3.1.1 Structure de la négociation

Comme dans le modèle de Rubinstein (1982), la négociation vient en fait de la différence de valorisation du travail entre salariés et employeur. Les premiers estiment que leur travail équivaut à l’utilité du loisir pour l’ensemble des salariés de l’entreprise, leur valorisation du travail est notée L. Le second quant à lui estime le travail à la valeur de la production, cette valorisation est notée y. Pour qu’il puisse y avoir transaction, il faut que les gains de la transaction soient positifs ou nuls pour les deux parties. Si la négociation aboutit à la conclusion d’un accord, les deux parties signent un contrat d’une durée indéterminée stipulant que le syndicat fournira à chaque période une unité de travail contre un salaire w.

La négociation se décompose en plusieurs périodes de durée égale. Chaque période t est elle même constituée de plusieurs étapes.

Alors que le jeu de Rubinstein ne comportait que deux étapes par période de négociation, l’introduction d’un contrat antérieur crée une troisième étape. Ces deux premières étapes sont identiques à celles décrites précédemment. Si lors de la deuxième étape, la proposition de salaire est refusée, quel que soit l’agent dont émane le refus, le syndicat se trouve confronté à un nouveau choix : il peut soit travailler dans les conditions stipulées dans l’ancien contrat i.e. au salaire w 0, soit refuser de travailler pour ce salaire et faire grève, son gain ainsi que celui de l’employeur seront alors de 0. Cette alternative naît de la présence d’un contrat antérieur. La grève n’est pas soutenable dans une autre configuration. Un refus dans le jeu de Rubinstein est synonyme de non-échange, mais le non-échange n’est pas réellement une grève. Pour que grève il y ait, il faut que les membres du syndicat puissent choisir de ne pas travailler pendant la négociation. De plus, le fait que le syndicat ait le choix de travailler au salaire antérieur, même après le refus d’une proposition, apporte plus de réalisme au modèle. Cette phase de statu quo pendant laquelle des négociations ont lieu alors que les salariés continuent à travailler sous les termes de l’ancien contrat est appelée option d’attente ou holdout. En effet, l’option d’attente est une possibilité souvent utilisée par le syndicat. L’étude des données sur la négociation collective aux USA de 1970 à 1989 de Cramton & Tracy (1992) montre que 47% des renégociations de contrat s’effectuent alors que la production continue suivant les termes de l’ancien contrat. Il est vrai qu’il paraît peu vraisemblable que la grève commence dès que l’ancien contrat prend fin ou dès que celui-ci est remis en question. Gu & Kuhn (1995) ont montré que 97% des grèves au Canada de 1965 à 1988 étaient précédées de périodes d’attente.

Le recours à l’option d’attente lors des négociations collectives semble par ailleurs d’autant plus adapté à la description du processus de négociation en France qu’en vertu de la loi, les partenaires sociaux ont obligation de négocier chaque année, sans pour autant être obligés de parvenir à un accord.

L’hypothèse d’option d’attente ne peut donc pas être négligée, et de l’existence de cette option naît la grève, comprise comme choix du syndicat de ne pas travailler.

Le syndicat est donc confronté à une véritable alternative : soit il décide après le refus d’une proposition, de travailler et il gagnera le salaire antérieur, soit il décide de faire grève et son utilité ainsi que celle de l’employeur seront égales à 0.

Les délais qui séparent toute proposition de son acceptation ou de son refus sont infiniment courts ; tout se passe comme si la grève (si celle-ci a lieu) commençait en début de période. Le choix des agents porte toujours sur l’action qui maximisera la somme actualisée de leur revenu. Les agents sont supposés accorder le même poids au futur, leurs coefficients d’actualisation sont identiques et égaux à δ.

Dans ce jeu séquentiel, tout contrat stipulant un niveau de salaire compensant la désutilité du travail et n’incitant pas l’employeur à exercer son option extérieure peut être soutenu comme un équilibre de Nash. Mais il existe ici une infinité d’équilibres de Nash, certains prédisant un accord immédiat, d’autres un accord retardé. Le critère d’équilibre de Nash ne permet donc pas de conclure quant à l’issue de ce type de négociation. Rubinstein a proposé un moyen de sélection par les équilibres de Nash en imposant aux solutions de la négociation d’être des équilibres de Nash fondés sur des menaces crédibles.

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Graphique 2 : Le jeu de négociation avec contrat antérieur.

Il est à noter que le contrat antérieur est acceptable pour les deux parties. L’employeur préfère rémunérer les salariés w 0 plutôt que prendre son option extérieure, et les salariés préfèrent être rémunérés w 0 plutôt que de faire grève (l w 0 (y- w 0). Cette contrainte issue de l’introduction d’un contrat antérieur revient en quelque sorte à borner les propositions acceptables qui seront faites lors de la négociation. Le syndicat pouvant toujours travailler au salaire w 0, il refusera toute proposition inférieure à ce salaire, et l’employeur fera de même avec une proposition qui dépasserait y-v m.

Puisque dans ces modèles le syndicat peut choisir entre le holdout et la grève suite au refus d’une proposition, la grève, de par le manque à gagner qu’elle engendre pour les deux parties, devient un élément déterminant de la négociation. En fait, plus que la grève elle-même, la menace de grève est un instrument stratégique du syndicat. Il faut donc que cette menace de grève soit crédible, i.e. que le syndicat qui a annoncé qu’il ferait grève n’ait pas intérêt à renoncer à sa mise en action effective. Il est alors nécessaire que le coût de renonciation à la grève soit supérieur au coût de la grève elle-même. Ne seront envisagées ici que les menaces stationnaires : le syndicat doit annoncer une stratégie unique en cas de refus de proposition, soit il fait grève à partir du premier refus jusqu’à ce qu’un accord soit conclu, soit il travaille au salaire antérieur. Si le syndicat dévie et n’exerce pas sa menace de grève, l’employeur rétorquera immédiatement en offrant le salaire prévu par l’ancien contrat, le plus petit salaire qui peut échoir au syndicat sur le marché interne.

Si la menace de grève n’est pas crédible, le contrat antérieur étant acceptable, la solution de jeu de négociation est la pérennisation de ce contrat antérieur. Le problème de l’existence de grèves se rencontre donc uniquement quand le syndicat peut réellement implémenter ces menaces de grève.