4.1.3 La décision comme mise en oeuvre d'une compétence

Comme l'exprime Marcel Thomas, faire des choix nécessite d' " ‘être capable de circuler cognitivement, affectivement et moralement à travers des alternatives’ " 286 . Aussi, penchons-nous sur les notions de capacité et de compétence.

La capacité représente ‘"la possibilité de réussite dans l'exécution d'une tâche’ " 287 . Elle se traduit ‘"par le pouvoir d'exercer une activité, d'assumer une tâche’ " 288 . Elle relève d'une aptitude et peut être perfectionnée, notamment, par l'apprentissage. Dans ce cas, elle devient une habileté, c'est-à-dire " ‘une capacité poussée à un degré optimal de perfectionnement, et ce, dans un champ d'activité spécifique’ " 289 .

La compétence est " ‘une combinaison appropriée de plusieurs capacités dans une situation déterminée’ " 290 , non un geste élémentaire ou une opération, car elle réside dans l'enchaînement, la combinaison, la réalisation d'une séquence. Elle n'est pas un état mais un processus guidé par une intentionnalité 291 . Une compétence permet, selon Philippe Perrenoud, ‘"d'affronter un nombre indéfini de situations différentes, mais de même type, sans pouvoir y répondre de façon stéréotypée et sans pour autant disposer d'avance d'un répertoire de conduites dans lequel prélever la réponse adéquate’ " 292 . Il y a compétence, précise ce même auteur, dès que la personne " ‘trouve les moyens de faire face à la situation, fût-ce au prix d'une réflexion, d'une exploration, d'hésitations, d'essais et d'erreurs’ " 293 . On ne peut donc pas parler de compétence en soi car celle-ci est contextualisée 294 . Elle ne se donne jamais à voir directement, nous ne pouvons qu'éventuellement constater ses manifestations.

Se référant à McFall, Paul Durning et Richard E. Tremblay 295 rappellent la distinction entre la "compétence sociale", c'est-à-dire la performance comportementale jugée compétente ou non par l'entourage social, et les "habiletés sociales" qui lui sont nécessaires.

Prendre une décision repose sur la mise en oeuvre de différentes capacités telles que s'exprimer, écouter, questionner, s'engager dans un conflit. La combinaison de ces capacités constitue une compétence, qui peut être envisagée aux niveaux individuel et collectif.

La plupart des décisions prises à propos d'un adolescent s'appuyant sur un accueil résidentiel engagent également ses proches, ses parents en particulier, et des membres de l'équipe éducative. S'il s'agit d'une décision relative au groupe, ce sont ses pairs et non ses proches qui sont susceptibles de prendre part aux différentes phases du processus décisionnel. Pour chacune de ces personnes, la compétence à prendre une décision combine donc des composantes de nature cognitive (organiser sa pensée, par exemple) et de nature relationnelle (établir une communication avec les autres participants à l'élaboration de la décision). S'agissant des parents, leur compétence à prendre une décision concernant leur enfant constitue une composante de leur compétence éducative.

La qualité d'une décision collective est fonction de la mise en oeuvre, par chacun, de sa compétence individuelle à prendre une décision. Mais elle dépend également de l'articulation de la compétence des différents participants. Nous parlons de compétence institutionnelle pour dénommer la combinaison des différentes compétences en présence dans une équipe éducative.

Celle-ci est composée de membres relevant de différents secteurs professionnels : éducateur spécialisé, moniteur-éducateur, psychologue, psychiatre, personnel du service administratif et des services généraux. Même si leur fonction respective ne saurait se confondre, ils " ‘sont réunis par la vulnérabilité des personnes qu'ils accompagnent’ " 296 . La compétence institutionnelle n'est pas la somme de la compétence professionnelle de chaque membre de l'équipe éducative : c'est " ‘la dimension supplémentaire qui donne la nécessaire inscription dans la mission, la force du travail sur le cadre’ ". Il s'agit, pour chacun, non seulement de bien faire son travail, mais de savoir le positionner par rapport à celui des autres, " ‘connaître sa place, sa fonction, sa légitimité, savoir se situer dans le dispositif, en analyser les enjeux, les urgences, les limites et poursuivre cette analyse vers les capacités de changement du dispositif’ " 297 .

On connaît la distinction entre les notions de pluridisciplinarité, de transdisciplinarité et d'interdisciplinarité. La première évoque une juxtaposition de disciplines différentes qui s'occupent d'un même "objet" et visent à une unicité des points de vue. La deuxième constitue une démarche qui privilégie le passage d'un même "objet" à travers des disciplines différentes afin de trouver des points commun à prendre en compte. La troisième, contrairement aux deux précédentes, insiste plutôt sur la capacité interrogative de l'"objet" pour mettre en mouvement chaque discipline et leur faire dire leurs limites. Celui-ci est alors révélateur des différences et porteur de confrontations dans les questions qu'il fait émerger.

Selon Kamel Arar 298 , une intervention éducative se référant à une démarche basée sur l'interdisciplinarité favorise l'expression de la singularité de chaque identité professionnelle et un véritable travail d'équipe. Avant d'envisager une complémentarité des tâches, il importe de les dissocier afin d'éviter la confusion ou la substitution entre les différents rôles. Aussi, l'activité de l'éducateur se distingue-t-elle de celle d'autres intervenants de l'action sociale, par "‘le partage d'un vécu quotidien, par l'intermédiaire de multiples petits actes concrets et l'engagement du praticien dans un "ici et maintenant" avec le jeune, sa famille et le milieu social environnant’ " 299 .

Gérald Boutin et Paul Durning 300 opposent deux types de pratiques socio-éducatives, le programme et l'intervention spontanée. Le premier concerne les interventions finalisées et formalisées avant leur mise en oeuvre, dans lesquelles les objectifs visés et les moyens à utiliser sont alors planifiés. Leur principale qualité réside dans la possibilité de clarifier le service à mettre en oeuvre. Une telle organisation permet d'une part d'informer les personnes concernées sur les conditions de l'intervention et d'autre part d'envisager une évaluation. Le second type est constitué d'approches moins planifiées. Les modalités de l'intervention semblent construites au fur et à mesure, en fonction des caractéristiques de la situation. Elles permettent de " ‘prendre en considération de manière plus approfondie la spécificité, voire, pour certaines, le caractère unique, de chaque situation’ ". L'autonomie et la responsabilité de l'intervenant s'avèrent alors essentielles. Il est possible que certaines prises de décisions relèvent du premier type de pratiques, les interventions programmées, en référence, par exemple, à un réglement institutionnel. En revanche, d'autres ne pourront être qu'élaborées spontanément.

Notes
286.

THOMAS, M. (1988). Quelques réflexions théoriques et cliniques sur la responsabilisation. Revue canadienne de psycho-éducation, vol. 17, n° 2. p. 159.

287.

LAFON, R. (1987). Vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l'enfant. Paris : PUF. p. 149.

288.

LEGENDRE, R. (1993). Dictionnaire actuel de l'éducation. Montréal-Paris : Guérin-Eska. p. 159.

289.

LEGENDRE, R. (1993). op. cit. p. 681.

290.

RAYNAL, F., RIEUNIER, A. (1977). Pédagogie : dictionnaire des concepts clés. Paris : ESF éditeur. p. 77.

291.

LE BOTERF, G. (1998). L'ingénierie des compétences. Paris : Editions d'organisation. p. 64.

292.

PERRENOUD, P. (1996). Enseigner, agir dans l'urgence, décider dans l'incertitude. Paris : ESF éditeur. p. 164.

293.

PERRENOUD, P. (1996). op. cit. p. 167.

294.

DENIEUIL, P-N. (197). Entreprises et compétences : l'état des interrogations. Education permanente, n° 133. p. 40.

295.

DURNING, P., TREMBLAY, R. E. (1988). Relations entre enfants : recherches et interventions éducatives. Paris : Fleurus. p. 120.

296.

GARDOU, C. et al. (1997). op. cit. p. 13.

297.

VAILLANT, M. (1998). Compétence professionnelle et partenariat. Des liens et des lieux dans la ville. Journal du droit des jeunes, n° 180, dec. p. 12.

298.

ARAR, K. (1990). Interdisciplinarité et séparation. In VAILLANT, M. (sous la responsabilité de). Les séparations. Vaucresson : CNFE de la PJJ. pp. 211-212.

299.

LEMAY, M. (1993). Un art de la relation. In MARTINET, J-L. et al. Les éducateurs aujourd'hui. Toulouse : Privat p. 110.

300.

BOUTIN, G., DURNING, P. (1994). op. cit. pp. 39-40.