3.3.2 La collaboration entre parents et éducateurs professionnels

Dans son approche du pouvoir d'agir dans l'action éducative, il 262 cite également P. Lipman : " ‘L'appropriation est l'habileté à s'exprimer soi-même et à faire les changements dans sa propre vie afin d'assurer un meilleur contrôle de son existence. L'appropriation permet à un individu de prendre des décisions personnelles’ " 263 .

Pour lui, le but de l'action éducative spécialisée est " ‘que le jeune s'approprie, à la mesure de son potentiel d'adaptation, sa propre vie et son rôle dans l'environnement familial, scolaire et social’ ". Ce but nécessite que " ‘les adultes éducateurs s'approprient eux aussi leur rôle et leurs responsabilités’ " 264 . La responsabilité des éducateurs naturels et des membres de l'équipe éducative consiste, selon le même auteur, à " ‘discerner et à évaluer les habiletés du sujet, puis à les alimenter conformément à son potentiel personnel d'individuation pour qu'elles deviennent des compétences qui lui permettront de vivre de façon de plus en plus autonome’ " 265 . L'éducateur professionnel ambitionne avant tout de " ‘seconder la personne de l'éducateur naturel (parent) dans la recherche d'une meilleure utilisation de ses compétences éducatives et d'un meilleur contrôle de ses vulnérabilités dans ce domaine’ " 266 . C'est un facilitateur de l'appropriation au sein de la famille.

Gilles Gendreau s'appuie sur les cinq composants du pouvoir d'agir privilégiés par Saul Alinsky, c'est-à-dire, le pouvoir, l'intérêt personnel, le compromis, l'ego et le conflit, pour élaborer sa conception de l'action éducative spécialisée et, plus particulièrement, de la collaboration entre parents et éducateurs professionnels : ‘"L'appropriation, c'est la démarche dynamique par laquelle chacun des acteurs de l'action éducative ou de la collaboration E-P découvre et use de son pouvoir, car il y va de son intérêt individuel, de celui de son groupe d'appartenance et de la collectivité. Ce pouvoir suppose l'acceptation des conflits et des compromis inhérents aux interactions humaines comme faisant partie intégrante de la recherche de solutions ; ceci, sans compromission et avec une relative confiance en soi-même, dans les autres et dans la relation construite ensemble dans l'accompagnement éducatif ou la collaboration E-’ P" 267 .

Il envisage cette démarche selon une dynamique synergique, indiquant, en effet, que ‘"le concept d'empowerment, (...), appelle à la (re) découverte des pouvoirs respectifs de tous les acteurs en cause : celui du jeune, de ses parents, et des professionnels. (...) En assumant leur pouvoir avec congruence, éducateurs professionnels et parents peuvent aider le jeune à s'approprier le sien’ " 268 . Notons que l'idée de synergie exclut celle de lutte. Avec l'aide des éducateurs professionnels, les parents sont susceptibles de développer leur pouvoir d'éducateur naturel. De façon concomitante, les premiers accroissent leur propre pouvoir en développant leur compétence par la collaboration avec les seconds. Le développement de sa sécurité personnelle permet à chacun, non seulement d'accepter le fait que les autres exercent leur pouvoir respectif sans être menacé ni menaçant, mais également de leur fournir des occasions favorisant l'exercice de ces différents pouvoirs.

Joseph Rouzel, éducateur et psychanalyste, utilise le terme "appropriation" dans un sens qui nous semble proche des références précédentes. Il demande aux éducateurs d'accompagner, d'aider, de soutenir, " ‘au mieux dans l'appropriation de leur espace physique, psychique et socia’ l", les personnes auprès desquelles ils interviennent, soulignant que ‘"cette appropriation ne se fait pas dans un discours, une leçon, un passage d'information, elle s'établit en relation, dans la rencontre’ " 269 .

La notion de pouvoir d'agir prend tout son sens lors d'un processus décisionnel, dont nous précisons, dans le chapitre suivant, quelques caractéristiques.

Notes
262.

GENDREAU, G. et al. (1993). op. cit. p. 156.

263.

LIPMAN, P. (1991). Actes du colloque, The Miriam House. Montréal.

264.

GENDREAU, G. et al. (1995). op. cit. vol. 1. p. 36.

265.

GENDREAU, G. et al. (1995). op. cit. vol. 1. p. 80.

266.

GENDREAU, G. et al. (1995). op. cit. vol. 1. p. 165.

267.

GENDREAU, G. et al. (1995). op. cit. vol. 2. p. 47.

268.

GENDREAU, G. et al. (1995). op. cit. vol. 2. pp. 26 et 28.

269.

ROUZEL, J. (1997). Le travail d'éducateur spécialisé. Paris : Dunod. pp. 1 et 75.