3.1 Formalisation de la grève par un jeu d’usure stationnaire en temps discret

Le syndicat et l’employeur négocient le partage de la rente R. L’accord antérieur prévoyait qu’une part a 0 s R de la rente était versée aux salariés alors que l’employeur disposait d’une part égale à a 0 E R = (1-a 0 s )R. Le syndicat revendique une proportion a 1 s de la rente pour le nouveau contrat alors que l’employeur ne veut pas augmenter la fraction du surplus qui échoit aux salariés.

Ces derniers peuvent donc décider de faire grève ou d’accepter que leur rémunération n’augmente pas. Rappelons que la rémunération w a deux composantes : le salaire concurrentiel et la part de la rente qui leur revient, w = w m + a s R. Par hypothèse, w m est ici nul.

L’employeur fait face à une alternative : soit il accepte un nouvel accord, soit il subit une grève.

Céder ou être le leader signifie pour chaque partie accepter la proposition de l’autre. Chaque joueur obtient un paiement égal à G i i    {S,E} par période de grève supplémentaire. G i retrace la possibilité d’options extérieures.

Le syndicat est toujours le premier joueur.

S’il cède à la période t, i.e. s’il arrête la grève, les paiements des différents joueurs sont :

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Si l’employeur cède à la période t, i.e. s’il accepte une nouvelle partition de rente, alors les paiements sont :

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Si la grève continue, le paiement des parties est :

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Chaque joueur préfère que ce soit son adversaire qui cède le premier, F(t) > L( τ )  t    τ, ce qui implique:

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Chaque joueur préfère aussi que, si son adversaire cède, il le fasse le plus tôt possible F(t) > F( τ )  t    τ, ce qui entraîne : a 1 s G s et a 0 E G ;

Chaque joueur préfère être leader à la première période plutôt que subir une grève d’une durée infinie L(1) > γ(∞), ce qui correspond à : a 0 s R G s et a 1 E  G ;

Le syndicat préfère un nouvel accord que le partage stipulé dans le précédent contrat (a 1 s > a 0 s), alors que l’employeur est favorable au maintien de l’ancien partage (a 0 E > a 1 E).

L’ensemble de ces inégalités donne la carte de préférences de ces deux joueurs. Le syndicat préfère un nouveau partage plutôt que le maintien de l’ancien contrat, et l’employeur a des préférences inverses, mais les deux joueurs pensent que la situation de grève est la plus défavorable a 0 E > a 1 E > G E et a 1 s > a 0 s > G S .

Les conditions précédentes stipulent que α (t) et β (t) sont des fonctions décroissantes. La grève étant coûteuse pour les deux parties, plus un accord intervient tard, plus les joueurs sont perdants.

Pourquoi, dans ces conditions, entrer en grève ? La grève nait de l’opposition entre intérêts à court terme et à long terme. Un exemple de la forme extensive du jeu, avec valeurs fictives des paiements, permet de comprendre la raison qui pousse les joueurs au conflit.

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Graphique 2 : Le jeu de guerre d’usure sous forme extensive

p est la probabilité que le syndicat accepte de continuer à travailler selon les termes de l’ancien accord, et (1-p) la probabilité qu’il continue la grève. q est la probabilité que l’employeur signe un nouvel accord et (1-q) la probabilité qu’il préfère subir une grève. Ces probabilités sont connues de tous. L’espérance des gains découlant de l’utilisation d’une stratégie mixte est donnée par les fonctions suivantes:

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Les probabilités d’équilibre (p*,q*) d’arrêt du jeu obtenues par la maximisation de ces fonctions sont donc :

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Il apparaît alors que p* est une fonction décroissante de δ E, et que p* est une fonction décroissante de δ S. Plus les joueurs seront patients, plus la grève sera longue. La durée espérée de la grève est donnée par :

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Un raisonnement en stratégie pure met l’accent sur la dépendance des probabilités de sortie du jeu vis-à-vis du temps, et met en évidence deux types d’équilibre. La première catégorie d’équilibres est dite dégénérée. Les équilibres sont alors issus d’une logique de long terme. Le joueur dont le temps de capitulation, i.e. la durée maxima de résistance à la grève, est le plus faible, cédera dès le début du jeu. Alors la grève n’aura pas lieu. Cette stratégie est Pareto optimale.

Il peut aussi apparaître d’autres équilibres ; ceux-ci sont appelés non dégénérés et permettent l’émergence d’un conflit. La logique sur laquelle se basent les agents pour prendre des décisions est alors de court terme. Dans ce cas, le syndicat ne décide pas de céder dès la première période, il préfère différer sa décision d’arrêt du jeu pour éprouver la stratégie de son adversaire. Face à cette menace de pérennisation d’un conflit coûteux, l’employeur devrait en t = 2 mettre fin au jeu. Mais il peut aussi, dès qu’il a la main, penser que cette “déviation” de son opposant est une erreur, et selon son intérêt à court terme, il ne signera pas de nouvel accord. En t = 3, le syndicat se trouve confronté à la même alternative qu’en t = 1.

Ce type d’analyse a l’avantage de mettre en lumière des possibilités de grève, mais le raisonnement en temps discret pose un problème majeur : cette durée de grève n’est-elle pas un artefact lié au découpage du temps en périodes ? Pour en faire la démonstration contraire, il faut analyser la grève à l’aide de jeux en temps continu.