2.3.2 Le placement ordonné par décision de justice

Un placement peut être ordonné par décision judiciaire. La protection judiciaire des mineurs s'organise à partir des dispositions relatives à la jeunesse délinquante, c'est-à-dire l'ordonnance du 2 Février 1945 118 , et celles relatives aux jeunes en danger, loi du 4 Juin 1970. Au cours de cette recherche, nous ne prenons en compte que ces secondes dispositions. Le juge des enfants demeure le principal intervenant du dispositif judiciaire des mineurs. Mais le procureur de la République peut aussi être amené à prendre des décisions en urgence. L'article 375 119 du Code civil précise les conditions dans lesquelles une mesure d'assistance éducative est prononcée. Le mineur est alors maintenu dans son milieu de vie habituel ou placé.

Les critères devant permettre d'évaluer le danger sont vagues. Ce qui autorise, selon Jean-Pierre Rosenczveig, " ‘une adaptation permanente à toutes les situations où des enfants se trouvent en grande difficulté’ ", mais constitue " ‘à l'inverse un risque pour la liberté des familles en se développant sans garde-fous"’ 120 . Afin d'éviter l'arbitraire, le magistrat doit préciser, dans son ordonnance, en quoi la santé ou la sécurité ou la moralité du mineur se trouve menacée. Le critère de danger est nécessaire mais insuffisant pour provoquer l'intervention du tribunal pour enfants. Il s'accompagne obligatoirement du critère d'autorité. En effet, si les premières observations ou investigations montrent que les parents de l'adolescent refusent les mesures d'aide envisagées, seul un magistrat est en position de les imposer. Mais l'article 375-1 précise bien que ‘"(le juge des enfants) doit toujours s'efforcer de recueillir l'adhésion de la famille à la mesure envisagée’ ". L'audience permet à chaque partie d'être entendue. Effectivement, il est fait obligation au juge de convoquer le mineur, ses père et mère, le tuteur ou la personne ou le représentant du service à qui l'enfant a été confié, ainsi que toute personne dont l'audition lui paraît utile.

La durée de validité maximale d'un jugement ordonnant une mesure d'aide s'étend sur deux années. Le magistrat a la possibilité de décider une durée plus courte et de faire le point sur la situation à l'échéance prévue. Toutes les décisions concernant des mesures d'assistance éducative (AEMO et placement) sont susceptibles de faire l'objet d'un appel. Pour choisir le lieu de placement, le juge des enfants s'appuie sur l'article 375-3 121 . Il a la possibilité, entre autres, de confier le mineur, soit directement à un lieu d'accueil, soit aux services de l'ASE.

Dans le premier cas, le magistrat est tenu au courant de l'évolution de la situation de l'adolescent par des rapports remis une ou deux fois par année, ou lors de circonstances particulières (difficultés rencontrées par l'équipe éducative dans son intervention auprès de l'adolescent, modification importante de la situation du jeune ou de sa famille,...). Toute demande de changement du lieu d'accueil du mineur est traitée par le juge des enfants. Il n'est pas question qu'un responsable d'établissement décide par lui-même de l'arrivée ou du départ d'un adolescent.

Le second cas correspond à une "garde". L'ASE organise alors l'aide qui lui paraît la mieux adaptée pour répondre aux difficultés rencontrées par le mineur. C'est un responsable de l'ASE qui est l'interlocuteur du magistrat et qui organise l'intervention. Il peut modifier le lieu d'accueil sans en référer au juge, ce qui autorise une souplesse de gestion en relation avec l'évolution de la situation de l'adolescent.

Pour les jeunes majeurs de 18 à 21 ans rencontrant des difficultés, la législation leur donne la possibilité de recourir à une mesure de protection sous la responsabilité du juge des enfants 122 ou de l'ASE 123 . Une telle intervention fait suite ou non à une action éducative entreprise pendant la minorité de l'adolescent. La mesure de protection n'est mise en place que pour un majeur qui la sollicite. Le juge ou l'ASE n'est pas obligé de répondre favorablement à la demande. La plupart de celles-ci sont exprimées par des adolescents qui s'appuyaient sur un dispositif de suppléance familiale jusqu'à leurs 18 ans et qui, estimant être trop fragiles pour s'en sortir seuls, demandent à ce que ce soutien soit maintenu.

Si, en France, de 1980 à 1990, le nombre d'enfants et d'adolescents, âgés de 0 à 21 ans, accueillis à l'ASE dans le cadre d'un dispositif de suppléance familiale a baissé de plus de 20%, il a légèrement progressé depuis 1992 124 . En 1998, ils étaient 144000 à s'appuyer sur un tel dispositif.

Notes
118.

Article 2 de l'ordonnance du 2 février 1945 : "Le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs prononceront, suivant le cas, les mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation qui sembleront appropriées (...)".

119.

Article 375 de la Loi du 4 juin 1970 : "si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger , ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou l'un d'eux, du gardien ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public".

120.

ROSENCZVEIG, J-P. (1996). Le dispositif français de protection de l'enfance. Paris : Editions Jeunesse et droit. p. 448.

121.

Article 375-3 :"S'il est nécessaire de retirer l'enfant de son milieu actuel, le juge peut décider de le confier:

1. A celui des père et mère qui n'avait pas l'exercice de l'autorité parentale ou chez lequel l'enfant n'avait pas sa résidence habituelle ;

2 A un autre membre de la famille, ou à un tiers digne de confiance ;

3. A un service ou à un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou spécialisé ;

4. A un service départemental de l'Aide sociale à l'enfance. (...)".

122.

Le décret du 18 février 1975 précise que "jusqu'à l'âge de vingt et un ans, toute personne majeure ou mineure émancipée éprouvant de graves difficultés d'insertion sociale a la faculté de demander au juge des enfants la prolongation ou l'organisation d'une action de protection judiciaire".

123.

L'article 46, alinéa 6 du CFAS énonce que "peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'Aide Sociale à l'enfance, les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vint et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisant".

124.

Enquête de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, citée dans le Journal du droit des jeunes, n° 193, mars 2000. p. 17

Parmi les 144000, 116000 étaient confiés à l'ASE et 28000 étaient placés directement par un juge dans un établissement ou un service.

Parmi les 116000 confiés à l'ASE, 85000 l'étaient dans le cadre d'une mesure judiciaire, et 31000, dans le cadre d'une mesure administrative.

Parmi ces 116000, 49% s'appuyaient sur une famille d'accueil et 37%, sur un accueil résidentiel.