand il s’aperçoit que celles-ci n’ont aucune chance d’aboutir.

La forme de la courbe de résistance du syndicat, i.e. les propositions de salaires qu’il fait, dépend notamment du coût de la grève qu’il doit supporter. Celui-ci sera d’autant plus faible et la grève envisagée d’autant plus longue que le syndicat aura auparavant accumulé des fonds servant pendant la grève à rémunérer les salariés. De plus, si les grévistes peuvent, pendant la grève, contracter avec un autre employeur ou s’ils peuvent être bénéficiaires des allocations chômage, le syndicat ne sera pas enclin à réajuster à la baisse ses revendications de salaire.

La forme de la courbe de concession de l’employeur est quant à elle influencée par plusieurs facteurs. Le coût direct de la grève est primordial, il est constitué par la perte des profits et par les charges fixes à supporter durant la grève. Mais ce coût est nuancé par l’importance des stocks qui permettront pendant la grève de satisfaire les commandes des clients, et par la possibilité qu’a l’employeur de se retourner vers le marché extérieur, i.e. d’embaucher du personnel intérimaire. La durée espérée du contrat qui liera employeur et syndicat après le conflit est aussi un facteur essentiel.

Hicks souligne l’influence de la conjoncture économique sur la crédibilité de la menace de grève. Lorsque la conjoncture est haute, la perte de profit engendrée par la grève est considérable pour l’employeur et les emplois de substitution sont plus faciles à trouver pour les salariés grévistes. Le coût de la grève est alors plus faible pour le syndicat qu’il ne l’est pour l’employeur. Les grèves seront donc plus fréquentes en conjoncture haute qu’en conjoncture basse.

Bien que le modèle de Hicks prédise une durée de grève maximale permettant la conclusion d’un accord entre syndicat et employeur, la grève n’est en fait ici que virtuelle. Les agents, complètement informés, ont des estimations exactes des durées de grève possibles et connaissent parfaitement leur courbe de résistance ainsi que celle de leur adversaire. Ils peuvent donc calculer sans erreur quel serait le salaire après grève. Ainsi résoudront-ils pacifiquement le conflit d’intérêt qui les oppose en établissant immédiatement le salaire après grève sans avoir à supporter les coûts de celle-ci.