4. La guerre d’usure : le cas d’une rente de taille variable

Comme dans le modèle de base de ce jeu, les salariés bénéficiaient avant la grève, d’une part a 0 de cette rente et ils réclament que cette proportion soit augmentée. L’employeur, quant à lui, refuse cette augmentation et campe sur ses positions : il veut maintenir les termes de l’ancien contrat. La grève se révèle coûteuse pour les deux parties, et chacun préférerait qu’elle prenne fin, mais aucun des protagonistes ne veut céder aux revendications de l’adversaire. Ici, la rente que doivent se partager employeur et syndicat n’est pas fixe. Suivant les théories des relations d’efficience (Akerlof & Yellen, 1988, 1990), la rente varie en fonction de la représentation que se font les salariés de la considération patronale. Ils vont donc réagir au comportement de l’employeur pendant le conflit. Ainsi, si à l’issue de la grève les salariés n’ont pas obtenu satisfaction, ils vont estimer que la relation de confiance qui les lie à l’employeur est rompue et vont diminuer leur effort : la rente diminuera. Les salariés vont punir l’employeur pour ne pas avoir cédé à leur revendication et ceci pour toute la durée restante du contrat. Si, au contraire, l’employeur cède à leur revendication, la rente augmentera du fait du « cadeau » que fait l’employeur aux salariés, mais plus l’employeur aura tardé à céder, moins cette augmentation sera importante.

Pour simplifier les calculs, il a été supposé que la grève commence dès l’achèvement du précédent contrat. La durée du contrat à négocier a été normalisée à 1. On distingue deux phases : l’une de grève et l’autre de mise à l’oeuvre du contrat négocié à l’issue de la grève.

Les notations sont les suivantes :

a j est la part de la rente qui échoit aux salariés, j pouvant prendre deux valeurs 0 ou 1. Avec :

a 0 , la part de la rente qui revient aux salariés avant la grève, qui représente aussi la revendication de l’employeur.

a 1, la part de la rente que revendiquent les salariés : a 1 > a 0.

R(a j ,s) représente la fonction de rente. La rente est d’autant plus importante que la part qui revient aux salariés est grande, et elle est négativement corrélée à s ; plus la négociation dure, plus la rente à partager diminue ;

C i (X i ,s), représente la fonction de coût de grève du joueur ; avec X i les déterminants exogènes de ce coût et s le temps.

Les fonctions de paiement de l’employeur peuvent être décrites comme suit :

Si l’employeur est follower (i.e. si le syndicat renonce à continuer la grève), il reçoit :

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Si l’employeur est leader, il accepte un nouveau partage de rente et reçoit :

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S’il y a statu quo, alors l’employeur supporte des coûts égaux à :

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Les fonctions de paiement du syndicat peuvent être décrites comme suit :

Si le syndicat est follower, l’employeur cède à sa revendication, il reçoit

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Si le syndicat est leader et abandonne la grève, il reçoit

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Si la grève perdure, elle coûte aux salariés

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Dans le cadre d’une guerre d’usure, le joueur préfère toujours être follower que leader, et ce joueur souhaite que son adversaire prenne la décision de mettre fin au jeu le plus tôt possible (équations 7 et 8). Si, malgré tout, il constate que son adversaire est plus patient que lui et qu’il lui faut être leader, il préférera toujours mettre fin au jeu le plus tôt possible, au tout début du jeu (équation 9). Il est à noter que si le jeu perdure et que la durée de la grève tend vers la fin du contrat, le joueur n’a plus intérêt à être follower (équation 10).

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La matrice ci-dessous décrit les stratégies des joueurs.

Employeur
1’ / Leader 2’ / Follower
Syndicat 1 /
Leader
2 / Follower

La grève prend fin dans deux cas : A ou B.

Pour que A soit un équilibre en stratégies pures, il faut que :

La stratégie 2 du syndicat domine sa stratégie 1 : 

Et que l’employeur préfère la stratégie 1’ à la stratégie 2’:

Dans le cas B :

Il faut que le syndicat préfère toujours céder en premier :

Et que l’employeur préfère toujours, quelle que soit la stratégie du syndicat, céder en dernier :

Dans les deux cas, il n’existe pas en fait d’équilibre de stratégies pures. En effet, pour qu’un tel équilibre soit possible, il faudrait que l’accumulation de la rente après la grève soit globalement négative. Quels que soient les paramètres retenus et le moment où les agents choisissent de mettre fin au jeu, ce cas de figure ne peut être envisageable.

La recherche des conditions nécessaires à l’émergence d’un équilibre de stratégies mixtes est donc incontournable.

En stratégies mixtes, chaque joueur affecte une distribution de probabilités à l’ensemble de ses stratégies. On nomme Q(t) cette distribution pour l’employeur et P(t) celle pour le syndicat. L’objectif est de trouver les densités de probabilités optimales (q*(t),p*(t)) qui satisfassent le programme suivant :

Pour le syndicat :

Pour l’employeur,

Les fonctions de paiement des agents comprenant de nombreux paramètres, une solution analytique de ce problème n’est pas concevable. Afin d’obtenir des résultats sur les durées de grève ainsi que sur le « vainqueur » de la grève, nous avons procédé à des simulations. Si les résultats ainsi obtenus perdent de leur caractère générique, cette méthode permet de trouver les distributions de probabilité exactes, et les résultats de ces simulations peuvent alors être comparés à ceux des estimations réalisées à partir des données françaises sur les grèves.