1.2 SES DIFFICULTES INHERENTES A L'ESTIME DE SOI

L'adolescent doit découvrir d'abord qui il est ; il s'agit pour ‘lui "d'une question centrale et nécessaire’ ", indiquent Alain Braconnier et Daniel Marcelli 32 . En effet, les transformations physiologiques l'affectent. Elles bouleversent l'image qu'il a de lui-même. Il doute de son identité, éprouve le besoin de rejeter son passé et perçoit difficilement son avenir 33 .

Andrée Algan définit l'image de soi comme " ‘la perception de soi-même en tant qu'entité autonome, distincte de son environnement, sans implication pré-supposée de jugements de valeur positif ou négatif’ " 34 . Elle peut être consciente ou inconsciente. La première n'est pas pour autant nécessairement réaliste. Elle tient un rôle très important dans la dynamique de l'individu et peut contribuer à favoriser son épanouissement. La vision positive de soi revient à ‘"croire en ses capacités, se projeter dans l'univers’ " 35 et constitue, avec l'amour de soi et la confiance en soi, un des trois piliers de l'estime de soi.

L'estime de soi est, pour Andrée Algan, la ‘"valeur qu'un individu attribue à sa propre personne’ " 36 . Elle est fonction de la relation entre l'image de soi et le Moi idéal. Dans les sociétés occidentales, le modèle individualiste de la personne valorise davantage la réalisation personnelle de l'individu que la conformité sociale et la soumission aux règles collectives ; elle apparaît donc comme un indice de socialisation réussie. Selon Hector Rodriguez-Thomé 37 , une estime de soi positive favoriserait le bien-être psychologique. Ce sentiment se forge dès l'enfance, puis se restructure au cours de l'adolescence. Estime de soi et confiance en soi, c'est-à-dire " ‘penser que l'on est capable d'agir de manière adéquate dans les situations importantes’ " 38 , sont liées. Agir sans crainte excessive de l'échec et du jugement d'autrui contribue au développement de son estime personnelle, et réciproquement.

L'estime de soi constitue une dimension de l'identité. " ‘Quand on ne s'inscrit pas dans un circuit d'appartenance, le sentiment d'être soi devient flou, car le monde n'est pas structuré’ ", dit Boris Cyrulnik 39 . L'adolescent effectue des aménagements identitaires et cherche à unifier les différentes perceptions qui le touchent jusqu'à établir une certaine correspondance entre celle qu'il a de lui-même et celles attribuées par les personnes de son environnement. S. Harter relève qu'" ‘un facteur essentiel dans la définition de l'estime de soi est la perception que l'adolescent a de son charme ou de son pouvoir d'attraction, plus encore que de ses succès scolaires, de sa sociabilité ou de ses comportements’ " 40 . De son côté, Andrée Algan estime qu'il existe chez les adolescents " ‘une distance entre une mésestime d'eux-mêmes et un niveau d'aspiration élevé, dûe à leur insatisfaction devant leur statut actuel’ " 41 . La résolution de ce conflit passe par l'aide qui leur est apportée pour qu'ils développent une image d'eux-mêmes réaliste et qu'ils atteignent des buts immédiats.

Jean Kellerhals et ses collaborateurs retiennent ‘"le sens de la valeur personnelle et le sentiment de compétence’ " 42 comme dimensions pour préciser l'estime de soi. Leurs travaux mettent en évidence que celle-ci est clairement reliée au style éducatif adopté par les parents, et plus particulièrement au degré d'autonomie et de soutien dont l'adolescent dispose ainsi qu'à la qualité de la communication entre lui et les adultes. Cette interaction est plus nette pour les garçons que pour les filles, et elle se renforce avec l'élévation du niveau social. Ainsi, des pratiques éducatives parentales qui responsabilisent l'adolescent tout en le contrôlant modérément, favorisent une évaluation de soi-même positive 43 .

La construction de son image par l'adolescent nécessite donc qu'il prenne en compte des éléments difficilement compatibles. Ce processus peut s'avérer source de confusion, et même d'angoisse ou de mal-être pour certains qui vivent alors des difficultés par rapport à leur image et leur estime personnelles. Ils sont démunis pour faire face à de nombreuses situations qu'ils rencontrent. L'image que ces adolescents ont d'eux-mêmes est détériorée. Le sentiment d'échec, limité peut-être d'abord à un domaine, peut s'étendre à plusieurs autres et provoquer un processus de dévalorisation. C'est ainsi, par exemple, que des appréciations portées par des adultes sur une scolarité difficile, sont suceptibles de provoquer, chez l'adolescent concerné, l'intériorisation d'une image négative touchant à d'autres aspects de la vie. Un adolescent rencontrant des difficultés sur le plan individuel risque également d'avoir le sentiment de ne plus pouvoir compter sur ses proches. Il est envahi par un sentiment d'échec, d'impuissance. Il se retrouve éventuellement dans l'incapacité de s'exprimer, d'échanger, et risque de basculer dans la violence envers lui-même à travers des conduites suicidaires ou à l'encontre des autres. Il n'attend rien de l'avenir, si ce n'est de nouvelles difficultés. Il n'a plus confiance en ses propres compétences et n'est donc plus capable de les mettre en oeuvre. L'estime qu'il a pour lui-même est faible. De telles difficultés nécessitent une intervention thérapeutique afin qu'il effectue un travail d'élaboration psychique. Mais, le plus souvent, elles se manifestent de façon concomitante avec des relations douloureuses entre l'adolescent et sa famille ou son environnement. On peut même envisager que si la souffrance est révélée par l'adolescent, c'est que celui-ci est le "porte-étendard" 44 de celle des adultes qui l'entourent. Le symptôme qu'il met en avant doit alors être considéré au regard des relations intrafamiliales.

La prise en compte d'un tel point de vue nous incite à présenter quelques caractéristiques de l'organisation familiale et ses éventuels dysfonctionnements mettant en danger l'adolescent.

Notes
32.

BRACONNIER, A., MARCELLI, D. (1998). L'adolescence aux mille visages. Paris : Editions Odile Jacob. p. 14.

33.

COSLIN, P. (1980). Approches de l'adolescence. Bulletin de psychologie, 345, XXXIII. p. 556.

34.

ALGAN, A. (1980). L'image de soi des adolescentes socialement inadaptées. Bulletin de psychologie. XXXIII, n° 345. p. 559.

35.

ANDRE, C., LELORD, F. (1999). L'estime de soi. Paris : Editions O. Jacob. p. 14.

36.

ALGAN, A. (1980). op. cit. p. 559.

37.

RODRIGUEZ-THOME, H. (1997). Maturation biologique et changements psychologiques à l'adolescence. In RODRIGUEZ-THOME, S., JACKSON, S., BARIAUD, F. Regards actuels sur l'adolescence. Paris : PUF. p. 25.

38.

ANDRE, C., LELORD, F. (1999). op. cit. p. 14.

39.

CYRULNIK, B. (1993) cité par NEUBURGER, R. (1997). Nouveaux couples. Paris : Editions Odile Jacob. p. 16.

40.

HARTER, S. (1985), cité par STEINHAUER, P-D. (1996). Le moindre mal : la question du placement de l'enfant. Montréal : les Presses de l'Université de Montréal. p. 77.

41.

ALGAN, A. (1980). op. cit. p. 561.

42.

KELLERHALS, J., MONTANDON, C., RITSCHARD, G., SARDI, M. (1992). Le style éducatif des parents et l'estime de soi des adolescents. Revue française de sociologie, XXXIII. p. 330.

43.

BOUISSOU, C. (1998). Valorisation de soi et positionnement de soi chez les pré-adolescents. In BOLOGNINI, M. et PRETEUR, Y. Estime de soi ; perspectives développementales. Paris : Delachaux et Niestlé. p. 158.

44.

POMMEREAU, X. (1997). op. cit. p. 11.