3.3.1.1 Le modèle d’apprentissage en asymétrie simple d’information

Dans ce modèle développé par Tracy (1987) et repris par Hart (1989), l’agent qui ne dispose pas de l’information fait les propositions de salaire à intervalles de temps donnés et exogènes. Si on suppose que l’employeur détient une information privée, le syndicat fera l’ensemble des offres. Chaque refus de la part de l’employeur se solde par une période de grève, dont les gains sont normalisés à zéro pour les deux joueurs. Dès qu’une proposition est acceptée par l’employeur, un contrat à durée indéterminée est signé, et le jeu s’arrête. Si un accord est conclu pour un salaire wà la période t les gains de l’employeur V et du syndicat U sont : message URL form12.gif, la valorisation du travail l étant supposée égale à zéro.

Ce modèle contourne le problème du choix du premier joueur, rencontré notamment dans le modèle de Rubinstein (1982), en supposant que l’agent non informé fait toutes les propositions.

L’employeur peut en particulier détenir une information sur la situation dans laquelle se trouve l’entreprise et sur la valeur qu’il accorde au travail, à la productivité. Le syndicat n’a pas d’information exacte sur la productivité, il dispose de croyances : la productivité serait distribuée selon une fonction F(.)uniforme dont la densité serait positive sur l’espace [y B ,y H]. L’employeur connaît la croyance initiale du syndicat. Dans ces conditions, la stratégie optimale de l’employeur y’, à la période t sachant que la proposition du syndicat est w t et que ce dernier a annoncé que sa prochaine proposition serait w t+1en cas de refus, est d’accepter w t si et seulement si message URL form13.gif. Si y y’(w t ), l’employeur accepte la proposition ; il la refusera dans le cas inverse. Si l’employeur a refusé la proposition w t, le syndicat en infère que toute productivité supérieure à y’(w t) sera rejetée par l’employeur car elle est plus élevée que son vrai type. Le syndicat attribuera donc une probabilité nulle au type compris entre y’(w t) et y H. La croyance révisée par le syndicat au terme de t périodes est donc y’(w t).

Card (1990) suppose dans ce modèle que la négociation ne pourra se poursuivre au-delà de N car à cette date l’entreprise, quel que soit son type, sera en faillite. La durée maximale de grève est de N-1 périodes ; au terme de cette grève maximale, seule l’entreprise de type y B a refusé toute offre et est maintenant contrainte à accepter l’offre du syndicat. Ses gains seront y-w N ou 0 (comme ceux du syndicat), si aucun contrat n’est signé. La probabilité pour qu’un employeur accepte l’offre du syndicat à la période N est :

message URL form14.gif

L’espérance de gain du syndicat, s’il offre w N > y B est :

message URL form15.gif
La proposition de salaire qui maximise l’espérance d’utilité du syndicat qui préfère discriminer entre employeurs à faible et forte productivité est message URL form16.gif et son utilité maximale au début de la période N est : message URL form17.gif
Si message URL form18.gif >y B, il existe un équilibre bayesien parfait unique déterminé à rebours à partir de N, pour lequel le syndicat offre à chaque message URL form19.gif, est le coefficient représentant le taux de révision des croyances du syndicat, message URL form20.gif.
L’utilité espérée maximale du syndicat au début de la période t est : message URL form21.gif
L’offre du syndicat est acceptée par l’employeur dont la productivité effective est supérieure à la productivité envisagée par le syndicat (i.e. correspondant à l’offre de salaire qu’il fait). Si hypothèse est faite que message URL form22.gif.

Cette proposition indique que le syndicat revendique des salaires de plus en plus faibles au fur et à mesure que la négociation se poursuit. Cela lui permet de discriminer entre les différents types d’employeurs puisqu’un employeur riche sera plus impatient.

Dans ces conditions, la probabilité pour qu’une grève émerge, i.e. la probabilité pour que la première offre soit refusée, est message URL form23.gif donc message URL form24.gif.
La durée estimée au début de la négociation de ce conflit est donnée par message URL form25.gif. Cette durée dépend donc des bornes de profit (de l’incertitude), du taux d’escompte et du coût de chaque période de grève.
Le taux d’accord à la période t est la probabilité que la grève se termine en t+1 sachant qu’elle a duré jusqu’en t. Son calcul nécessite la détermination de la fonction de survie qui s’écrit message URL form26.gif ainsi le taux d’accord correspondant est : message URL form27.gif.

Tout accroissement de l’incertitude, i.e. tout élargissement de l’espace des valeurs que peut prendre la productivité, augmente simultanément la probabilité de grève et la durée moyenne des conflits. De plus, si le syndicat pense que la valorisation du travail de l’employeur est élevée, la probabilité de grève diminue ainsi que la durée des conflits. Si l’employeur accorde effectivement une valorisation forte au travail, l’accord est obtenu sans grève pour un salaire équivalent à w 1 * =c 1 y H.

Si le syndicat ne peut exercer de menace de grève, son gain ne sera au plus que de y B i.e. un salaire inférieur à c 1 y H. La menace de grève et le salaire que peut obtenir le syndicat augmentent parallèlement.

Deux remarques sont ici essentielles. D’une part, si un accord est signé à la date t, le gain que peut obtenir le syndicat augmente en fonction du point de rupture de la négociation N ; plus N est grand, plus le gain du syndicat sera important. D’autre part, si les taux d’escompte des agents sont différenciés, le gain du syndicat sera d’autant plus fort que sa préférence pour le présent est faible en comparaison de celle de l’employeur.

Le modèle d’apprentissage en asymétrie simple d’information confirme ainsi l’intuition de Hicks quant à la liaison négative entre salaire négocié et durée de grève. La forme de la courbe de concession trouve ici une justification. Pourtant, dans ce modèle, le seul coût pris en compte est celui lié au délai, à la durée entre les propositions. Une limite du modèle est de considérer le coût de délai fixe durant tout le conflit. Or la quasi-rente à se partager peut varier au cours de la grève, sous l’effet des pertes de clients qui n’ont plus confiance en l’entreprise, sous celui du retard pris par l’investissement, sous l’impact de la dépréciation du matériel moins entretenu pendant le conflit ou encore sous l’influence de l’effilochage de la relation de confiance entre employeur et employés. Ainsi, le coût du délai ne peut être considéré comme donné pour l’ensemble du jeu. Hart (1989) a modifié le modèle d’apprentissage en asymétrie simple d’information pour tenir compte de ce fait.