3.2 LE PROCESSUS DE POUVOIR D'AGIR

Le pouvoir d'agir constitue un processus de transaction entre des personnes et leur environnement. Nous exposons, d'une part, quelques références qui permettent de le caractériser et, d'autre part, les conditions susceptibles de favoriser son développement.

3.2.1 Ses caractéristiques

William A. Ninacs 239 synthétise différents travaux sur le processus de pouvoir d'agir, qui correspond à une progression logique s'échelonnant dans le temps sur au moins quatre plans : la participation, la compétence technique, l'estime de soi et la conscience critique. Il propose les mêmes repères que Nicole Dallaire et Claire Chamberland pour qui, ‘"une forte estime de soi, doublée d'habiletés effectives, facilitent l'action collective de sujets qui ont eux-mêmes identifié et défini le problème auquel ils veulent s'attaquer (participation et conscientisation’ )" 240 . Cette approche suggère le soutien mutuel des personnes concernées, puisqu'il est question d'action collective. Ces derniers auteurs, s'inspirant d'Alain Touraine et de François Dubet, se demandent si le premier pouvoir à retrouver ne correspond pas à celui de donner du sens à son expérience ? 241 . Ils suggèrent alors de retenir une cinquième dimension, celle de la distance.

Présentons successivement la participation active des personnes concernées par l'intervention, l'acquisition de compétences sur lesquelles s'appuyer dans le contexte, le développement d'une estime de soi et d'une conscience critique, ainsi que la prise de distance des sujets par rapport à leur situation.

Le processus de pouvoir d'agir est enraciné dans l'action. Les participants doivent pouvoir attribuer les changements opérés à leur propre activité. En psychologie communautaire, le pouvoir d'agir consiste en un ‘"processus par lequel une personne, qui se trouve dans des conditions de vie plus ou moins incapacitantes, développe, par l'intermédiaire d'actions concrètes, le sentiment qu'il lui est possible d'exercer un plus grand contrôle sur les aspects de sa réalité psychologique et sociale qui sont importants pour elles et pour ses proches. Ce sentiment peut déboucher sur l'exercice d'un contrôle réel’ " 242 . Cette définition met en évidence que le processus de pouvoir d'agir repose sur la participation des personnes concernées par l'intervention à des actions concrètes.

Selon Yann Le Bossé, " ‘il semble pertinent de distinguer la participation selon sa fréquence, sa nature et le niveau d'implication qui y est associé’ ". A l'issue de quelques expérimentations réalisées dans un cadre communautaire, ‘"il apparaît que c'est la qualité de la participation (notamment son caractère actif) plutôt que sa quantité qui constitue un critère d'empowerment personnel’ " 243 .

William A. Ninacs montre qu'il existe une corrélation entre la participation dans des organisations communautaires et le pouvoir d'agir personnel. " ‘Une telle participation renvoie à une progression où les gens passent : a/ de l'assistance muette à la participation aux discussions simples (l'exercice du droit de parole) ; b/ ensuite aux débats (l'exercice du droit d'être entendu) ; c/ pour aboutir aux décisions (l'exercice du pouvoir ultime)"’ 244 .

Etre en mesure de participer à une action nécessite de mettre en oeuvre des compétences, dont la personne concernée ne dispose pas toujours et qu'elle gagne à acquérir, qui portent sur des gestes techniques (réaliser telle ou telle action) ou sur des aspects relationnels (faire part de son point de vue, écouter celui des autres,...).

L'intervention vise à aider la personne à développer ‘"le sentiment qu'il lui est possible d'exercer un plus grand contrôle sur les aspects de sa réalité psychologique et sociale qui sont importants pour elles’ " 245 . De plus, lors du processus de pouvoir d'agir, se déroule " ‘une progression sur le plan psychologique qui débute par l'autoreconnaissance de la légitimité de son identité propre et ensuite de sa propre compétence, ce qui ouvre la porte à la reconnaissance de cette même compétence par les autres’ " 246 . Les évaluations négatives intériorisées sont alors dépassées.

A partir de Paulo Freire, William A. Ninacs ajoute que le développement d'une conscience critique emprunte le cheminement suivant : " ‘1/ le développement d'une conscience collective (l'individu n'est pas seul à avoir un problème) ; 2/ le développement d'une conscience sociale (les problèmes individuels et collectifs sont influencés par la manière dont la société est organisée) ; 3/ le développement d'une conscience politique (la solution de ces problèmes passe par une action de changement social)’ " 247 . Cette progression nécessite un questionnement, une remise en question et encourage les individus à mettre en oeuvre leurs propres aménagements à leur situation.

Il est difficile de rendre son expérience cohérente lorsqu'on est dominé, obligé de se définir dans les catégories des autres et que l'environnement social nous renvoie la responsabilité de notre échec. La construction de sens se réalise dans la distance, le refus d'être défini de l'extérieur, l'opposition à la domination qui détruit la capacité d'être sujet, dans la capacité à définir ce qui est important pour soi.

Ces composantes interagissent entre elles. Le renforcement de l'une d'entre elles favorise le développement des autres. C'est donc leur interaction qui caractérise le pouvoir d'agir : l'absence de l'une d'entre elles réduit ou annule la portée de ce processus. Mais celui-ci est très contextualisé : il varie non seulement d'un individu à un autre, mais aussi d'un site de mise en oeuvre à un autre, et chacune des composantes se développe donc en fonction du contexte.

Ainsi, le vécu de pouvoir d'agir constitue-t-il un meilleur indicateur de bien-être que ceux proposés par la psychologie, car "‘il tient compte à la fois des perceptions subjectives de l'individu et des conditions objectives qui caractérisent son contexte soci’ al" 248 .

Notes
239.

NINACS, W. A. (1995). op. cit. pp.77-78.

240.

DALLAIRE, N., CHAMBERLAND, C. (1996). op. cit. p. 94.

241.

DALLAIRE, N., CHAMBERLAND, C. (1996). idem.

242.

LE BOSSE, Y., LAVALLEE, M. (1993). op. cit. p. 17.

243.

LE BOSSE, Y. (1995). op. cit. pp. 32 et 56.

244.

NINACS, W. A. (1995). op. cit. p. 77.

245.

NINACS, W. A. (1995). op. cit. p. 71.

246.

NINACS, W. A. (1995). op. cit. p. 78.

247.

NINACS, W. A. (1995). ibid.

248.

LE BOSSE, Y. (1995). op. cit. p. 14.