2.2.2 L'organisation de la séparation

" ‘C'est la séparation annoncée, imaginée, puis vécue, accompagnée et commentée au travers de situations quotidiennes avec des éducateurs, qui est, selon Richard Josefsberg, la spécificité de la rééducation en internat’ " 108 . Seule, la mise en oeuvre de trois conditions semble autoriser une telle dynamique : d'abord, un cadre organisé ; puis, un tiers témoin (suffisamment distinct de l'enfant et de l'événement pour pouvoir l'observer et témoigner, l'éducateur, le plus souvent) ; enfin, un temps d'élaboration, c'est-à-dire " ‘une prise de distance par un travail de réflexion, de liaison de moments de réalité vécus comme émotionnellement intenses’ " 109 . Jean-Marie Petitclerc assigne cinq fonctions essentielles à l'institution, chacune d'elles possédant des dimensions éducative, sociale et thérapeutique. L'institution est un lieu de "gestion de la mise à distance", de "construction d'histoire", d'"expression et de développement des capacités d'autonomie", d'"expérimentation de la vie sociale" et de "soutien à la formation scolaire et professionnelle" 110 . Ces propositions convergent vers la nécessité d'un travail de réflexion, par l'adolescent, à partir de son vécu de séparation.

Ce travail de séparation réalisé dans le cadre de l'accueil résidentiel, s'articule à un partenariat entre la famille et l'équipe éducative : ce qui autorise la première à prendre en compte l'évolution de l'adolescent et à porter sur lui un regard nouveau. Ces conditions sont nécessaires à l'amélioration des relations entre les différents membres de la famille. L'équipe de l'institution ou un intervenant ayant pour mission d'exercer une "double mesure", une assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) par exemple, assure cette fonction.

Si, en accueil résidentiel, l'éducateur peut établir une relation avec chaque personne concernée par l'intervention éducative, l'essentiel de son action a pour cadre le groupe d'adolescents. Celui-ci constitue un lieu de socialisation permettant à chacun de ses membres de s'exercer aux tâches imposées par la vie en commun. Il est également un espace favorisant la reconnaissance de ce que l'on représente aux yeux des autres tout en percevant ce que ces derniers représentent pour nous. Chacun rejoue alors ce qu'il a connu au sein de sa famille et dans son environnement. La vie en collectivité facilite la comparaison des trajectoires individuelles. Il est ainsi possible pour l'adolescent, d'une part, de se rendre compte qu'il n'est pas seul à connaître des difficultés, et d'autre part, de repérer le parcours des "anciens" qui ont réussi à surmonter des moments semblables à ceux qu'il traverse 111 . Ainsi, "‘face à l'attraction, manifeste à l'adolescence, pour le compagnonnage des pairs et des copains, écrit Gisèle Fiche, une stratégie éducative uniquement centrée sur l'individualité apparaît insuffisante’ " 112 . Au sein du groupe, l'adolescent a également la possibilité de faire l'expérience de multiples fonctions, comme la prise de responsabilité, la négociation, l'acceptation d'être temporairement dirigé par un autre. Le groupe constitue aussi, pour lui, un lieu de réalisation à travers des projets envisagés et mis en oeuvre par ses membres. Une telle dynamique repose sur l'apprentissage, par chacun d'entre eux, de l'expression, de l'écoute, de l'entraide, du respect des normes collectives.

Toutefois, émergent deux dangers inhérents à la vie en internat : la "proximité" liée à la vie collective, à la permanence des regards, aux relations imposées entre personnes qui partagent le même quotidien, et la "rigidité" 113 conséquente à l'organisation rationnelle de l'institutionnelle. Ce sont les qualités des membres de l'équipe éducative qui sont susceptibles de prévenir ces dérives, d'humaniser l'institution, et de personnaliser l'action éducative. Il existe, de plus, un risque de "surprotection institutionnelle" 114 lorsque, seule la protection de l'adolescent est assurée au détriment de sa socialisation. Celui-ci peut être évité par la prise en compte de son milieu naturel à travers un questionnement de son mode de vie antérieur, et de ses nouvelles relations. La surprotection entrave le développement des compétences.

Notes
108.

JOSEFSBERG, R. (1997). op. cit. p. 77.

109.

JOSEFSBERG, R. (1997). op. cit. p. 127.

110.

PETITCLERC, J-M. (1998). Le jeune, l'éducateur et la loi. Paris : Editions Don Bosco. pp. 154-168.

111.

BRUEL. A. (1993). A propos de l'hébergement. In VAILLANT, M. (sous la responsabilité de). L'hébergement éducatif. Vaucresson : Centre National de Formation et d'Etudes de la PJJ. p. 44.

112.

FICHE, G. (1993). A propos de l'action éducative en foyer. In VAILLANT, M. (sous la responsabilité de). L'hébergement éducatif. Vaucreson : CNFE de la PJJ. p. 116.

113.

JOSEFSBERG, R. (1997). op. cit. p. 53.

114.

LEPAGE-CHABRIAIS, M. (1996). Réussir le placement des mineurs en danger : manuel à l'usage des éducateurs. Paris : Editions L'Harmattan. p. 116.