Deuxième partie : Les logiques imbriquées de la négociation et de la grève

L’utilisation de jeux séquentiels d’offres et contre-offres a été fortement contestée. En fait, seuls les modèles de discrimination (apprentissage et signal) s’avèrent capables de donner corps à un conflit. Selon la solution suggérée par Hicks et développée dans ces modèles, l’asymétrie d’information est nécessaire pour justifier l’émergence des grèves. Si cette asymétrie n’existait pas, il n’y aurait aucune raison pour que les agents entrent effectivement en conflit. Le recours à l’asymétrie d’information offre une solution convaincante à la résolution du paradoxe de Hicks. En effet, l’asymétrie d’information constitue une caractéristique essentielle de la relation d’emploi et ce défaut d’information ne peut en effet être totalement corrigé avant la négociation. Pourtant, fonder l’existence des grèves sur la seule asymétrie d’information semble critiquable. Hicks (1932) et plus tard Ashenfelter & Johnson (1969) ont mis en avant le fait que les grèves pourraient être le fruit de comportements irrationnels. Mais aucun de ces auteurs ne justifie cette hypothèse.

Les modèles de guerre d’usure proposent un nouveau cadre d’analyse pour expliquer l’émergence et la pérennisation des conflits. D’abord réservée à la biologie, leur utilisation a été étendue au domaine de l’économie. Ces modèles proposent un cadre radicalement différent de celui des modèles d’offres alternées. Le conflit naît d’un désaccord entre les propositions initiales des joueurs. Ces dernières ne font en aucun cas l’objet d’un marchandage. La fin du conflit provient de l’abandon du jeu par un des joueurs. Les modèles de guerre d’usure offrent une justification à la pérennisation des conflits sans pour autant supposer une asymétrie d’information ou une rationalité limitée ex ante des agents. En outre, la structure du jeu crée un risque d’incohérence dynamique, c’est à dire que les décisions des agents sont justifiées ou optimales à court terme, mais sont irrationnelles à long terme.

La grève étant un conflit, le principe de la guerre d’usure peut rendre compte des comportements du syndicat et de l’employeur. Les jeux de durée constituent une nouvelle vision de la négociation salariale. Ils permettent d’appréhender dans sa globalité et dans sa diversité le jeu que se livrent employeur et syndicat lors du renouvellement d’un contrat.

Le troisième chapitre est consacré à un modèle de grève où les stratégies des agents sont représentées par des guerres d’usure de type « tout ou rien ». Après avoir développé le concept de guerre d’usure en temps discret et en temps continu lorsque la rente à partager est de taille fixe, est proposé un modèle où la taille de la rente est variable. Ce modèle permet de mettre en évidence l’influence sur la durée de la grève, d’une part, de l’enjeu de la négociation et, d’autre part, de la situation initiale de l’entreprise.

L’analyse théorique est ensuite soumise à réfutation économétrique à partir des données de l’enquête réponse 1992 pour faire apparaître les déterminants de la durée et de l’issue des grèves en France.

Si la grève dans ce modèle naît de revendications incompatibles, il reste toutefois à déterminer quand interviendra la grève, c’est-à-dire le moment où les salariés décideront de mettre en oeuvre cette menace.

Le quatrième chapitre endogénéise l’entrée en grève en proposant une modélisation de l’option d’attente (holdout). L’option d’attente est la période qui succède à la fin d’un contrat durant laquelle, les salariés négocient avec l’employeur les termes d’un nouveau contrat tout en continuant à travailler selon les termes de leur ancien contrat. L’option d’attente représente dans ce modèle une phase préalable à une éventuelle grève. Les stratégies des joueurs sont appréhendées par un jeu hybride de durée où les salariés sont en guerre d’usure alors que l’employeur est en préemption. Ce type de modélisation fait apparaître en tendance des effets de seuils, c’est à dire des durées de négociation en fonction de la part de la rente proposée pour lesquelles les salariés préféreront commencer une grève.

Des estimations économétriques sont ensuite réalisées sur les données de l’enquête réponse 1998 pour analyser la durée de l’option d’attente ainsi que la probabilité d’entrer en grève à l’issue de la phase d’attente.