INSTITUT DES SCIENCES ET PRATIQUES D'EDUCATION ET DE FORMATION
UNIVERSITE LUMIERE-LYON II
Thèse de doctorat en Sciences de l'Education
Présentée et soutenue publiquement le 22 septembre 2000 par
LA PRISE D'UNE DECISION COMME MOMENT EDUCATIF
ADOLESCENTS EN SITUATION DE DIFFICULTE, SUPPLEANCE FAMILIALE EN ACCUEIL RESIDENTIEL ET POUVOIR D'AGIR
Directeur de thèse : Monsieur le Professeur Charles GARDOU
Membres du jury :
Madame le Professeur Francine DUFORT de l'Université Laval. Québec.
Monsieur le Professeur Paul DURNING de l'Université Paris X-Nanterre.
Monsieur le Professeur Jean-Sébastien MORVAN de l'Université Paris V-René Descartes.
Monsieur Pierre VERMERSCH, Chargé de Recherches au C.N.R.S.

Remmerciements

Ce travail met un terme à une dizaine d'années d'études universitaires. C'est grâce au soutien de nombreuses personnes, dont je ne me risquerai pas à établir la liste, que j'ai pu réaliser ce parcours. Toutefois, je tiens à mentionner le nom de celles que je remercie particulièrement :

Charles Gardou m'a accueilli à l'Université Lumière-Lyon II et m'a accompagné en respectant mon approche tout en se montrant exigeant,

les équipes du Relais Familial, de la Cordée et de la Providence ainsi que la "Mission enfance, jeunesse, famille" du Conseil Général de Savoie m'ont permis de mener cette recherche. Les adolescents, les parents et les éducateurs rencontrés ont pris le risque de pleinement s'engager lors de nos entretiens,

mes collègues de l'équipe d'Interlude ont facilité ma participation à des temps de formation,

Armelle Balas, Bernard Charasson, Christine Fabre, Françoise Féjoz, Anne-Marie et Edith Fralon ont relu une bonne partie de ce texte. Caroline Clavel et Helen Rossi m'ont assisté pour traduire les textes rédigés en anglais,

Annie, Denis et Nicolas Jurasek m'ont accueilli lors de mes séjours à Paris,

les membres du Groupe de Recherche sur l'Explicitation animé par Pierre Vermersch m'ont fait part de leurs remarques et m'ont encouragé,

Paul Durning et Dominique Fablet m'ont invité à participer aux séminaires de recherche en éducation familiale à l'Université Paris X-Nanterre,

Francine Dufort a fortement enrichi mon approche de la notion de pouvoir d'agir,

Jean-Sébastien Morvan a accepté de faire partie du jury,

François et Claude ont manifesté une curiosité amusée.

AVANT-PROPOS

"Si le processus d'apprendre est quelquefois douloureux, il est toujours payant. Mais ce n'est que s'ils se sentent continuellement en train d'apprendre à mieux comprendre, à agir plus spontanément et en même temps de façon plus rationnelle, que les membres du personnel sont susceptibles d'offrir aux enfants l'exemple -- non pas d'une intégration parfaite, à supposer qu'un tel état existe -- mais d'une intégration meilleure, lentement acquise au cours d'un processus qui se développe pas à pas". Bruno Bettelheim 1 .

Nos premières interventions auprès d'enfants et adolescents 2 s'appuyant sur un dispositif d'aide éducative spécialisée datent du début des années 1970. Etudiant en mathématiques et physique, nous proposons nos services à l'équipe du centre de l'Association des Paralysés de France qui accueille des infirmes moteurs cérébraux, à Grenoble. Pendant deux années, nous encadrons bénévolement des séances de soutien scolaire et des activités de plein air. La richesse des moments partagés avec les personnes de l'institution nous incite à nous orienter dans ce secteur professionnel. Nous occupons donc, pendant une année, un poste de stagiaire de contact au sein de cette même équipe. Puis, nous entrons à l'Institut Universitaire Technologique "Carrières Sociales" de Grenoble pour préparer le diplôme d'état d'éducateur spécialisé. Le cadre du stage de première année étant imposé, nous sommes affecté dans un centre de formation professionnelle pour garçons "débiles légers avec troubles du comportement et de la personnalité". Là, nous faisons connaissance avec une catégorie d'adolescents bien différents de ceux fréquentés jusqu'alors. Dans un premier temps, les situations violentes auxquelles nous avons à faire face nous déstabilisent quelque peu. Puis la découverte des ressources éducatives mises en oeuvre dans l'institution et le dynamisme des adolescents dans les activités proposées, nous poussent à poursuivre l'exploration de ce secteur de l'éducation spécialisée. Nous réalisons donc notre stage de troisième année dans un foyer accueillant des adolescents en grande difficulté sociale. Là encore, nous vivons des moments très forts, cherchant à tirer profit de la richesse des stratégies éducatives déployées par l'équipe. Après l'obtention du diplôme d'éducateur spécialisé, nous exerçons notre activité dans le Centre qui nous a accueilli pour notre premier stage. Puis, pendant les deux années durant lesquelles nous résidons en région parisienne, nous prenons part à la création et aux premiers mois de fonctionnement d'un accueil résidentiel pour un petit groupe de jeunes filles. De retour dans les Alpes, nous intégrons l'équipe du Foyer "La Cordée" à Chambéry, qui reçoit une soixantaine d'adolescentes connaissant d'importantes difficultés de relations familiales et sociales.

Si, de 1982 à 1990, nous nous efforçons, en tant qu'éducateur d'internat, de contribuer à la bonne marche de la petite collectivité à laquelle nous appartenons, en participant à la mise en oeuvre et au déroulement de diverses activités à visée socialisante, des questions, des doutes, des incompréhensions ébranlent cependant, de temps à autre, les certitudes qui fondent nos conceptions de cette activité professionnelle. Ainsi, à cette époque, nous sommes encore convaincu qu'il suffit de permettre aux adolescentes accueillies dans l'institution de développer un certain nombre de capacités utiles dans la vie sociale pour "les tirer d'affaire". Mais le fait d'apprendre que certaines jeunes filles s'effondrent lorsqu'elles retournent dans leur milieu de vie d'origine nous interroge sur la validité de l'action éducative mise en oeuvre pendant plusieurs années par l'équipe. Par ailleurs, une radicale modification du projet éducatif de l'institution génère également un questionnement de notre pratique professionnelle. Ce changement, consécutif à la loi de 1983 sur la décentralisation 3 , porte sur la zone géographique d'origine des jeunes filles accueillies. Lors de notre prise de fonction à "la Cordée", la majorité d'entre elles ne sont pas originaires de la région Rhône-Alpes. A la fin des années 1980, la proportion s'inverse. Si, avant l'entrée en vigueur de cette loi, les membres de l'équipe éducative ne prêtaient que peu d'attention aux familles des adolescentes, les seules rencontres ayant éventuellement lieu lors des audiences au tribunal, désormais, il n'en est plus de même. En effet, les jeunes filles dont la famille réside dans la région, retournent plus fréquemment chez elles, lors de week-ends ou au cours des vacances. Les contacts, les rencontres entre les parents et l'institution apparaissent peu à peu nécessaires et la prise en compte de la famille s'en trouve considérablement favorisée. Au cours de cette période et sur un plan plus personnel, le fait d'être devenu père de deux enfants favorise très certainement notre adhésion à cette évolution.

Enfin, l'impression de dépenser beaucoup d'énergie dans d'interminables discussions, principalement quand il s'agit de prendre des décisions, suscite également notre réserve à l'égard de certaines démarches mises en oeuvre. Il nous semble, par exemple, que lors de nombreuses prises de décisions, les arguments pris en compte sont en contradiction avec ceux avancés précédemment, au cours de décisions de même nature. Durant ces années, tandis que ces questions nous préoccupent, l'exemple de deux collègues de travail qui suivent alors un cursus en Sciences de l'Education nous incite à nous engager dans la même voie qu'eux, dans l'espoir de nourrir notre réflexion.

A l'Université Pierre Mendès-France de Grenoble, où nous sommes inscrit depuis la rentrée 1989, la rareté des enseignements de licence ayant directement trait à l'éducation spécialisée nous amène à prendre de la distance par rapport aux questions liées à notre activité professionnelle et à nous tourner vers des problématiques nouvelles pour nous. C'est ainsi que, au cours des années de maîtrise et de DEA, nous participons aux travaux de l'équipe de Didactique expérimentale et appropriation des compétences techniques (DEACT), nous intéressant au traitement cognitif des représentations graphiques 4 . Quand nous envisageons de poursuivre la préparation d'une thèse de doctorat, le désir d'examiner les questions laissées de côté au cours des années précédentes se révèle plus fort que celui d'approfondir l'étude des objets de recherche privilégiés jusqu'alors. En effet, la prise de recul opérée, dans le cadre de l'Université nous a permis de prendre conscience de la richesse des relations vécues, depuis une vingtaine d'années, en tant qu'éducateur et des valeurs fondant l'éducation spécialisée. Nous retenons particulièrement le développement mutuel de l'ensemble des personnes engagées dans la relation éducative. Un ouvrage portant sur l'identité professionnelle des travailleurs sociaux, édité en 1993 5 , nous encourage à nous engager dans cette voie et à contribuer à la professionnalisation de l'activité d'éducateur spécialisé. Ses auteurs préconisent l'identification et la mise en évidence des savoirs et savoir-faire individuels et collectifs déjà à l'oeuvre. Après quelques mois de réflexion, nous décidons de nous intéresser à un des aspects les plus déroutants dans notre tâche, qui constitue un acte majeur et difficile : la prise des décisions. En septembre 1994, Charles Gardou accepte de nous accueillir dans son équipe à l'Université Lumière-Lyon 2.

Passer de l'étude du traitement cognitif des représentations graphiques au domaine des décisions dans l'éducation spécialisée nécessite l'investigation de nouveaux champs : celui de la philosophie de l'éducation, par exemple. En effet, lors des expérimentations réalisées à Grenoble, nous accordions une grande attention à l'organisation et à la mise en oeuvre des différentes variables, sans interroger véritablement le sens de ces travaux. Notre nouveau thème de recherche portant sur la prise des décisions concernant les adolescents en situation de difficulté, exige de se tourner vers les finalités et d'interroger la dimension éthique de la relation éducative. La participation aux séminaires de doctorants organisés à Lyon nous permet d'assister à la présentation de recherches de nature qualitative, et nous ouvre des horizons structurants. En outre, les connaissances acquises en prenant part aux travaux du Groupe de Recherche sur l'Explicitation (GREX), au cours de ces quatre dernières années, ont influencé l'organisation de ce travail.

Dès le début de notre réflexion, nous décidons de prendre en compte le point de vue des personnes concernées par l'objet de notre recherche. Mais ce n'est qu'après plusieurs mois de tâtonnements que nous déterminons la manière de concrétiser ce projet, en nous appuyant sur la participation des adolescents et de leurs parents. Nous nous référons également à notre activité professionnelle en privilégiant l'examen d'un "petit geste". Lorsque nous rencontrons une personne avec laquelle nous avons été en relation plusieurs années auparavant, nous sommes souvent surpris par l'énoncé des faits et des paroles qui ont compté pour elle, dans le cadre du dispositif d'aide. Il ne s'agit pas seulement des audiences judiciaires ou de l'accueil au sein de l'institution, mais aussi de gestes ou de propos dont la portée nous avait échappé ou semblé insignifiante. Nous sommes étonné de la précision des descriptions de ces moments par notre interlocuteur. Ce constat nous incite à organiser une partie de cette recherche à partir d'interventions éducatives que l'on peut considérer, de prime abord, comme banales, mais qui comptent grandement pour les personnes qu'elles concernent. Nous rejoignons ainsi Serge Moscovici et Willem Doise qui affirment que " ‘pour ceux qui y prennent part de manière active, des situations ordinaires ou des problèmes mineurs acquièrent de l'importance et les concernent en profondeur’ " 6 .

Nous avons mené cette recherche tout en exerçant notre activité d'éducateur spécialisé au sein de l'équipe du service d'accueil d'urgence de Chambéry, poste que nous occupons depuis 1990, et avons éprouvé des difficultés à articuler ces deux activités. Il s'est agi, en effet, de nous intéresser, en tant que chercheur, à un acte éducatif réalisé quotidiennement comme éducateur. Il est évident que ce second rôle a marqué notre travail de recherche et a suscité des évitements ou des focalisations dont certains ont été pris en compte une fois identifiés. Il ne nous a pas été facile d'éviter une trop grande complaisance à l'égard de nos collègues, ni de résister à la tentation de valoriser leurs stratégies éducatives en taisant certains caractères considérés comme insuffisants ou inappropriés. Nous faisons donc part, à plusieurs reprises dans les pages suivantes, des obstacles rencontrés et de la manière dont nous les avons négociés.

Charles Gardou signale deux dangers qui guettent les professionnels : " ‘l'un réside dans la sacralisation du savoir et de la technique, l'autre dans sa sous-estimation ou son refu’ s" 7 . Il s'agit, à ses yeux, ‘"d'apprendre à diriger sa conscience, à lire et à donner signification au vécu, et à en faire un lieu privilégié de compréhension’ " 8 . Nous souhaitons que cette recherche participe à ce mouvement et à la mise en valeur des richesses de l'éducation spécialisée et plus particulièrement de la suppléance familiale en accueil résidentiel.

Notes
1.

BETTELHEIM, B. (1995). Parents et enfants. Paris : Editions Robert Laffont. p. 474.

2.

L'usage accordant au masculin une prééminence, le terme adolescentdésigne donc indifférement le jeune garçon ou la jeune fille, hormis dans les passages relatifs à des études de cas.

3.

L'aide sociale à l'enfance, jusque-là animée par l'Etat a été transférée au département par la loi du 22 juillet 1983, entrée en application au 1er janvier 1984. Ce changement a modifié les politiques d'aide sociale. En ce qui concerne le placement des mineurs, le nombre de mesures exercées hors du département d'origine de l'enfant a considérablement diminué.

4.

BAILLE, J., VALLERIE, B. (1993). Quelques obstacles cognitifs dans la lecture des représentations graphiques élémentaires. In Baillé, J., Maury, S. Les représentations graphiques dans l'enseignement et la formation. Les Sciences de l'Education, 1-3. 221-244.

VALLERIE, B. (1994). Transpositions sémiotiques : graphiques, textes et tableaux. In BAILLE, J. et al. Le traitement des représentations graphiques : quelques préalables cognitifs de l'action didactique. 30-51. Programme Rhône-Alpes, Recherche en Sciences Humaines.

5.

PEZET, V., VILLATTE, R., LOGEAY, P. (1993). De l'usure à l'identité professionnelle. Paris : TSA éditions.

6.

MOSCOVICI, S., DOISE, W. (1992). Dissensions et consensus. Paris : PUF. p. 96.

7.

GARDOU, C. et al. (1997). Professionnels auprès des personnes handicapées. Le handicap en visages. Tome 4. Toulouse : Erès. p. 18.

8.

GARDOU, C. (1998). La personne handicapée : d'objet à sujet, de l'intention à l'acte. La nouvelle revue de l'AIS, n° 4. p. 97.