3.2.1 Hypothèses du modèle

La négociation met en scène deux joueurs : un syndicat et un employeur qui tentent de se partager la quasi rente relationnelle provenant de la spécificité du travail des salariés. La rémunération de ces derniers est composée du salaire concurrentiel normalisé à 0 et d’une fraction de la quasi rente.

Dans ce jeu hybride de durée a été conservée l’hypothèse du “tout ou rien”. Le joueur qui cède accepte la proposition de partage de l’autre joueur. Cette proposition de partage est définie en début de jeu et ne subit pas de modification au cours du jeu : les propositions des joueurs ne font l’objet d’aucun marchandage au cours de la phase d’attente. Les stratégies des joueurs portent donc uniquement sur le moment où ils vont décider de mettre fin au jeu.

Il faut noter que les modèles de durée offrent une justification à la négociation en temps réel sans pour autant supposer une asymétrie d’information ou une rationalité ex-ante des agents. La structure même d’un jeu de durée crée un risque d’incohérence dynamique, i.e. les décisions des agents sont alors justifiées ou optimales à court terme mais irrationnelles à long terme.

La stratégie du syndicat est ici modélisée par un comportement de guerre d’usure à propositions fixes non marchandables. En effet, puisqu’il n’y a aucune asymétrie d’information entre les joueurs, il sait que sa demande est parfaitement implémentable et ne met pas en péril l’entreprise. Sa demande correspond, par exemple, aux conditions de partage couramment observées dans l’industrie. Toute période supplémentaire de négociation est coûteuse pour le syndicat car il supporte un coût d’opportunité lié à ce qu’il aurait pu gagner si un accord avait été trouvé. Le syndicat est confronté à un choix : il peut accepter le statu-quo (option d’attente) ou entrer en grève. Néanmoins, il subit un coût supérieur s’il privilégie la grève. En effet, il se priverait alors des revenus qu’il touche pendant l’option d’attente, mais il accentuerait la menace qui pèse sur l’employeur en supprimant aussi ses revenus. Le syndicat préfère certes que l’employeur cède à ses revendications mais il souhaite que l’accord intervienne le plus tôt possible. Cependant, le syndicat peut décider de rentrer en grève ; il punirait ainsi l’employeur qui aurait rompu la relation de confiance tacite qui le lie aux employés en ne voulant pas reconnaître ou en tardant à reconnaître leur pouvoir et le nouveau partage. L’option d’attente peut alors être qualifiée de négociation « douce » ou « pacifique » ; c’est le moyen pour le syndicat de faire valoir ses revendications sans punir l’employeur de ne pas avoir devancé sa demande. L’option d’attente peut être perçue comme une concession que fait le syndicat à l’employeur en renonçant temporairement à un conflit ouvert.

L’employeur, quant à lui, a intérêt à prolonger le plus longtemps possible l’option d’attente. Il bénéficie effectivement durant cette période d’un partage élevé de la rente, les salariés continuant à travailler sous les règles de l’ancien contrat. L’employeur est soumis à un choix sous contrainte. D’une part, il préfère céder en premier plutôt que de voir le syndicat déclencher une grève. D’autre part, il incline à repousser la date de signature d’un nouveau contrat puisqu’il bénéficiera alors d’une proportion de la rente moins élevée. Pourtant, toute prolongation de la négociation diminue la rente à partager car elle est soumise à la mobilisation de l’effort des salariés (relation d’efficience). Le comportement de l’employeur sera donc modélisé par un jeu de préemption.

La négociation entre syndicat et employeur s’effectue en monopole bilatéral. L’objet de la négociation est le partage de la rente relationnelle, dont l’employeur est le seul bénéficiaire avant la renégociation du contrat. La négociation a pour but la détermination des coefficients de partage en pourcentage.

L’objectif de ce jeu est de fixer t*, la date à laquelle le jeu finira, et quel joueur y mettra fin.

t=min{t|Zi t=arrêter est choisi par au moins un des joueurs}

t : la date

i: le joueur

zi t : le choix de l’action, zi t ∈Zi(t)={céder, continuer}

Si aucun des joueurs ne met fin au jeu, alors t=∞. Lorsque le joueur i arrête le jeu à la période t, il est appelé leader et sa fonction de paiement est Li(t). Son adversaire, le joueur j, est appelé follower et reçoit Fi(t). Lorsque les deux joueurs cèdent à la même période, le jeu continue puisque la structure « tout ou rien » ne permet pas de choisir le partage de la rente qui prévaut dans ce cas.

Deux types de jeux de durée sont ici considérés : la guerre d’usure et la préemption.

Pour qu’un joueur soit en guerre d’usure, les conditions suivantes doivent être réunies :

Le joueur en guerre d’usure a toujours intérêt à être follower plutôt que leader,

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préfère que son adversaire cède le plus tôt possible :

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Si le joueur est contraint à être leader, il souhaite alors mettre fin au jeu dès la première période :

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Les gains à être leader ou follower ainsi que le gain de statu-quo sont nuls si le jeu se prolonge à l’infini :

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Le jeu de préemption classique est le strict opposé d’un jeu d’usure. Il peut être précisé par les spécifications suivantes :

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Si un joueur est en préemption, il préfère toujours être leader plutôt que follower, mais souhaite mettre fin au jeu le plus tard possible

Pendant la négociation, le syndicat continue à travailler selon les termes de son ancien contrat. Même si, à première vue, les intérêts des parties semblent opposés, remarquons que les agents souhaitent poursuivre la relation d’emploi et qu’aucun d’eux ne veut que l’option d’attente débouche sur une grève. De plus, aucun des joueurs ne veut que l’option d’attente se prolonge à l’infini. En effet, la rente que les joueurs doivent se partager n’est pas de taille fixe. Elle dépend de la durée de l’option d’attente ; la pérennisation de la situation fait tendre la rente vers une valeur minimale. Hypothèse est faite cependant que la rente est stable pendant l’option d’attente et égale à la rente initiale, les effets de l’option d’attente sur la rente sont anticipés par les acteurs et portent sur la période post-négociation. Le syndicat continue à coopérer pendant l’option d’attente mais il est clair qu’il diminuera son effort s’il n’obtient pas satisfaction ou s’il juge l’option d’attente trop longue.

La durée du contrat de travail négocié a été normalisée à un et se décompose en une phase d’option d’attente et en une phase de mise en oeuvre du contrat si un accord a été conclu, ou en une phase de grève sinon.

On retient pour notations :

  • s, le temps de négociation ;

  • t, la date à laquelle l’option d’attente prend fin ;

  • i, l’indice représentant le joueur, avec i∈{E,S}, E étant l’employeur et S étant le syndicat ;

  • δi, le taux d’actualisation du joueur ;

  • R(a,s), la fonction de rente dépendant positivement de la part a de la rente obtenue par le syndicat (a 0, la part initiale de la rente détenue par le syndicat étant supposée nulle) et négativement de la durée de la phase d’attente ;

  • R(a,t), la fonction de rente dépendant positivement de la part a obtenue par le syndicat (a 0, la part initiale de la rente détenue par le syndicat étant supposée nulle) et négativement de la date à laquelle l’option d’attente a pris fin, t ;

  • Ui, les gains du joueur i si l’option d’attente débouche sur une grève.

Les fonctions de paiement de l’employeur (E) peuvent être exposées comme suit.

  • Si l’employeur est follower (le syndicat a décidé de déclencher la grève), il perçoit :
    form214
    Ceci correspond à la somme de l’intégralité de la rente initiale, actualisée sur la période d’option d’attente, et des gains actualisés de grève.

  • Si l’employeur est leader (il cède aux revendications du salarié), il perçoit :
    form215
    Ceci correspond à la somme de l’intégralité de la rente initiale, actualisée sur la période d’attente, et de la part de la rente actualisée qui lui reste à l’issue de la négociation.

  • Si l’employeur est en statu-quo (l’option d’attente perdure), il perçoit :
    form216
    Ceci représente la rente minimale actualisée ; l’employeur perçoit en effet l’intégralité d’une rente dont la taille aura diminué par rapport à la rente initiale.

Les fonctions de paiement du syndicat peuvent être détaillées comme suit.

Si le syndicat est follower (l’employeur a cédé à ses revendications), il perçoit :

message URL form217.gif

Ceci correspond à la part de la rente qu’il a obtenue à l’issue de l’option d’attente actualisée sur la durée restante du contrat de travail.

  • Si le syndicat est leader (il déclenche la grève), il perçoit :
    form218
    Ceci représente les gains de grève actualisés sur la durée restante du jeu.

  • Si le syndicat est en statu-quo (l’option d’attente perdure), il ne perçoit rien :
    form219

Les stratégies des joueurs peuvent être représentées sous la forme d’une matrice. Il s’agit alors de rechercher les équilibres de Nash en stratégies pures de ce jeu.

Employeur
1’ / Leader 2’ / Follower
Syndicat 1/
Leader
2/
Follower