1.5 LES ARTICULATIONS ENTRE CES TROIS TYPES DE DIFFICULTES

Gilles Gendreau 53 , s'inspirant du " ‘Cadre de référence sur l'orientation et l'organisation des centres de réadaptation pour jeunes en difficulté d'adaptation"’ du Gouvernement du Québec, indique que la mise en oeuvre d'une intervention spécialisée est conséquente à l'impuissance relative du jeune lui-même ou de son milieu à apporter une réponse adaptée aux besoins de l'adolescent, et à remédier aux problèmes qu'il manifeste. Mais, dans la réalité, il n'est pas facile de repérer la défaillance la plus préoccupante. D'une part, le rapprochement des comportements les plus spectaculaires et des souffrances les plus aiguës est malaisé. L'adolescent se sentant en détresse juge souvent le recours à la parole délicat et dangereux et n'a pour seule possibilité d'expression que le passage à l'acte 54 . Ses attitudes délictueuses risquent ainsi de focaliser l'attention de son entourage sur la qualité de son lien social au détriment de celle de ses autres liens. D'autre part, son évolution n'est pas linéaire : il connaît des crises. Il est donc nécessaire d'agir avec discernement dans les décisions de mesure d'aide à prendre.

La mise en oeuvre d'un dispositif de suppléance familiale est, selon Myriam David, liée à la présence simultanée de trois facteurs : une situation familiale et sociale poussant à la séparation ; un lien parent-enfant détérioré ; des intervenants sociaux qui privilégie cette forme d'aide 55 .

Une étude 56 de la population s'appuyant sur un accueil résidentiel en Savoie met en évidence que les motifs avancés pour justifier la mise en oeuvre d'un dispositif de suppléance familiale relèvent, le plus souvent, d'une situation familiale détériorée et non de difficultés liées au seul adolescent.

Pour J-P. Assailly, dans une perspective d'épidémiologie sociale, si une mesure de suppléance familiale révèle un dysfonctionnement de la famille, " ‘il n'existe pas une entité nosographique homogène lorsque l'on considère la diversité des types d'adversités psycho-sociales qui peuvent conduire ou non au placement de l'enfant" ’ 57 .

Dès 1945, Fernand Deligny, alors éducateur à l'institut médico-pédagogique d'Armentières, disait, à propos des jeunes accueillis dans cette institution, qu'‘"il y a trois fils qu'il faudrait tisser ensemble : l'individuel, le familial, le social. Mais le familial est un peu pourri, le social est plein de noeuds. Alors on tisse l'individuel seulement. Et l'on s'étonne de n'avoir fait que de l'ouvrage de dame, artificiel et fragile’ " 58 . Nous adhérons à ce point de vue qui signifie que les trois types de difficultés rencontrées par un adolescent sont étroitement liées.

Le sentiment d'être aimé constitue une des nourritures de l'estime de soi. Une faible estime personnelle est vraisemblablement en relation avec la détérioration de la qualité des relations familiales. En outre, un manque de confiance en ses propres capacités et une mauvaise image de soi-même, entravent le mouvement vers les autres, et déclenchent un processus d'exclusion. De mauvaises relations entre l'adolescent et sa famille sont, la plupart du temps, concomitantes de la dégradation du lien que l'adolescent a avec lui-même, et concernent également le processus d'intégration sociale. Un adolescent traversant un processus d'exclusion, surtout si ce n'est pas le cas des autres membres de sa famille, connaît simultanément des difficultés avec lui-même et avec ceux-ci.

Envisager des articulations entre les trois types de difficultés nous incite à proposer une expression prenant en compte ce point de vue pour qualifier les adolescents concernés. D'autres paramètres la précisent.

Notes
53.

GENDREAU, G. et al. (1993). Briser l'isolement entre jeune en difficulté, éducateurs et parents. Montréal : Sciences et Culture. p. 40.

54.

POMMEREAU, X. (1997). op. cit. p. 245.

55.

DAVID, M. (1989). Le placement familial, de la pratique à la théorie. Paris : ESF. p. 67.

56.

ASSOCIATION SAVOYARDE DES CHEFS D'ETABLISSEMENTS SANITAIRES ET SOCIAUX. (1996). Etude de la population accueillie en Savoie dans les établissements à caractère social. Polycopié. p. 17.

Quatre motifs sont mis en avant pour justifier plus de 60% des placements. Il s'agit des difficultés scolaires, de la précarité des repères familiaux, de parents débordés et de relations parents-enfants peu stimulantes. Les auteurs de ce Rapport attribuent la qualité d'alibi au motif "difficultés scolaires". Les autres raisons invoquées sont la maltraitance, les problèmes psychiatriques des parents, et l'échec d'un placement antérieur, chacun d'entre eux justifiant environ 5% des placements. Dans l'échantillon étudié, les 10-15 ans représentent 45% de l'effectif global, les 16-17 ans, 31%

57.

ASSAILLY, J-P. (1989). L'épidémiologie des placements d'enfants. In CORBILLON, M. (coordonné par). L'enfant placé, actualité de la recherche française et internationale. Paris : CTNERHI-PUF. p. 48.

58.

DELIGNY, F. (1945). Graine de crapules. Paris : Editions Victor Michon. pp. 55-56.