L’option d’attente peut cependant être considérée comme non pas une alternative à la grève, mais un préalable à l’entrée en grève. Ainsi, Kuhn & Gu (1995), contrairement à Cramton & Tracy (1992,1994), considèrent que l’option d’attente est une stratégie développée par le syndicat pour retarder l’entrée éventuelle en conflit. Cette période permet d’obtenir de l’information, provenant notamment des négociations passées dans les firmes de la même industrie. Dès lors, lorsque plusieurs contrats sont renégociés dans la même industrie, chaque syndicat a une incitation à différer la conclusion d’un accord afin d’observer le déroulement de la négociation dans les autres firmes. Ce modèle présente l’intérêt de générer des options d’attente qui peuvent être suivies de grève, i.e. d’endogénéiser l’entrée en grève
Ainsi ces auteurs établissent que la durée de l’option d’attente dépend des quatre éléments suivants :
L’option d’attente est moins longue et moins fréquente quand le salaire du contrat précédent est faible et quand le syndicat est optimiste quant aux capacités de la firme à verser un salaire élevé ;
Le taux de hazard pendant l’option d’attente est croissant : les chances de rester en option d’attente diminuent avec la durée de négociation ;
La durée de l’option d’attente va croissant avec la durée du contrat à négocier ;
Et cette durée augmente aussi avec le nombre de contrats qui sont négociés lors de la même période dans la même industrie.
Kuhn & Gu (1995) présentent un modèle dans lequel deux couples composés chacun d’un syndicat et d’un employeur négocient simultanément un nouveau contrat. Les anciens contrats ont pris fin à la même date et le contrat à négocier est d’une durée identique dans les deux entreprises. Chaque syndicat a une incitation à différer l’établissement d’un nouveau contrat, sachant qu’un délai supplémentaire lui permet d’acquérir de l’information sur les capacités de l’employeur à verser un salaire élevé via l’accord passé dans l’autre firme. La durée de l’option d’attente reflète ainsi l’arbitrage entre les avantages informationnels que le syndicat peut obtenir en différant l’accord et les coûts d’opportunité liés à l’attente.
Si l’offre du syndicat est acceptée, alors un nouveau contrat se met en place : le syndicat reçoit le montant demandé et l’employeur perçoit la différence entre le profit et le montant demandé par le syndicat, sur l’ensemble de la période restante [t,T] ;
Si l’offre est rejetée, alors le paiement des deux acteurs de la négociation est normalisé à zéro.
Pendant la phase d’attente, les joueurs reçoivent ce qui était prévu par l’ancien contrat. L’ensemble des paiements des joueurs est escompté ; le taux d’escompte r est unique, quel que soit l’acteur et quel que soit le couple de négociateurs.
g1 (respectivement g2) est la croyance du syndicat 1 (respectivement 2) en un bon état de la nature. Par hypothèse, les auteurs supposent que g1>g2, ce qui signifie que le syndicat 1 est plus optimiste que le syndicat 2 sur l’état de sa firme.
Les deux entreprises sont dites corrélées si et seulement si la probabilité que la firme 2 connaisse un bon état de la nature sachant que dans la firme 1, le profit est élevé, est supérieure à la croyance initiale du syndicat 2, g 2 . Si la firme 1 connaît un bon état de la nature, alors le syndicat 2 doit réviser sa propre croyance à la hausse et montrer plus d’optimisme. Le phénomène est inverse si la firme connaît un mauvais état de la nature ; alors le syndicat 2 doit réviser sa croyance à la baisse.
Kuhn & Gu (1995) tentent de trouver les équilibres bayesiens parfaits de ce jeu. Pour ce faire, leur raisonnement se développe en deux étapes :
Premièrement, en considérant comme fixées les dates auxquelles les syndicats vont faire une demande, ils déterminent les demandes optimales des syndicats ainsi que les décisions prises par les employeurs ;
Deuxièmement, les auteurs recherchent le moment où les syndicats vont faire leur demande. Ils modélisent ce processus par une guerre d’usure.
Dans un premier temps, les demandes syndicales et les réponses des employeurs sont déterminées comme suit :
Quel que soit l’employeur, il n’acceptera une demande que si cette dernière est compatible avec le profit.
Dans un second temps, il s’agit de déterminer le moment où les syndicats feront leurs propositions :
De l’étude de ces fonctions, il ressort que la durée de l’option d’attente est d’autant plus grande que :
Le salaire du contrat précédent est élevé ;
La croyance du syndicat est optimiste ;
La durée du contrat à négocier est grande.
Les auteurs notent que le taux de hazard pendant l’option d’attente est croissant et que la durée de l’option d’attente va croissant avec la durée du contrat à négocier 28 car l’enjeu est d’autant plus important et bénéficie d’autant plus des échanges d’information.
Ce modèle permet d’endogénéiser l’entrée en grève, en identifiant les cas où l’employeur ne pourra accepter la demande du syndicat. Il laisse aussi faire apparaître des durées non-virtuelles d’option d’attente et justifie le recours du syndicat à cette option d’attente. Mais l’existence de la grève repose uniquement sur l’asymétrie d’information entre syndicat et employeur et l’option d’attente n’est considérée que comme une phase d’observation.
Dans Osborne (1985), un équilibre est parfait au sens de la main tremblante si les stratégies d’équilibre sont robustes à des perturbations de ces stratégies, perturbations qui comprennent une probabilité faible d’erreurs faisant concéder les joueurs à la période 0.
Avec w i le salaire versé au syndicat i pendant l’ancien contrat.
Kuhn et Gu (1995) généralisent leur modèle à n entreprises. Ils montrent, dans le cas d’une parfaite corrélation entre les entreprises, que la durée de l’option d’attente augmente aussi avec le nombre de contrats qui sont négociés simultanément dans la même industrie.