4.2.2 La négociation

" ‘La négociation présente un intérêt pour la vie sociale démocratique dans la mesure où elle évite de s'enfermer dans des rapports d'autorité excessive, ou d'entente illusoire’ ", écrit à raison Roger Launay 305 . Elle n'est possible que grâce à la participation volontaire des négociateurs. ‘"Nul n'est jamais obligé de négocier et surtout de demeurer dans cette relation’ ". Il existe, en effet, des "points de rupture", c'est-à-dire " ‘des frontières qui délimitent impérativement son champ et dont le dépassement met fin à la situation même qui lui a donné naissance’ " 306 . C'est pourquoi la mise en oeuvre d'une négociation nécessite des conditions. Les personnes susceptibles d'y participer ne s'engagent que si elles possèdent des protections, car il s'agit d'un processus menaçant qui implique " ‘toujours la reconnaissance de relations de pouvoir et de dépendance et des contraintes qui en découlent’ " 307 . De plus, sa dynamique peut s'avérer pénible pour une ou plusieurs des personnes en cause. Elle ne constitue pas seulement " ‘l'établissement d'un équilibre entre des forces existantes’ ", mais a pour ambition de faire apparaître " ‘un bien commun, désirable par chacun individuellement et par tous en coopération, là où s'affrontaient des intérêts particuliers’ " 308 .

Si elle permet la présentation de chaque point de vue, l'échange prend diverses formes. L'importance de l'enjeu débattu, le niveau de connaissance mutuelle entre les personnes réunies, leur niveau de développement de la capacité à s'exprimer publiquement des uns et des autres, facilitent ou entravent la circulation de la parole entre les participants. Roger Launay distingue les négociations coopératives " ‘liées au sentiment partagé qu'il est possible de construire quelque chose en commun’ " 309 de celles qui sont conflictuelles, dans lesquelles les objectifs des uns et des autres paraissent pour l'essentiel, incompatibles, mais interdépendants.

Une négociation se joue simultanément sur deux plans : d'une part, l'objet du différend, les raisons qui amènent à négocier, d'autre part, la procédure, la manière de le faire, qui reste souvent implicite 310 .

Elle débouche soit sur un consensus, c'est-à-dire un accord entre tous les participants, soit sur un compromis, c'est-à-dire un accord ne les satisfaisant pas pleinement, soit sur une impossibilité à établir un accord.

Le consensus se distingue du compromis : " ‘si les participants se mettent d'accord pour composer, pour éviter le désaccord, pour suspendre le différend sans qu'il ait été réglé dans l'esprit de chacun, le consensus tend alors vers le compromis’ " 311 . Le consensus explore les différents points de vue et possibilités qui sont en dispute, les endigue et les dirige vers une entente reconnue par tous. Seule une dynamique conflictuelle " ‘dissipe la confusion et ébranle les positions fixes’ " et permet de faire " ‘prendre conscience de l'enjeu véritable du débat, des éléments communs aux divers points de vue, et surtout de leur valeur’ " 312 . Cette dynamique augmente l'implication collective des participants ; elle est entendue comme une ‘"relation qui accroît pour chacun l'importance donnée à un problème et aux accords à son propos’ ". En outre, au cours de l'échange, l'explicitation des divergences provoque l'exploration de perspectives abandonnées ou négligées jusqu'alors.

Lorsqu'il n'est pas possible de parvenir à un consensus, un compromis peut être établi. Isabelle Filliozat définit le compromis comme" ‘un contrat provisoire qui, s'il ne permet pas véritablement de résoudre le problème - parce que les deux parties acceptent une frustration - permet, s'il est respecté, de construire la confiance mutuelle (...) et de favoriser à terme une véritable conciliation’ " 313 .

Une des formes de négociation possibles repose sur l'idée de contrat, qui constitue " ‘un outil d'aide qui permet tout à la fois de clarifier le projet commun du travailleur social et de l'usager, et d'établir une relation sur des bases explicites’ ". Il doit être élaboré en commun, négocié. Cette dynamique ne signifie pas l'égalité de toutes les parties prenantes. " ‘L'usager est souvent en difficulté, en souffrance, en recherche de solutions ; il n'est donc pas en mesure de refuser ce qu'on lui propose ni de choisir librement’ " 314 .

Notes
305.

LAUNAY, R. (1990). La négociation. Paris : ESF éditeur. p. 115.

306.

DUPONT, C. (1982). La négociation ; conduite, théorie, applications. Paris : Dalloz. pp. 11-12.

307.

CROZIER, M., FRIEDBERG, E. (1977). L'acteur et le système. Paris : Seuil. p. 22.

308.

SAINT SERNIN, B. (1979). Le décideur. Paris : Gallimard. p. 151.

309.

LAUNAY, R. (1990). op. cit. p. 21.

310.

FISHER, R., URY, W. (1982). Comment réussir une négociation. Paris : Editions du Seuil.

311.

MOSCOVICI, S., DOISE, W. (1992). op. cit. p. 35.

312.

MOSCOVICI, S., DOISE, W. (1992). op. cit. pp. 83 et 100.

313.

FILLIOZAT, I. (1991). La peur de perdre son identité. Alternatives non violentes, 80. p. 11.

314.

DE ROBERTIS, C. In BENLOULOU, G. (1994). Le contrat entre usagers et travailleurs sociaux. Lien social, 258. p. 9.