6.2.4 Analyse paramétrique

Deux estimations complémentaires des durées de grève sont présentées car le programme ne converge pas quand toutes les variables explicatives sont rassemblées dans une même équation. La présence de multicollinéarité ainsi que les limites de LIMDEP dont les pas de convergence sont fixes sont les hypothèses les plus probables quant à l’origine de ce phénomène. Ces estimations n’étant pas emboîtées, elles n’ont pas pu être soumises à des tests de vraisemblance.

L’inverse du ratio de MILL (IMR) est significatif dans les deux estimations ; il y avait bien présence d’un biais de sélection qui a été corrigé par l’introduction de l’inverse du ratio de Mill.

Il est à noter que les résultats des modèles de durée présentés ci-dessous portent sur le taux de hazard ; un coefficient positif représente, dans ce cas, une influence négative sur la durée de grève.

Table 2 : Estimation du modèle de durée de grève (Modèle paramétrique de survie : Lognormal)
Modèle paramétrique de survie de type : Lognormal
Estimation par maximum de vraisemblance
Variable expliquée : MGLDUREE, log de la durée de grève si la grève a été le conflit le plus marquant
Nombre d’observations : 306
Log de vraisemblance : -131,7639
Log de vraisemblance restreinte : -201,6977
LR test statistique : 139.8696
Degrés de liberté : 15
Significativité : 0,0000
message URL FIG303.gif
Variables Signification de la variable Coeff. Ecart type t Seuil
Constante Constante 0,5246 0,1125 4,66333 0,0000
IMR Inverse du ratio de MILL 0,9002 0,0332 27,0842 0,0000
ECOFRA L’entreprise diffuse régulièrement des informations sur la situation économique actuelle française 0,1071 0,0551 1,94278 0,0520
DIMSTOC L’entreprise a connu une diminution importante des stocks -0,1049 0,0464 -2,26212 0,0237
DIVPROD L’entreprise a une politique de diversification de ses produits 0,1063 0,0552 1,92823 0,0538
JAT L’entreprise a développé une politique de juste à temps/flux tendus -0,0902 0,0559 -1,61504 0,1063
TURNOU3 Le turn-over des cadres et des techniciens est important -0,0420 0,0155 -2,70323 0,0069
CAKERLOF Il existe une volonté de motiver les cadres -0,0494 0,0236 -2,09779 0,0359
NAUGMI La politique d’incitation des non cadres passe principalement par le biais d’augmentations individuelles du salaire -0,0596 0,0280 -2,12769 0,0334
CPRIMCO La politique d’incitation des cadres passe principalement par des primes liées à la performance collective -0,0779 0,0364 -2,14226 0,0322
INTERE L’entreprise a appliqué un accord d’intéressement en 1992 0,0727 0,0487 1,49359 0,1353
CONFL Les conflits sont le principal indicateur pour l’entreprise du climat social 0,1283 0,0867 1,47967 0,1390
MLICEN Le motif du conflit est l’emploi ou le licenciement 0,2082 0,0571 3,64669 0,0003
MSALAI Le motif du conflit est le salaire 0,1171 0,0539 2,17147 0,0299
MKAL Les motifs du conflit sont les qualifications ou les classifications 0,2893 0,0687 4,21156 0,0000
MCONDW Les motifs du conflit sont les conditions de travail 0,1507 0,0658 2,28938 0,0221
Table 3: Estimations du modèle de durée de grève (Modèle paramétrique de survie : Lognormal)
Modèle paramétrique de survie de type :LOGNORMAL
Estimation par maximum de vraisemblance
Variable expliquée : MGLDUREE : log de la durée de grève si la grève a été le conflit le plus marquant
Nombre d’observations : 249
Log de vraisemblance : -107,4112
Log de vraisemblance restreinte : -201,6977
LR test statistique: 188,573
Degrés de liberté : 6
Significativité : 0,0000
message URL FIG304.gif
Variables Signification de la variable Coeff. Ecart type t Seuil
Constante Constante 0,3067757 0,1646844 1,86281 0,0625
IMR Inverse du ratio de MILL 0,8991985 0,0319706 28,1258 0,0000
PRIVE L’entreprise appartient au privé -0,28932 0,0525357 -5,50711 0,0000
TXSYND Proportion de salariés syndiqués 0,0024394 0,001063 2,29478 0,0217
DSENTR Il y a des délégués syndicaux dans l’entreprise 0,3668933 0,1609822 2,27909 0,0227
SALIMP Proportion de salariés impliqués dans le conflit 0,0022008 0,0008774 2,5083 0,0121
INITIA3 L’ensemble des syndicats est à l’origine du conflit 0,1237907 0,0493309 2,5094 0,0121

La première estimation montre que les pratiques de gestion des ressources humaines sont importantes pour expliquer les durées de grève.

Seule une pratique se distingue comme facteur de diminution de la durée de grève : un accord global d’intéressement, i.e. un accord sur le partage de la rente, qui constitue une mesure préventive.

Toutes les autres variables concernant la gestion des ressources humaines influencent positivement le prolongement de la grève. Les politiques incitatives pour les cadres telles des mesures d’incitation à l’effort (CAKERLOF) et d’implication (CPRIMCO) diminuent le taux de hazard ; ces mesures servent de référence aux revendications des salariés qui s’engagent dans la voie « du toujours plus », refusant de marchander leur demande en termes de salaire mais surtout en termes de reconnaissance. Le rôle du turn-over des cadres peut être expliqué par le fait qu’un fort turn-over pousse les cadres à se désinvestir de leur rôle de médiation et affaiblit leur position d’intermédiaire entre les salariés et la direction, et de canal de diffusion de l’information.

L’individualisation des salaires est souvent considérée comme une politique préventive à l’action collective, or les tests économétriques montrent le contraire : les salariés auraient tendance à se servir de cette pratique comme point de référence. Si l’employeur a pu concéder des augmentations individuelles importantes, il peut alors étendre cette mesure à l’ensemble des salariés. Cet élément apparaît comme un révélateur de la disponibilité à payer plus de l’employeur et le syndicat devient dans ce cas plus patient.

L’organisation de la production est importante pour expliquer les durées de grève. Il ressort que les salariés sont conduits à être plus patients quand la grève est coûteuse pour l’entreprise (la diminution des stocks et la mise en place de flux tendus augmentent la survie, alors que la diversification de la production l’influence négativement). Le comportement des salariés obéit en cela aux règles de la guerre d’usure. Pourtant, cette configuration devrait amener l’entreprise à céder plus vite aux revendications des salariés. L’hypothèse d’incohérence dynamique des décisions inhérente au modèle de timing apporte un éclairage sur la décision de l’employeur de ne pas arrêter la grève alors qu’il en subit un fort coût. Dans cette configuration, si la grève se prolonge, il s’expose aux risques de ne pas pouvoir honorer les commandes et ainsi il peut mettre en péril sa relation avec ses clients.

Il est à noter que seule une variable d’information est significative dans la régression, et sa présence influence positivement le taux de hazard. La détention commune de l’information diminue la durée de grève. Cette conclusion va dans le sens des modèles séquentiels avec asymétrie d’information, cependant les variables de diffusion de l’information auraient du jouer un rôle prépondérant, et nombreuses sont celles qui ne sont pas significatives (telles l’information sur la situation économique de l’entreprise, sur le bilan, sur l’évolution salariale ou sur l’emploi).

Comme dans l’équation de sélection, nous retrouvons l’influence des motifs de grève et le caractère stratégique des décisions du syndicat. Les salariés adaptent la durée de grève à leur type de revendication, et exploitent le fait que l’employeur soit particulièrement vigilant aux conflits en les considérant comme un indicateur du climat social.

Dans la deuxième estimation, sont présents les arguments classiques de la grève : la présence syndicale et le pouvoir des salariés quand le conflit fait l’unanimité. Le taux de hazard diminue sous l’impact de ces variables ; il y a de grandes chances pour que l’employeur accéde plus rapidement aux demandes des salariés dans cette configuration.

Un intérêt particulier doit être porté à l’influence de la variable PRIVE car elle augmente la survie dans l’état. Les grèves dans le secteur privé seraient donc plus rares mais plus longues.