Chapitre 2 : L’apprentissage par le conflit

1. Introduction

La généralisation du modèle de Kuhn & Gu (1999) au cas du pluralisme syndical semble plus proche de la réalité institutionnelle française. Pourtant, la confrontation des prédictions du modèle aux données sur les négociations en France, via l’outil économétrique, rejette l’hypothèse selon laquelle la diffusion de l’information est prédominante dans les décisions des agents. La règle du « toujours plus » de Dunlop n’est pas davantage retenue.

Il faut cependant noter que la base de données disponibles ne permet pas de tester le modèle stricto sensu. Plusieurs approximations ont dû être faites sur l’unicité syndicale dans les entreprises, notamment pour pouvoir considérer que l’ensemble des salariés de différentes entreprises appartenaient à la même organisation syndicale. En effet, même si un syndicat est majoritaire dans une entreprise, il peut ne pas être celui qui déclenche et conduit la négociation. En France, un accord est trouvé dès qu’un syndicat représentatif signe un protocole avec l’employeur. Or, le syndicat signataire du nouveau contrat peut ne pas être le syndicat le plus représenté dans l’entreprise. De plus, plusieurs variables déterminantes du modèle (telles les revendications des syndicats, les croyances des syndicats, ou le salaire perçu après négociation) ne sont pas disponibles dans l’enquête. Enfin, la méthode économétrique ne nous permet pas d’omettre certaines variables dites de contrôle, telles l’appartenance sectorielle ou la taille de l’entreprise, qui ne figurent cependant pas dans le modèle. Sans ces variables de contrôle, les estimations économétriques seraient sujettes à des biais liés.

Nous avons choisi de soumettre à nouveau à réfutation le modèle d’apprentissage en utilisant la méthode expérimentale.

La méthode expérimentale permet de tester un modèle dans un environnement contrôlé, très proche de la modélisation théorique. Les décisions des agents peuvent être directement analysées et confrontées aux processus postulés. Elle autorise de plus une approche différente de certains éléments difficilement codifiables dans l’enquêtes (comme les probabilités)

La méthode expérimentale permet ici d’isoler l’effet de la diffusion de l’information, sur les croyances des syndicats, leur revendication, et le taux de conflictualité. La règle du « toujours plus » est-elle acceptable ? Dans quelle mesure la diffusion de l’information réduit-elle la conflictualité et favorise-t-elle des ajustements dans les revendications syndicales ?

L’expérience consiste en deux UBG (Ultimatum Bargaining Game) séquentiels. Il existe deux entreprises au sein desquelles un syndicat et un employeur négocie le partage d’une rente. Le syndicat de chaque entreprise ne connaît pas la taille de la somme à partager qui peut prendre deux valeurs. Il doit faire des propositions « à prendre ou à laisser ». Il connaît cependant la probabilité d’apparition d’une rente élevée. Les deux paires de négociateurs s’affrontent en deux UBG séquentiel.

La probabilité d’apparition d’un bon état de la nature est commune et connue de tous. Il en va de même de la corrélation entre les entreprises.

Pour pouvoir analyser les effets du pluralisme syndical, deux traitements ont été réalisés :

  • dans un traitement, le deuxième syndicat est informé de la supposition du premier syndicat sur l’état de la nature, de sa revendication et du de son gain ;

  • dans un second traitement,. l’information mise à la disposition du deuxième syndicat correspond uniquement aux gains du premier syndicat.

Ces deux traitements permettent de distinguer le cas où les syndicats appartiennent à deux organisations syndicales différentes, et le cas où les syndicats des deux firmes appartiennent à la même organisation syndicale.

L’expérience de Forsythe, Kennan & Sopher (1991) teste le cas une entreprise négocie indépendamment, sans que le syndicat ne soit informé des négociations passées. Les résultats de leur expérience montrent que des grèves apparaissent même si l’état de la nature est favorable, et que l’asymétrie d’information influence l’émergence de conflit. Leurs résultats serve de cadre de référence.

Les résultats de l’expérience développée dans ce chapitre nuance les conclusions de Forsythe, Kennan & Sopher (1991). Bien qu’il y ait parfois des conflits quand l’état de la nature est favorable, le taux de conflictualité est moins élevée que lorsque la conjoncture est défavorable. Si on tient compte des considérations d’équité, il est possible de dire que le modèle d’efficience des grèves n’est pas réfuté.L’esprit du modèle de diffusion de l’information est lui aussi sauvegardé : lorsqu’il y eu conflit dans la première entreprise , le syndicat de la deuxième entreprise révise sa revendication à la baisse. Pourtant, cette révision n’est pas suffisante pour éviter tout conflit. Il est aussi a noter que la connaissance commune de la probabilité d’apparition d’un bon état de la nature ne suffit pas à assurer une diffusion de l’information complète.

L’expérience de Forsythe, Kennan & Sopher (1991) fera l’objet d’une première section. Dans une seconde section, les prédictions du modèle de diffusion avec proposition à prendre ou à laisser sont rappelés, et développés en fonction des paramètres retenus. Après avoir défini le protocole expérimental, les résultats obtenus sont analysés