3.3.1.2 Modèle d’apprentissage en asymétrie simple d’information avec variation des paiements

Comme précédemment, un employeur et un syndicat négocient sur le salaire. La firme détient une information privée sur la productivité du travail. Le syndicat ne connaît pas la productivité du travail mais dispose de probabilités sur la distribution de y. Hart (1989), par souci de simplification, fait l’hypothèse que la productivité ne peut prendre que deux valeurs y B et y H avec les probabilités p B et p H. La mise en évidence du fait qu’une grève courte impose des coûts proportionnellement moins importants qu’une grève longue change sensiblement les résultats obtenus quand l’hypothèse de stationnarité des coûts est retenue. Au début de la grève, les stocks permettent d’honorer les commandes des clients qui ne retirent pas leur confiance à la firme. Les investissements ainsi que les activités d’innovation peuvent être différés après la négociation sans porter préjudice à la firme si la grève est de courte durée. Mais au-delà d’un certain point nommé par Hart « point charnière » ou « crunch point », la profitabilité de la firme ayant à soutenir une grève se dégrade rapidement. La pérennisation du conflit au-delà d’une certaine durée entraîne alors des coûts importants, voire irrécupérables, pour l’employeur qui subit notamment des pertes de parts de marché dues au non-respect des commandes (destockage insuffisant pour satisfaire les clients qui se tournent vers la concurrence) ou au retard d’investissements.

Ce point charnière est par hypothèse situé à la période T. Pour prendre en considération l’impact du prolongement de la grève au-delà de T, il est nécessaire de faire apparaître la probabilité que la firme connaisse une très forte baisse de profitabilité. Cette probabilité est notée (1-η) avec 0<η<1. η représente donc la probabilité que la firme sorte intacte de la grève. Avant T, la firme n’a aucune chance de connaître ce type de mésaventure, et η est toujours égale à 1 pour toute période t<T. En T+1, l’offre de salaire du syndicat est égale à la limite inférieure de l’espace des productivités envisagées wT+1 = yB, alors que les propositions précédentes étaient telles que la firme de type yH était indifférente entre supporter une grève et accepter le salaire proposé message URL form28.gif.

A la date T, le facteur d’escompte devient ηδ. Soit σt le ratio défini à chaque période t par le rapport entre probabilité que la firme soit de type yH et la probabilité qu’elle soit de type yB. Pour ce ratio, le syndicat est indifférent entre continuer la négociation jusqu’en T+1 et choisir une logique de proposition qui débouchera sur un accord avant la date T. La détermination de σT-k provient en fait de l’égalisation des paiements correspondant à un accord en T+1 et des paiements maximum que le syndicat percevra s’il décide de faire une offre acceptable avant la date T. Hart (1989) démontre que si la probabilité pH est supérieure à σ1, le syndicat préférera choisir un sentier de propositions aboutissant à un accord en T+1. L’auteur insiste sur le fait que cette proposition est suffisante pour qu’existe un équilibre bayesien parfait, soutenu par une stratégie de grève se prolongeant au moins jusqu’en T+1.

Jusqu’à la date T, le syndicat joue avec un taux d’escompte égal à δ. Si un accord est trouvé avant T+1, les caractéristiques de la négociation sont stationnaires. En poursuivant le jeu au-delà de T+1, le syndicat s’engage dans un nouveau round de négociation pour lequel son facteur d’escompte est δη. Ce taux d’escompte est inférieur à celui qu’a connu le syndicat pendant le premier tour de négociation. Toute chose égale par ailleurs, ce “nouveau” jeu est plus intéressant pour le syndicat. Deux valeurs particulières de ce taux d’escompte peuvent être mises en évidence afin de montrer l’attractivité du deuxième round. Si δ est proche de 1, le paiement que remportera au mieux le syndicat avant T est très proche yB ; mais si lors du deuxième round δη est proche de 0, le syndicat pourra remporter p H y H qui est son gain préféré. Un taux d’escompte proche de 0 signifie que la probabilité que la firme subisse un choc sévère après T est très élevée. Le cas inverse (ηδ=1) doit être examiné pour en connaître les conséquences. Hart note que le choc ne doit pas être nécessairement sévère pour que le syndicat ait intérêt à poursuivre le jeu au-delà de T. Il montre que pour message URL form29.gif le jeu se poursuit pendant environ une centaine de jours. Grâce à des simulations numériques, il explique que si T est petit, message URL form30.gif sont grands, des négociations longues existeront. En effet, si T est petit, attendre jusqu’à T est peu coûteux pour le syndicat ; si message URL form30.gif sont grands, le syndicat se servira de T pour déterminer le type de l’entreprise. Dans le cas où pH1, i.e. si l’équilibre du jeu se trouve au-delà de T+1, la distribution des accords est trimodale. L’entreprise de type yH contracte aux dates 1 et 90 alors que l’entreprise de type yB ne contractera qu’au 91ème jour. Les simulations faites par Hart mettent en évidence un lien entre variation des salaires à la baisse et durée de grève.

Ce modèle a le mérite d’apporter plus de réalisme à l’explication des grèves en levant l’hypothèse de stationnarité des paiements. En effet, comment imaginer qu’une grève de courte durée ait les mêmes conséquences pour la firme qu’une grève de longue durée?

Il est possible de modifier le modèle afin de tenir compte des situations où le paiement des salariés grévistes varierait au cours de la grève sous l’effet notamment de la perception d’allocations chômage ou d’un salaire extérieur. Il est à noter que, dans ce cas de figure, la capacité du syndicat à s’engager dans une grève longue se verrait renforcée, ce qui ne devrait pas changer radicalement les résultats obtenus dans le modèle développé ci-dessus. Une autre modification éventuelle est de considérer que le syndicat plutôt que l’employeur, ou inversement que l’employeur plutôt que le syndicat, détient une information privée. C’est dans cet esprit qu’ont été développés les modèles en double asymétrie d’information.